Je me dirige en direction de ma proie. Grand, les cheveux en bataille,
les yeux bleus clairs, le sourire charmeur et le regard de tombeur. C'est
juste pour se sortir de là et filer. Parce que si je continue à
penser de cette manière, j'imagine très clairement où
je vais finir la soirée. Je prends une coupe de champagne posée
sur un plateau et je fais attention de ne pas abîmer ma robe. Une
petite merveille tout droit sortie d'une chicissime boutique de Soho.
Un cadeau bien évidemment, je n'aurais jamais pu me la payer. Un
cadeau de Largo, cela va de soit. Ce dernier a d'ailleurs compris le déroulement
du plan et semble très très soulagé de me voir me
diriger en sa direction. Je suis devenue Eleanor Dalloway, héritière
d'un empire colonial où le Darjeeling y pousse en abondance. Un
domaine hérité de mon grand-père qui était
ambassadeur aux Indes. J'invente un personnage et une histoire. J'essaye
de m'en convaincre pour ne pas flancher. Je cerne le troupeau accolé
à mon patron et j'entame les travaux d'approche. Parée de ma robe pourpre, j'accoste mon très cher patron
d'une manière très banale. Je fais comme si je le connaissais
depuis des années et comme si nous avions gardé les vaches
ensemble. Je dois rester professionnelle et ne pas rire, même si
tout ce cinéma est pathétique. Largo ! Quel bonheur de vous voir ici ! Je déteste ça. Et je dois le vouvoyer ! Si j'attrape Simon,
je crois que je le trucide en deux temps trois mouvements. Et, en plus
Largo joue vraiment le jeu. Eléanor ! Quelle surprise ! Je ne pensais pas vous voir de
si tôt, vous ne deviez pas être à Pondichéry
?. Une grande bise qui claque. Ca fait toujours de l'effet. Un empêchement de dernière minute. Je suis arrivée
à New York avec mon jet ce matin même et je n'ai pas eu le
temps de vous prévenir. C'est là que les riches succubes commencent à comprendre
que c'est à moi qu'il s'intéresse maintenant. Et paf ! Mais nous pouvons dîner demain soir ensemble
J'adorerais
vraiment. Largo souriait, il avait clairement compris le message. Une bonne chose
de faite, c'est vrai, déjà que je devais le protéger,
gérer son emploi du temps, l'aider à préparer ses
discours et je ne sais quoi encore, je n'allais pas en plus m'acquitter
d'une nouvelle tâche ridicule, juste pour ses beaux yeux. En deux minutes, nous avions traversé la réception, envoyé
un discret coup d'il à Simon, pour lui faire comprendre notre
battement en retraite et quelques instants après, nous étions
devant l'entrée du Met, attendant Charlie. Il faisait assez frais,
et j'avais resserré les pans de mon manteau assez fermement contre
mes hanches. La robe que je portais n'était pas très couvrante
et je priais le ciel pour que la limousine arrive très vite et
que je puisse arrêter de grelotter. Largo avait vu que je n'avais
pas chaud et, il se rapprocha de moi et passa sa main dans mon dos pour
essayer de me réchauffer quelque peu. Mais même cette charmante
caresse n'arrivait pas à rehausser ma température corporelle.
La limousine arriva et Largo et moi, nous nous engouffrâmes à
l'intérieur très rapidement. Vous aimeriez savoir ce qui s'est passé après ? Largo avait
faim et il avait visiblement envie d'aller dîner au restaurant.
Mais je n'étais guère d'accord à ce qu'on risque
sa vie juste pour un bon petit plat. Et puis ce n'était pas prévu
et je n'avais pas envie qu'il lui arrive quelque chose. D'un commun accord
on a décidé que le resto ce serait pour une autre fois.
Donc il s'est résigné et a demandé à Charlie
de l'emmener au Groupe. Jusque là rien d'étonnant me direz-vous.
Lorsque nous sommes arrivés, je suis descendue de la limousine
et je me suis dirigée vers ma voiture abandonnant Largo au pied
de l'ascenseur, puisqu'il était en sécurité au Groupe.
Il m'a rattrapée, m'a prise par le bras et m'a déclaré
que la soirée ne faisait que commencer et qu'il était hors
de question que je rentre chez moi. J'aurais dû lui dire non et
résister. Et qu'est-ce que j'ai fait ? J'ai dit oui et je n'ai
pas résisté. Vous avez vu un peu ? Quand il s'amuse à
jouer les chevaliers servants avec moi qu'est-ce que je fais ? Je craque
comme une vulgaire adolescente, je me laisse faire et je ne riposte pas.
C'est l'effet que Largo a sur moi. Il arrive à me faire faire n'importe
quoi. Arrivés au Penthouse depuis quelques instants, j'enlève
mes escarpins qui me font mal aux pieds depuis le début de la soirée.
