Boring Jet-Set

par Little


La soirée est vraiment réussie. Très ostentatoire et délicieusement ennuyeuse. Enfin, ennuyeuse, pour moi, la simple garde du corps. Mais pour le patron milliardaire elle s'avère très enrichissante question tableau de chasse et compte en banque. Ah ça oui. Quoi de mieux qu'une soirée jet-set, milliardaires et capitalistes pour découvrir les joies du luxe et de la luxure ? Calée dans mon coin, j'observe le ballet incessant de jambes galbées et de décolletés ravageurs parsemés de diamants étincelants qui s'obstinent à tourner autour d'un des plus beaux partis de la soirée, bien évidemment mon patron, qui ne sait visiblement plus où donner de la tête. Le pauvre… Vous croyez vraiment que je vais le plaindre ? Il a l'air terriblement ennuyé et ne cesse de jeter des coups d'œils discrets dans ma direction, et je fais mine de ne pas les voir. Je ne sais pas pourquoi. Sûrement parce qu'il est assez grand pour se sortir des situations délicates. Mais apparemment, les joies du luxe ne l'enchantent guère et il a vraisemblablement envie de s'échapper de ces mondanités le plus rapidement possible. Simon est très occupée avec une baronne blonde siliconée, fraîchement divorcée bien entendu, et il ne se soucie guère de son meilleur ami. Kerensky est bien évidemment scotché à son ordinateur dans le bunker et il s'est désisté dès qu'il a appris l'existence de cette soirée. Donc, il ne reste que moi, pour essayer de trouver une parade avant que Largo ne fasse une syncope. Les jardins du Metropolitan de New York sont absolument somptueux et je dois avouer que le cadre de cette soirée est superbe. Je n'ai pas tellement envie de m'en aller mais j'ai compris que là, il en a marre. Bon, et bien il ne me reste plus qu'une seule solution et même si le stratagème me semble ridicule, je ne peux plus reculer. Une idée de Simon, ben pardi. Comment dépêtrer Largo de succubes richissimes ? Et bien très simple, se faire passer pour une succube richissime et essayer de draguer le beau milliardaire adorant les succubes richissimes. Pf, j'en ai la nausée rien que d'en parler. Allez, ma petite Joy, fais un effort.

Je me dirige en direction de ma proie. Grand, les cheveux en bataille, les yeux bleus clairs, le sourire charmeur et le regard de tombeur. C'est juste pour se sortir de là et filer. Parce que si je continue à penser de cette manière, j'imagine très clairement où je vais finir la soirée. Je prends une coupe de champagne posée sur un plateau et je fais attention de ne pas abîmer ma robe. Une petite merveille tout droit sortie d'une chicissime boutique de Soho. Un cadeau bien évidemment, je n'aurais jamais pu me la payer. Un cadeau de Largo, cela va de soit. Ce dernier a d'ailleurs compris le déroulement du plan et semble très très soulagé de me voir me diriger en sa direction. Je suis devenue Eleanor Dalloway, héritière d'un empire colonial où le Darjeeling y pousse en abondance. Un domaine hérité de mon grand-père qui était ambassadeur aux Indes. J'invente un personnage et une histoire. J'essaye de m'en convaincre pour ne pas flancher. Je cerne le troupeau accolé à mon patron et j'entame les travaux d'approche.

Parée de ma robe pourpre, j'accoste mon très cher patron d'une manière très banale. Je fais comme si je le connaissais depuis des années et comme si nous avions gardé les vaches ensemble. Je dois rester professionnelle et ne pas rire, même si tout ce cinéma est pathétique.

Largo ! Quel bonheur de vous voir ici !

Je déteste ça. Et je dois le vouvoyer ! Si j'attrape Simon, je crois que je le trucide en deux temps trois mouvements. Et, en plus Largo joue vraiment le jeu.

Eléanor ! Quelle surprise ! Je ne pensais pas vous voir de si tôt, vous ne deviez pas être à Pondichéry ?.

