Bouleversements
par Sophie
- "
tchoum ! Bon sang je déteste le froid, je déteste
l'hiver, je déteste les magasins bondés, je déteste le
matin, je..."
- Bonjour aussi, Simon ! "rit Largo.
Il faisait froid ce samedi 23 décembre et Simon venait, comme à son habitude, d'entrer dans l'appartement de son ami sans s'annoncer. Le jeune milliardaire était attablé devant son petit déjeuner, et, plus que par la mauvaise humeur du Suisse, il était étonné par son arrivée aussi matinale. Enfin, il était 10 heures , mais c'était malgré tout très tôt pour voir Simon debout. Il avait l'air morose.
- "Qu'est ce qui t'arrive ?" demanda Largo, surpris par le silence
et la mine sombre de son ami.
- "Rien, ça va."
- "Oh, ne me raconte pas d'histoires ! Je te connais mieux que n'importe
qui, quand tu fais cette tête là, c'est qu'il y a un truc important
qui te contrarie."
Après une seconde d'hésitation, Simon se lança :
- "Je devais passer noël à Monte Carlo avec Vanessa et finalement,
elle préfère partir en Thaïlande avec son aristo de mari."
- "Tu ne l'aimes pas ?"
- "C'est pas ça, oublie ce que je viens de dire. Je suis juste déçu.
Ca fait longtemps que je n'ai pas vu ma sur et j'aurais voulu que ça
puisse se faire. Tu sais, j'ai quelques souvenirs de noël quand on était
petits, c'était magique. Je crois que ce sont mes premiers souvenirs
d'enfant. Quand j'y repense, je sens encore l'odeur de la résine de sapin,
je vois le scintillement des bougies et puis nos disputes à Vanessa et
moi pour savoir qui aurait le droit de mettre l'étoile à la cime
de l'arbre de noël ! Je crains de devenir un vieux nostalgique, mais je
crois que noël, c'est fait pour être passé en famille."
Largo n'eut pas le temps de répondre, quelqu'un frappait à la
porte. Après qu'il eut donné son aval, Joy entra, souriante. Elle
avait l'air d'être de très bonne humeur.
- "Salut
Simon
que vois-je ? Tu as décidé d'expérimenter
par toi même la signification du mot "matin" ?? Mais c'est un
miracle, vite, réclamons une messe d'actions de grâce pour Saint
Réveil ! " plaisanta-t-elle.
- "Hé, Joy, tu me lâches, tu veux !" rétorqua
Simon un peu sèchement.
La jeune femme jeta un coup d'il interloqué sur le Suisse. Elle
était très surprise qu'il ne la suive pas pour une de leurs sempiternelles
joutes verbales. Son regard se fit alors interrogateur et croisa celui de Largo.
Cet échange lui suffit pour comprendre qu'il lui parlerait plus tard
et que Simon était réellement affecté. Elle choisit de
changer de sujet et revint au motif de sa visite.
- "Vous avez prévu quelque chose de particulier aujourd'hui ?"
demanda-t-elle d'un ton enjoué.
- "Et bien j'avais un dossier qui sera discuté lundi à relire,
mais ça ne me prendra certainement pas toute la journée. Sorti
de ça, non, rien de spécial pour moi. Pourquoi ?" fit Largo,
intrigué.
- "Et bien, je me disais que ça serait sympa d'aller patiner au
Rockefeller. Ca vous tente ?"
- "Oh, oui ! Excellente idée. Qu'est ce que tu en dis Simon ?"
- "Euh, non, je vous remercie. J'ai déjà prévu un
truc pour aujourd'hui." répondit ce dernier avant de sortir un peu
précipitamment.
Les deux autres regardèrent la porte se refermer derrière lui
puis Joy se tourna vers Largo et lui demanda :
- "Tu m'expliques quelle mouche l'a piqué, maintenant ?"
- "Il vient d'apprendre que, finalement, sa sur préfère
passer noël en tête à tête avec son mari en Thaïlande
que de rester à Monaco et de l'accueillir."
