*** 3 avril 2003 Mon téléphone portable sonne et, interrompant ma conversation avec Simon, je décroche, passant le relais à Kerensky. Pauvre Simon Devant Kerensky et Largo, il n'a aucune chance Je reconnais immédiatement mon interlocuteur. Je me doute tout de suite qu'il ne m'appelle pas pour avoir de mes nouvelles, même si ça va mieux entre nous maintenant. Il m'explique la situation. Je proteste, coupant par la même occasion la dispute naissante de mes trois amis. Mais il me dit ce que je sais : je n'ai pas le choix, je dois le faire, c'est mon devoir. Combien de temps ai-je ? Deux heures. Comme à chaque fois pour ce genre de choses, un hélicoptère attend tous ceux de New York à l'endroit habituel. J'enrage Il n'a pas le droit de m'obliger à y aller. Je sors du Bunker, et je lui crie que je ne veux pas, que j'ai un travail, des amis, et que je ne peux pas les abandonner. Mais il ne m'écoute pas. Je dois le faire pour mon pays, d'après lui. Et mon pays. Qu'est-ce qu'il a fait pour moi, mon pays ? Cette guerre est la sienne, pas la mienne. Ce n'est pas ma bataille. Les raisons sont toutes plus débiles les unes que les autres, et je ne suis absolument pas d'accord. Mais mon père me dit que je n'ai pas le droit de refuser. Il n'a pas changé. Je pensais qu'il avait quand même un minimum évolué, mais je m'étais lamentablement trompée. Il était, est, et sera toujours le même homme qui n'hésite pas à envoyer sa propre fille affronter la mort. En ce moment précis, je le déteste. J'ai deux heures. Deux heures pour expliquer brièvement à Largo, Simon et Kerensky pourquoi je pars, et leur dire au revoir. C'est trop peu. Je n'ai pas le temps. Je sais parfaitement qu'ils tenteront de me faire changer d'avis, mais ils n'y arriveront pas. Non pas que je veuille exécuter l'ordre de mon père, non, loin de là. Mais c'est justement parce que, quoi que je pense, je dois exécuter l'ordre de mon père. Parce que j'ai été un agent de la CIA. J'ai un rire amer. Mon père m'a encore manipulée. Pour changer un peu. Il sera toujours maître de ma vie. J'ai beau me battre contre lui, je n'y arrive pas. Ce n'est pourtant pas faute d'essayer. - A tout à l'heure, petite fille Et il raccroche. J'ai une envie gigantesque de lui dire : " Et moi je t'emmerde papa " mais les choses ne changeront jamais. Je ne le lui dis pas, et je ne le lui dirai sûrement jamais. Je n'ai pas le temps de leur expliquer. Que faire ? Ou plutôt, comment ? Bon, à la bourrin, on entre, on prend les affaires, on sort, et on va faire ses valises. Je vais faire ça ! Oui ! Ils me laisseront partir, parce qu'ils n'auront pas le temps de comprendre Rêve, Joy Ils ne te laisseront pas partir comme ça, sans une explication Bah, on peut toujours essayer Je pousse la porte du Bunker, j'entre dedans, j'ouvre un tiroir, je prends mon Beretta, j'attrape mon sac, ma veste rouge, et je remonte les escaliers le plus vite que je peux. Ouais ! J'ai réussi ! Allez, maintenant, on ouvre la porte, on part et on disparaît M !! Largo me retient, et me demande ce que je fais. Je pars en vacances aux Bahamas, Largo Je reviens dans six mois A plus !! Non, il est naïf, mais pas à ce point là, non plus - Joy
Où vas-tu ? Qu'est-ce que tu fais ? Mais qu'est-ce qu'ils ont aujourd'hui ? Ils se sont ligués contre moi ou quoi ? Je ne leur dois rien ! Je fais ce qui me plaît, et même ce qui ne me plaît pas, d'ailleurs Je regarde ma montre Et m Je le savais Foutu pays de m !!!! - Ecoutez, je n'ai pas le temps pour vos gamineries, je dois y aller,
je n'ai pas le choix et
Et mouise j'ai lâché le morceau - Pardon ? me demande Largo, choqué. Il ne dit rien. Je les regarde tous les trois, et je sors du Bunker. Je fais à peine quelques pas et Largo me rejoint, suivi par Kerensky et Simon. Arfgh ! Ils ne vont vraiment pas me faciliter la tâche eux, aujourd'hui. - Joy ! Mais attends-nous bon sang ! Non mais tu te rends compte de ce
que tu nous dis ? C'est pourtant la même question que j'ai posé à mon père. Les trois hommes se regardent, et j'entre dans la voiture, puisque j'ai continué à avancer durant leur argumentation. Je démarre, et je fonce chez moi. J'ai bien remarqué qu'ils m'ont suivie, mais je ne peux pas leur en vouloir. Ils essaient de me faire changer d'avis. Même Kerensky s'y met, bien qu'il sache que ça ne servira à rien, que je le ferai. Et puis nous arrivons à l'héliport, et finalement, Simon et Largo se taisent. Ils savent ce que ça signifie : ils ne me reverront plus avant longtemps. Voire plus jamais, mais ça, ils ne sont pas prêts à l'accepter, ni même à y penser pour le moment Le ciel, déjà lourd, est devenu encore plus noir pendant le trajet, et le tonnerre commence à gronder au loin. On peut déjà apercevoir des éclairs. La pluie commence à tomber. Tous mes anciens collègues encore en forme, de la CIA sont là. Les gouttes sont de plus en plus lourdes, et me trempent rapidement. Je sens leurs regards lourds de sens peser sur moi. C'est l'heure des séparations, Kars nous appelle. C'est un des rares amis de mon père. Je ne l'ai jamais vraiment apprécié. Toujours à se croire plus intelligent que les autres Il m'énerve. Heureusement que Jackson est là. C'est l'heure des adieux. Je me tourne vers mes trois amis. Je regarde Kerensky, hésitant à le serrer dans mes bras. Après tout, c'était quand même un ex-agent du KGB Je lui serre la main, et finalement le prends dans mes bras. - Tu veilles sur eux, hein ? Je te fais confiance