Une grande bise qui claque. Ca fait toujours de l'effet.

Un empêchement de dernière minute. Je suis arrivée à New York avec mon jet ce matin même et je n'ai pas eu le temps de vous prévenir.

C'est là que les riches succubes commencent à comprendre que c'est à moi qu'il s'intéresse maintenant. Et paf !

Mais nous pouvons dîner demain soir ensemble… J'adorerais vraiment.
Et c'est à ce moment précis que Largo me prend par le bras et que nous disparaissons en direction du jardin, le plus loin possible des succubes richissimes.
Merci ! Vraiment, j'ai cru qu'elles allaient toutes me dévorer. Je n'aurais pas dû venir.
Ne dis pas que tu ne savais pas comment se déroulent ce genre de soirée, Largo…
Arghf, enfin je respire. Tu as vu Simon ? Je l'ai perdu de vue quand les autres m'empêchaient de respirer.
Il est en charmante compagnie avec un sosie de la poupée Barbie. Elle doit être riche à millions et a sûrement eu six maris et vient juste de divorcer…
Ok, j'ai compris. Bon, on s'échappe avant que les furies ne nous retrouvent ?
Et comment comptes-tu t'échapper d'ici ? Et puis tu ne devais pas t'entretenir avec Fawaz Grasini ? Je ne t'ai pas vu discuter avec lui…
Oh, il n'est pas venu. Il a préféré rester sur son yacht à St Barth'… Ca ne lui disait rien de venir…
Charmant… C'est vraiment écœurant, autant de richesse étalée juste pour se faire remarquer… Et puis, ces gens sont tous faux-culs et prétentieux, j'arrive pas à comprendre comment on peut se comporter d'une telle manière…
Joy… Je suis tout à fait d'accord avec toi, mais au lieu d'avoir une conversation philosophique, j'aimerais vraiment qu'on fiche le camp d'ici…Parce que les succubes richissimes viennent de se rendre compte que j'étais dans le jardin…
Bon, très bien, on file. Mais la prochaine fois que tu auras envie de rester dans ta tour dorée tu me préviens avant, ok ? Parce que je ne vais pas jouer les bourgeoises à chaque fois…Il ne manquerait plus que ça…

Largo souriait, il avait clairement compris le message. Une bonne chose de faite, c'est vrai, déjà que je devais le protéger, gérer son emploi du temps, l'aider à préparer ses discours et je ne sais quoi encore, je n'allais pas en plus m'acquitter d'une nouvelle tâche ridicule, juste pour ses beaux yeux.

En deux minutes, nous avions traversé la réception, envoyé un discret coup d'œil à Simon, pour lui faire comprendre notre battement en retraite et quelques instants après, nous étions devant l'entrée du Met, attendant Charlie. Il faisait assez frais, et j'avais resserré les pans de mon manteau assez fermement contre mes hanches. La robe que je portais n'était pas très couvrante et je priais le ciel pour que la limousine arrive très vite et que je puisse arrêter de grelotter. Largo avait vu que je n'avais pas chaud et, il se rapprocha de moi et passa sa main dans mon dos pour essayer de me réchauffer quelque peu. Mais même cette charmante caresse n'arrivait pas à rehausser ma température corporelle. La limousine arriva et Largo et moi, nous nous engouffrâmes à l'intérieur très rapidement.