- "Décidément, Vanessa manque vraiment du tact le plus élémentaire.
D'accord, comme elle est la sur de Simon, ça s'explique un peu.
Mais elle pourrait comprendre qu'il ait envie de passer un peu de temps avec
elle. Après tout, il ne se sont perdus de vue pendant tellement longtemps
Elle manque soit de sensibilité, soit de jugeote
Plus probablement
des deux, réflexion faite !"
- "Et bien, si avec ça elle n'a pas les oreilles qui sifflent
Elle est un peu écervelée, d'accord, mais je crois qu'elle est
gentille dans le fond. Je te trouve bien dure avec elle."
- "Pour une fois, je comprends Simon : pense au nombre de fois où
il s'est mis dans la panade jusqu'au cou, et nous avec, accessoirement, pour
la tirer d'affaire. Elle lui est au moins redevable de ça, tu ne crois
pas ?"
- "C'est vrai
Et puis il m'a aussi fait comprendre à demi-mots
qu'il aurait voulu retrouver une véritable atmosphère de noël
: famille, dinde aux marrons trop cuite, sapin et guirlandes clignotantes qui
tombent en panne
Tu vois le genre !"
- "Oui, je vois
enfin j'imagine."
- "Et toi, qu'est ce que tu as prévu pour le réveillon ?"
- "Tu vas rire : je remplis le frigo avec un max de cochonneries plus caloriques
les unes que les autres, je loue une pile de DVD et je passe la soirée
devant la télé en mangeant de la glace à même le
pot ! Tu sais pour moi, noël, ça n'a jamais eu grand sens
On ne peut pas dire que ça changeait grand chose chez moi quand j'étais
enfant. J'ai quelques souvenirs de courses avec ma mère, son rire quand
je restais émerveillée devant les lumières, les automates
dans les vitrines des magasins, les gens qui se promenaient, les bras chargés
de cadeaux
Des réveillons, je ne conserve aucune image, je suppose
que ça ne devait pas être mémorable. Après le décès
de ma mère, j'ai systématiquement passé noël en pension
puis seule, ce qui n'était pas plus mal qu'en tête à tête
avec mon père !"
Largo était à la fois surpris et flatté par ces révélations.
Joy se livrait si peu souvent à des confidences sur sa vie
Il resta
muet durant quelques instants sans savoir comment lui faire part de cette émotion.
La jeune femme se méprit sur son silence et ajouta, un peu gênée,
comme pour le dérider :
- "Désolée, on dirait Les Misérables en plus mauvais.
J'espère que je n'ai pas ravivé des souvenirs désagréables.
Je me doute que ça n'a pas dû être simple pour toi non plus.
Si on parlait d'autre chose : quand est ce qu'on part ?"
Largo renonça à lui expliquer et répondit :
- "Quand tu voudras. Tu as proposé à Kerensky de venir avec
nous ?"
- "Oui, évidemment. Mais il m'a répondu que tourner en rond
sur un cercle de 30 mètres au milieu de gamins braillards, capitalistes
pourris en devenir, ça ne le branchait pas du tout ! Il a continué
en m'expliquant que c'est quand même autre chose de patiner sur la Neva
! Mais, bon, il nous souhaite quand même une bonne journée !"
- "C'est tout lui ! Et bien, je vois que le reste de l'équipe nous
abandonne, il ne reste que deux courageux pour affronter la rudesse du climat.
On y va ?"
Les jeunes gens, emmitouflés dans plusieurs épaisseurs de vêtements,
écharpe autour du cou et bonnet sur la tête, sortirent de l'immeuble.