C'est beaucoup plus agréable d'être pieds nus que juchée
sur des talons aiguilles de 8 cm. Largo a disparu dans la cuisine et je
ne sais pas ce qu'il mijote. Il a une idée derrière la tête
ça c'est sûr. Je me demande encore ce que je fais là,
en compagnie d'un homme qui ne cesse de me courtiser très discrètement
depuis plusieurs semaines et surtout un homme qui va arriver à
ses fins si je ne mets pas les choses au point de suite. Largo ? Qu'est-ce que tu fais ? Visiblement, il avait préparé son coup. C'est vrai, d'habitude
Simon nous accompagne quand on décide de quitter une réception
mais là, il s'est contenté de nous regarder partir sans
rien dire. C'est bizarre, c'est pas clair et surtout ça cache quelque
chose et j'aimerais bien savoir quoi. Tout d'un coup je vois Largo sortir de la cuisine un petit gâteau
à la main sur lequel il a allumé une bougie symbolique.
Il avance doucement en ma direction, lui aussi pieds nus et je continue
à me demander ce qu'il est en train de faire. Pourquoi un gâteau
et une bougie ? Ce n'est pas mon anniversaire que je sache. Il arrive
à ma hauteur, s'arrête et me regarde tendrement avec un sourire
à moitié timide et à moitié amusé. Souffle. Je m'exécute. La bougie s'éteint et un petit filet de fumée
s'évapore dans l'air. Je le regarde droit dans les yeux et il voit
bien que je n'ai toujours pas compris à quoi rimait tout ce remue-ménage.
Il baisse les yeux, se dirige vers son bureau y dépose le gâteau
et me dit en se retournant : Ca fait un an aujourd'hui qu'on s'est embrassés pour la première
fois. Je sais parfaitement ce qui c'est passé en Arctique et après
la libération de Simon, mais ça fait un an qu'on s'est embrassés
tous les deux pour la première fois de manière réfléchie,
sûrs de nous et de nos actes. Il avait dit ça d'une manière tellement romantique et sincère
que je ne pus m'empêcher d'être touchée au plus profond
de mon être. Largo se souvenait de détails ahurissants nous
concernant montrant qu'il n'avait pas tiré un trait sur nous deux.
Et c'est bien ça qui m'embêtait, nous deux. Il n'y a plus
eu de nous deux à partir du moment où j'ai refusé
de m'engager et où j'ai voulu reprendre mon boulot. Comme si cette
stupide excuse arriverait à m'éloigner assez longtemps de
Largo et qu'il parvienne à m'oublier
Mais visiblement c'est
l'inverse qui se produisait. Il se raccrochait à de petits détails,
espérant que cela nous rapproche. Je n'avais toujours rien dit et Largo vit que je me battais avec mes
propres démons, ne sachant comment réagir à cette
adorable attention. Je n'imaginais pas que tu puisses te souvenir de détails
aussi précis nous concernant. J'étais au pied du mur. Je ne pouvais plus éviter la situation.
Et je lui devais une réponse. Je me dirigea vers la baie vitrée,
de là, je pouvais le voir dans le reflet de la vitre. Je me lance,
et je ne sais vraiment pas comment lui expliquer les choses
Les deux choses auxquelles je tiens le plus actuellement dans ma vie
sont mon travail et toi. Je ne veux en aucun cas perdre mon travail et
pire encore je ne veux pas te perdre. Tout ce que je sais c'est que créer
cette situation m'empêche d'avoir à prendre une décision
te concernant. Mais le problème c'est que j'ai terriblement peur
et je n'ai absolument pas confiance en moi. Dès qu'il s'agit de
ma vie sentimentale tout part de travers et tout me fait souffrir. Et
je préfère encore que rien ne se passe entre nous plutôt
que souffrir et que je finisse par te perdre pour de bon. Je pouvais le voir dans le reflet de la baie vitrée. Il s'était
assis sur son bureau, la tête baissée et il ne répondait
rien. Il fixait inlassablement le sol. Je me tourna alors en sa direction
et rien n'y changea. Il ne bougeait toujours pas. Je me rapprochais de
lui et j'essayais de comprendre ce qu'il faisait. Je m'arrêta en
face de lui. Largo
Regarde-moi. Il ne releva pas la tête et resta de marbre. Largo
L'appeler ne servirait à rien , je l'avais bien compris. Je pris
son menton de ma main droite et je le força à relever la
tête. Il pleurait. Je n'avais jamais vu un homme pleurer de cette
manière. C'était absolument bouleversant. Je venais de faire
pleurer largo avec mon discours à deux balles. Largo
Ne te mets pas dans un état pareil, voyons
Et c'est à ce moment précis qu'il m'a prise dans ses bras et qu'il m'a embrassée. Un baiser extrêmement sensuel. Le plus doux baiser qu'on m'ait donné. Il me tenait fort dans ses bras et je n'arrivais pas à m'en détacher. Même avec toute la volonté du monde je n'y arrivais pas. Je sentais les muscles de Largo se contracter et me serrer le plus fortement possible. Et je ne voulais pas que ce baiser s'arrête, oh non, je ne le voulais pas. Et ce baiser, ne s'est pas arrêté. Largo et moi avons fini par faire l'amour sur son bureau, puis sur son canapé, dans son lit, puis dans la salle de bains. Je n'avais jamais ressenti autant de passion et de désir qu'avec lui. Une vraie tornade de sentiments. Le septième ciel, le vrai Joy ? Hey ! Joy tu rêves ou quoi ? Simon me donne une légère tape sur l'épaule et me
sort de ma torpeur. Bon, tu vas le chercher, j'en ai marre moi, j'ai envie de rentrer,
c'est vrai , elle est nulle cette soirée et dire que j'aurais pu
la passer avec Laura
FIN |