Vous aimeriez savoir ce qui s'est passé après ? Largo avait faim et il avait visiblement envie d'aller dîner au restaurant. Mais je n'étais guère d'accord à ce qu'on risque sa vie juste pour un bon petit plat. Et puis ce n'était pas prévu et je n'avais pas envie qu'il lui arrive quelque chose. D'un commun accord on a décidé que le resto ce serait pour une autre fois. Donc il s'est résigné et a demandé à Charlie de l'emmener au Groupe. Jusque là rien d'étonnant me direz-vous. Lorsque nous sommes arrivés, je suis descendue de la limousine et je me suis dirigée vers ma voiture abandonnant Largo au pied de l'ascenseur, puisqu'il était en sécurité au Groupe. Il m'a rattrapée, m'a prise par le bras et m'a déclaré que la soirée ne faisait que commencer et qu'il était hors de question que je rentre chez moi. J'aurais dû lui dire non et résister. Et qu'est-ce que j'ai fait ? J'ai dit oui et je n'ai pas résisté. Vous avez vu un peu ? Quand il s'amuse à jouer les chevaliers servants avec moi qu'est-ce que je fais ? Je craque comme une vulgaire adolescente, je me laisse faire et je ne riposte pas. C'est l'effet que Largo a sur moi. Il arrive à me faire faire n'importe quoi.

Arrivés au Penthouse depuis quelques instants, j'enlève mes escarpins qui me font mal aux pieds depuis le début de la soirée. C'est beaucoup plus agréable d'être pieds nus que juchée sur des talons aiguilles de 8 cm. Largo a disparu dans la cuisine et je ne sais pas ce qu'il mijote. Il a une idée derrière la tête ça c'est sûr. Je me demande encore ce que je fais là, en compagnie d'un homme qui ne cesse de me courtiser très discrètement depuis plusieurs semaines et surtout un homme qui va arriver à ses fins si je ne mets pas les choses au point de suite.

Largo ? Qu'est-ce que tu fais ?
J'arrive, deux minutes…

Visiblement, il avait préparé son coup. C'est vrai, d'habitude Simon nous accompagne quand on décide de quitter une réception mais là, il s'est contenté de nous regarder partir sans rien dire. C'est bizarre, c'est pas clair et surtout ça cache quelque chose et j'aimerais bien savoir quoi.

Tout d'un coup je vois Largo sortir de la cuisine un petit gâteau à la main sur lequel il a allumé une bougie symbolique. Il avance doucement en ma direction, lui aussi pieds nus et je continue à me demander ce qu'il est en train de faire. Pourquoi un gâteau et une bougie ? Ce n'est pas mon anniversaire que je sache. Il arrive à ma hauteur, s'arrête et me regarde tendrement avec un sourire à moitié timide et à moitié amusé.

Souffle.

Je m'exécute. La bougie s'éteint et un petit filet de fumée s'évapore dans l'air. Je le regarde droit dans les yeux et il voit bien que je n'ai toujours pas compris à quoi rimait tout ce remue-ménage. Il baisse les yeux, se dirige vers son bureau y dépose le gâteau et me dit en se retournant :

Ca fait un an aujourd'hui qu'on s'est embrassés pour la première fois. Je sais parfaitement ce qui c'est passé en Arctique et après la libération de Simon, mais ça fait un an qu'on s'est embrassés tous les deux pour la première fois de manière réfléchie, sûrs de nous et de nos actes.

Il avait dit ça d'une manière tellement romantique et sincère que je ne pus m'empêcher d'être touchée au plus profond de mon être. Largo se souvenait de détails ahurissants nous concernant montrant qu'il n'avait pas tiré un trait sur nous deux. Et c'est bien ça qui m'embêtait, nous deux. Il n'y a plus eu de nous deux à partir du moment où j'ai refusé de m'engager et où j'ai voulu reprendre mon boulot. Comme si cette stupide excuse arriverait à m'éloigner assez longtemps de Largo et qu'il parvienne à m'oublier…Mais visiblement c'est l'inverse qui se produisait. Il se raccrochait à de petits détails, espérant que cela nous rapproche.

Je n'avais toujours rien dit et Largo vit que je me battais avec mes propres démons, ne sachant comment réagir à cette adorable attention.