Je le lâche, et me tourne vers Simon. Ça ne lui plaît pas du tout, et il est vexé et triste. Ça se voit. - Simon
Ne m'en veux pas
Il m'étreint longuement, en commençant à pleurer
un peu. Je sais que je lui fais de la peine, mais je dois y aller. La
pluie tombe toujours, et le tonnerre tonne de plus en plus fort, signe
que l'orage se rapproche. - Tu pars. Il baisse les yeux. - Non. Je ne veux pas que tu partes. On ne sait même pas quand on se reverra ! C'est à mon tour de baisser les yeux. Je commence à trembler de froid. - Je dois y aller. Ils m'attendent. Je le prends dans mes bras, avec l'envie de ne plus le lâcher. J'ai l'impression de planer, mais un cri poussé par mon ancien patron me fait ratterrir. Je dois y aller. - J'ai tellement de choses à te dire
S'il me restait un
minimum de temps
Il n'est pas prêt. J'inspire un grand coup, je le lâche,
et après un dernier regard, je me dirige vers Jackson, qui me sourit.
Ce type est trop gentil pour être un agent. Il aurait mieux fait
de faire autre chose, parce qu'il ne mérite pas de vivre dans ce
monde de mensonge. Je déglutis difficilement. Et si je n'avais pas le temps de dire à Largo ce que je ressentais pour lui ? Ne pas me retourner ! Surtout, ne pas me retourner. Tout le monde monte dans un hélicoptère. Nous sommes une quarantaine d'agents ou d'ex-agents. Je les connais presque tous. Kars me dit qu'il est ravi de me voir, mais je ne lui réponds rien. Pour être ami avec mon père, ou on est hypocrite, ou on est du même genre que lui, ou on est carrément maso et taré Et Kars fait partie des trois propositions : c'est un hypocrite de première, complètement taré, atteint de la même folie que mon père C'est vous dire quand ils ont - ou plutôt avaient - des missions ensemble. Je le toise, et monte dans l'appareil, totalement trempée. Je ne sais pas ce qui m'attend là-bas, et encore moins si je reviendrai. Survivront-ils sans moi ? Je fais confiance à Kerensky, mais Simon a toujours été distrait. Pas assez professionnel. J'ai peur. Pas pour moi, non ! Moi, j'ai toujours été habituée à cette ambiance, à cette montée d'adrénaline, à cette anxiété qui monte au fur et à mesure que le moment, le grand Moment arrive. Non, en fait, j'ai peur pour Largo. Vous devez vous dire : " Elle va sûrement mourir, et elle pense à son patron !? C'est pathétique ". Et bien vous avez totalement raison. Je vais le laisser tomber pendant longtemps, une durée indéterminée Il peut lui arriver n'importe quoi Il peut m'arriver n'importe quoi Et si je mourrais ? Et si IL mourrait ? Sans que je ne puisse rien faire ? L'hélicoptère décolle. Sans qu'il sache ce que je ressens vraiment pour lui ? L'appareil quitte le sol, et je croise le regard triste de Largo. NON !! J'ai crié ces mots ! Je les ai hurlés, faisant sursauter tous les passagers, je me jette sur Kars, et je lui ordonne de faire atterrir ce foutu hélicoptère. Au début, il refuse, mais après un regard à Jackson, il finit par accéder à ma requête. Je ne sais pas par quel miracle, mais l'hélicoptère se pose. Mes trois amis ont un regard étonné. La pluie tombe toujours, mais je m'en moque ; je sors de l'appareil, et je commence à courir. Largo me rejoint rapidement au milieu. - Tu ne pars pas ? me demande-t-il plein d'espoir, et en me remettant
ma mèche mouillée derrière l'oreille. Et je l'embrasse avec toute la fougue dont je suis capable. Il répond à mon baiser plus vite que je ne le pensais. Je ne sais pas combien de temps nous nous sommes embrassés, mais la pluie ne cessait pas de glisser le long de nos cheveux, de notre visage, et se mêlait à nos gestes. Néanmoins au bout de quelques instants qui m'ont paru une demi-seconde, dans ses bras, sur ses lèvres, je m'arrache à lui, et je part aussi vite que je suis venue, alors que Kars m'engueule, en me disant qu'il n'a pas que ça à faire, et que mon père ne serait pas content de savoir ça. Mais je m'en moque. Je jette un dernier regard à Largo. Il est debout, et me regarde lui aussi. Il se pose sûrement la même question que moi : ce baiser sera-t-il le dernier ? Et le problème, c'est que seul le temps nous le dira. Or, le temps joue toujours contre nous. Et je crois que Largo a peur que la réponse du Temps ne soit pas celle qu'il espère
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