Dans un rire, Largo remarqua qu'ainsi vêtus, il n'y avait aucune chance
qu'on les reconnaisse : on voyait à peine dépasser leurs yeux
et le bout de leur nez. Joy acquiesça et accepta donc qu'ils partent
à pied. Le froid était très vif malgré le soleil
radieux, mais ils étaient bien couverts et ils se réchauffaient
en marchant d'un bon pas. En peu de temps, ils arrivèrent devant le grand
sapin de noël égayant Rockefeller plaza. Toujours de très
bonne humeur, ils chaussèrent leurs patins et s'élancèrent
sur la glace. L'atmosphère glacée avait dû décourager
une partie des gens et un certain nombre d'autres devait déjà
avoir quitté New - York pour passer les fêtes en famille. De ce
fait, il était possible de patiner sans trop subir la bousculade. Pendant
plus de trois heures, Largo et Joy patinèrent en discutant et en riant.
L'exercice physique les avaient réchauffés et ils avaient ôté
écharpes, bonnets et vestes. Une parfaite harmonie régnait entre
les deux et n'importe lequel des badauds présents autour de la patinoire
les aurait pris pour un couple d'amoureux. Largo demanda grâce le premier.
- "Je n'en peux plus, je meurs de chaud et surtout je crève de faim
!"
Le rire franc de Joy lui répondit. Dans une envolée de cristaux
de glace, elle s'arrêta auprès de lui. Largo l'observait avec intensité
: le soleil jouait dans ses cheveux, leur donnant un éclat incomparable,
ses yeux pétillaient de joie et avec ses joues roses, elle avait incroyablement
bonne mine. Aucun des deux ne voulait rompre ce moment de charme pur où
tout pouvait basculer. Mais Joy fut bousculée par un enfant qui tombait
et les regards se perdirent
- "Où est ce qu'on va manger ?" demanda-t-elle pour reprendre
le contrôle de la situation.
- "Heu, je ne sais pas. Tu as envie de quelques chose de spécial
?" fit Largo tout en refermant sa veste. Il avait à l'évidence
plus de mal qu'elle a reprendre ses esprits et se demanda un instant s'il ne
se faisait pas des idées sur ce qu'il avait eu l'impression de percevoir.
- "Oh, j'ai une idée. Tu fais quoi, toi, pour le réveillon
?"
- "Et bien, Sullivan m'a proposé de venir le passer en famille chez
lui. Il y aura sa fille Kathreen et quelques amis. Mais je n'ai pas donné
ma réponse. Je n'ai pas envie de m'imposer. Ils ont besoin de se retrouver.
A quoi as tu pensé ?"
- "Et bien, je trouve qu'on devrait faire ça tous les quatre puisque
apparemment aucun d'entre nous n'a prévu quoi que ce soit. Kerensky avait
un programme digne du mien, sauf que le tête à tête avec
la télé doit être remplacé par une soirée
romantique avec un nouveau logiciel quelconque ! Et comme on ne peut pas dire
que ton appartement soit trop désagréable, tu es désigné
volontaire pour nous accueillir !"
- "C'est une excellente idée, seulement est ce que tu veux bien
expliquer à mon cerveau primaire quel est le rapport avec l'endroit où
nous allons déjeuner ?"
- "Oh, pardon ! Il est indispensable d'avoir un décor adapté
à la circonstance, donc, on achète un sandwich et on va dévaliser
les magasins !"
- "Mamma Mia ! Mais tu veux ma mort ? Tu as décidé de m'achever
aujourd'hui ?" rit Largo. "Je ne sais pas ce qui t'arrive mais tu
as une énergie et une bonne humeur incroyables !"
Ils revinrent au groupe en fin d'après midi, les bras chargés
de paquets et épuisés. Ils traversèrent le hall en riant
et en se bousculant comme des gamins, sous les yeux ébahis des réceptionnistes
et des vigiles de la sécurité. Ils s'engouffrèrent dans
l'ascenseur et montèrent jusqu'à l'appartement de Largo. Là,
ils purent enfin déposer leur fardeau et s'asseoir.
- "Tu veux boire quelque chose ?" demanda Largo
- "Oh, si tu me faisais un thé, ce serait génial ! J'ai l'impression
d'avoir deux glaçons au bout des bras !" s'exclama-t-elle.