Je n'imaginais pas que tu puisses te souvenir de détails aussi précis nous concernant.
Crois-moi, je me souviens de tout.
C'est là qu'est le problème Largo. Il y eu un nous mais se souvenir de tout, ce n'est pas forcément la meilleure chose à faire.
Tu préférerais que j'oublie tout peut-être ? Que je me comporte comme un salaud et que je te fasse souffrir le reste de ta vie ?
Largo…
Joy, cette situation me rend fou et si ca continue je vais faire n'importe quoi. On ne peut pas rester dans cette ambiguïté éternellement. Ne me rejette pas, ne me rejette plus. Arrête de vouloir m'évincer de ta vie..

J'étais au pied du mur. Je ne pouvais plus éviter la situation. Et je lui devais une réponse. Je me dirigea vers la baie vitrée, de là, je pouvais le voir dans le reflet de la vitre. Je me lance, et je ne sais vraiment pas comment lui expliquer les choses…

Les deux choses auxquelles je tiens le plus actuellement dans ma vie sont mon travail et toi. Je ne veux en aucun cas perdre mon travail et pire encore je ne veux pas te perdre. Tout ce que je sais c'est que créer cette situation m'empêche d'avoir à prendre une décision te concernant. Mais le problème c'est que j'ai terriblement peur et je n'ai absolument pas confiance en moi. Dès qu'il s'agit de ma vie sentimentale tout part de travers et tout me fait souffrir. Et je préfère encore que rien ne se passe entre nous plutôt que souffrir et que je finisse par te perdre pour de bon.

Je pouvais le voir dans le reflet de la baie vitrée. Il s'était assis sur son bureau, la tête baissée et il ne répondait rien. Il fixait inlassablement le sol. Je me tourna alors en sa direction et rien n'y changea. Il ne bougeait toujours pas. Je me rapprochais de lui et j'essayais de comprendre ce qu'il faisait. Je m'arrêta en face de lui.

Largo… Regarde-moi.

Il ne releva pas la tête et resta de marbre.

Largo…

L'appeler ne servirait à rien , je l'avais bien compris. Je pris son menton de ma main droite et je le força à relever la tête. Il pleurait. Je n'avais jamais vu un homme pleurer de cette manière. C'était absolument bouleversant. Je venais de faire pleurer largo avec mon discours à deux balles.

Largo… Ne te mets pas dans un état pareil, voyons…
Ah oui ? Et tu veux que je fasse quoi ? Que je te dise ok, j'accepte tes raisons bidons et que te laisse partir ? Et bien, non, désolé, mais ça marche pas comme ça, je ne vais pas laisser partir la femme qui compte le plus dans ma vie..

Et c'est à ce moment précis qu'il m'a prise dans ses bras et qu'il m'a embrassée. Un baiser extrêmement sensuel. Le plus doux baiser qu'on m'ait donné. Il me tenait fort dans ses bras et je n'arrivais pas à m'en détacher. Même avec toute la volonté du monde je n'y arrivais pas. Je sentais les muscles de Largo se contracter et me serrer le plus fortement possible. Et je ne voulais pas que ce baiser s'arrête, oh non, je ne le voulais pas. Et ce baiser, ne s'est pas arrêté. Largo et moi avons fini par faire l'amour sur son bureau, puis sur son canapé, dans son lit, puis dans la salle de bains. Je n'avais jamais ressenti autant de passion et de désir qu'avec lui. Une vraie tornade de sentiments. Le septième ciel, le vrai…

Joy ? Hey ! Joy tu rêves ou quoi ?

Simon me donne une légère tape sur l'épaule et me sort de ma torpeur.
Cette soirée ne t'enchante guère on dirait, c'est pas comme certains !
Je regardais Largo qui était toujours entouré des succubes richissimes et il avait l'air d'y prendre du plaisir le bougre.

Bon, tu vas le chercher, j'en ai marre moi, j'ai envie de rentrer, c'est vrai , elle est nulle cette soirée et dire que j'aurais pu la passer avec Laura…
Débrouilles-toi Simon…

FIN