Largo se leva et se dirigea vers la cuisine. Quelques secondes plus tard, Joy,
sentant une douce torpeur l'envahir, se leva et se dirigea vers la baie vitrée.
Il faisait maintenant nuit noire et des milliers de lumières scintillaient.
Tant de foyers où l'on s'apprêtait à fêter dignement,
qui le petit Jésus, qui le père noël, qui le simple bonheur
d'avoir trouvé une occasion de faire la fête. Dans ces appartements
éclairés, nombre d'enfants attendaient avec impatience le jour
où ils pourraient découvrir leurs cadeaux. Les parents devaient
prendre des photos pour immortaliser ces moments de joie
Joy était
plongée dans ses réflexions et n'entendit pas Largo revenir dans
la pièce. Il posa son plateau sur la table basse, s'approcha d'elle sans
bruit et passa un bras autour de sa taille. Surprise, la jeune femme sursauta
et se retourna, se trouvant ainsi face à face avec lui. Comme plus tôt
ce jour là, ils se retrouvaient les yeux dans les yeux, à une
importante différence près : cette fois, ils étaient seuls,
aucun enfant turbulent ne viendrait s'interposer. De sa main libre Largo glissa
une mèche des cheveux de Joy derrière son oreille. Ses doigts
s'attardèrent en une lente caresse sur sa joue. Voyant qu'elle ne le
repoussait pas comme à son habitude, il s'enhardit et sa main poursuivit
son exploration le long de son cou. Joy détourna le regard, rompant ainsi
le contact établi. Instantanément, Largo comprit qu'elle allait
lui échapper et, faisant fi des conséquences, décida de
se jeter à l'eau. De son bras droit, il resserra son étreinte
tandis que sa main gauche attrapait son menton, l'obligeant ainsi à lui
faire face. Alors, il se pencha vers elle et, ses lèvres navigant du
creux de son cou à son oreille, il lui murmura ces mots tant de fois
répétés par tous les amoureux du monde
Dans la tête de Joy, de multiples pensées s'entrechoquaient, dominées
par plusieurs sentiments contradictoires, les plus antagonistes étant
sans doute peur et désir. Depuis tellement longtemps, elle attendait
et appréhendait à la fois ce moment où ils sauteraient
le pas de la simple amitié. Elle ne voulait pas être un numéro
de plus sur la déjà longue liste des conquêtes de Largo
; mais la sensation des lèvres du jeune homme dans son cou lui ôtait
toute volonté et lui fit remettre à plus tard une nécessaire
mise au point. Après tout, tant pis, quoi qu'il puisse advenir dans le
futur, au moins le désir ne serait plus là, latent, surgissant
aux moments les moins opportuns et les laissant tous deux gênés
et décontenancés. Cette pensée formulée, Joy se
détendit et se serra étroitement contre lui. Ses mains se coulèrent
sous le pull du jeune homme et atteignirent la peau chaude de son dos. Largo
continuait son exploration : il ouvrait lentement le chemisier de sa compagne,
s'interrompant entre chaque bouton pour embrasser la parcelle de peau découverte.
Intérieurement, Joy se félicita d'avoir choisi , par le plus grand
des hasards, un soutien-gorge qui la mettait particulièrement en valeur.
Cette pensée un peu pragmatique dans les circonstances la perturba. Largo
s'en rendit compte et se méprit sur les pensées de la jeune femme.
Il redressa la tête et riva ses yeux aux siens. De crainte qu'elle ne
doute, il voulait lui transmettre tout ce qu'il ne parvenait pas mettre en mots
: qu'il l'admirait, qu'elle l'impressionnait, qu'elle le surprenait sans cesse,
qu'elle l'émouvait et aussi, qu'à cet instant, il la désirait
intensément
Pas comme une aventure d'un soir, mais comme une femme
qu'il était désormais conscient d'aimer profondément. Le
sourire tendre et serein de Joy lui permit de comprendre qu'elle avait bien
saisi. Il prit sa main et, sans qu'elle oppose la moindre résistance,
l'entraîna dans sa chambre.
Doucement, il retira sa chemise ouverte, passant et repassant sa main sur la
peau douce de son ventre. Ce contact l'électrisait. Puis il la bascula
en travers du lit et avec des gestes d'une infinie douceur, finit de la dévêtir.
Leurs regards restaient comme aimantés l'un à l'autre. Quand elle
fut nue, d'un geste il ôta son pull, s'allongea à côté
d'elle et entreprit de découvrir son corps. Ses mains, sa bouche, ses
yeux, tout était instrument de caresse. Joy sentait son désir
s'intensifier en même temps que montait en elle une excitante frustration
: contrairement à elle, Largo portait encore la quasi totalité
de ses vêtements et surtout, ses baisers évitaient soigneusement
la bouche de la jeune femme ! N'y tenant plus, elle le repoussa et se jeta sur
lui avec une avidité flatteuse. Elle voulait ses lèvres sous les
siennes, explorer sa bouche de sa langue, elle voulait ne faire qu'un avec lui,
se trouver hors d'haleine et comblée
Joy décida qu'il était temps de mettre son projet à exécution.
Elle se pencha sur lui et posa sa bouche sur la sienne, sans rien chercher de
plus d'abord que le contact et la chaleur de ses lèvres souples. Puis,
mordillant la lèvre inférieure du jeune homme, elle l'incita à
la laisser entrer. Ravi de cette situation qu'il avait sciemment provoquée,
Largo se laissait faire et il entrouvrit la bouche. Avec un mélange de
retenue et d'audace, Joy se glissa dans l'espace offert. De tendre, leur baiser
se fit de plus en plus passionné à mesure que leur cur battait
plus vite et qu'ils manquaient peu à peu d'air. Les mains de la jeune
femme se coulèrent jusqu'à la ceinture de Largo. En une seconde,
elle eut défait les boutons de son jean et le fit descendre le long de
ses hanches. Son caleçon suivit le même chemin quelques instants
plus tard. Alors, Joy rompit leur étreinte et, s'agenouillant sur le
bassin de son partenaire, le fit glisser en elle. Doucement d'abord, elle commença
à bouger, puis , peu à peu plus rapidement. Observant le visage
de Largo, elle modulait ses mouvements pour l'amener au paroxysme du plaisir,
ralentissant quand elle voyait ses traits se tendre, accélérant
lorsqu'elle le sentait se calmer. Les yeux dans les yeux, chacun acceptait d'être
vu par l'autre dans son expression la plus incontrôlable. Ils se faisaient
naturellement confiance. Lorsque Largo ne put plus longtemps se maîtriser,
il saisit les hanches de Joy comme pour mieux la retenir. Quelques secondes
plus tard, elle renversa la tête en arrière et Largo la sentit
se contracter autour de lui avant de se détendre et de retomber sur son
torse. Serrés l'un contre l'autre, ils bougeaient pas, ne parlaient pas,
tentant de retenir la magie du moment. De toute façon, quoi qu'ils eussent
pu dire, les mots auraient semblé plats et déplacés au
regard de l'instant d'extase qu'ils venaient de vivre.
- "Tu ne crois pas qu'on pourrait s'y mettre ?"
- "Mmmhh, à quoi ?" maugréa Largo qui ne voyait pas
d'un très bon il l'idée de bouger.
Il était allongé dans le lit aux draps froissés, les yeux
mi-clos, les deux bras repliés derrière la tête. Joy, appuyée
sur un coude, était penchée sur lui et laissait courir ses doigts
sur son ventre. A dire vrai, il n'avait absolument pas l'intention de se lever
et ses projets pour le reste de la soirée prenaient plutôt une
direction horizontale.
- "Et bien, tu crois que toute la déco qu'on a acheté va
se mettre en place toute seule ?" rit elle
- "Heu, c'est noël, non ? On ne pourrait pas laisser le boulot au
vieux en rouge et s'occuper de nous ?" répondit il, souriant, en
se serrant contre elle.
- "Tu es intenable !" fit elle en se dégageant.
D'un bond, elle fut debout et enfila rapidement des vêtements. Elle resta
pieds nus, considérant que la douceur de l'épaisse moquette valait
largement ses chaussettes humides.
Sur un regard engageant, Joy quitta la chambre et passa dans le bureau. Comprenant
qu'il avait perdu cette manche, Largo se décida à la suivre. Il
enfila rapidement son jean et un pull et la rejoignit. Elle avait déjà
ouvert plusieurs sacs et étalait tout ce qui lui tombait sous la main.
Largo rit en la voyant ainsi affairée au milieu des boules et des guirlandes.
Il glissa ses mains autour de sa taille et l'embrassa légèrement.
- "Tu ne crois pas qu'on pourrait commencer par le commencement ?"
- "A savoir ?" demanda la jeune femme.
- "Et, bien, je crois qu'il serait content de retrouver une motte de terre
digne de ce nom et d'être arrosé. On l'a un peu oublié et
mon petit doigt me dit qu'il commence à se lasser !" lui répondit
Largo en désignant du menton le sapin qui gisait dans un coin.
Ils passèrent ainsi une bonne partie de la soirée à rendre
l'appartement aussi chaleureux et accueillant que possible. L'arbre de noël
avait maintenant meilleure allure : il étincelait de guirlandes et de
boules. Ils avaient disposé sur les murs des branches de houx et de sapin
qui embaumaient. Sur des nappes rouges et vertes, des bougies trônaient.
Enlacés au milieu de la pièce, ils commentaient leur uvre
en riant. On frappa à la porte de l'appartement. Instantanément,
Joy s'éloigna et lâcha sa main.
- "Ne dis rien. On fait comme s'il ne s'était rien passé
!" demanda-t-elle d'une voix oppressée.
Largo fut tenté de la contredire arguant que, de toutes les manières,
ils ne garderaient pas longtemps le secret mais, en voyant le regard suppliant
de Joy, il comprit qu'elle n'était pas prête à s'afficher
avec lui et qu'elle avait besoin de faire le point. Trop de questions restaient
en suspend. Adressant un sourire rassurant et complice à la jeune femme,
il incita le visiteur à entrer.
- "Je trouvais anormal que personne ne soit venu me casser les pieds et
les oreilles aujourd'hui. Je m'inquiétais de votre santé, camarades."
persifla Georgi d'un ton froid démenti par un éclair amical au
fond de ses yeux bleus. "Mmmhh, apparemment, vous avez l'air en vie, la
glace de la patinoire semble avoir été clémente avec vos
abattis. Attention quand même, c'est par les pieds qu'on s'enrhume !"
ajouta-t-il sardonique en voyant Largo et Joy pieds nus.
Cette dernière, comme prise en faute, rougit légèrement,
mais se reprit et répondit avec vivacité :
- "Qu'est ce que tu crois, avec le temps qu'il fait et la neige plein les
rues, on avait les pieds trempés
Tu le saurais si tu passais de
temps en temps par la case rez-de-chaussée de cet immeuble au lieu de
rester au sous-sol vingt heures par jour !"
Si Georgi avait pu passer à côté des joues empourprées
de Joy - ce qui n'était pas le cas - sa piètre répartie
aurait de toute façon suffit à lui mettre la puce à l'oreille
: la jeune femme était clairement déstabilisée. Même
si le russe avait déjà une vague idée de ce qui avait pu
se passer au cours de cette journée, il choisit de ne pas pousser plus
loin ses investigations, se contentant d'un regard pénétrant en
direction de Joy qui détourna les yeux. Ce manège amusait Largo
mais il décida de venir en aide à la jeune femme qui, visiblement,
paniquait.
- "Que penses tu de la décoration ?" demanda-t-il pour détourner
l'attention de Kerensky.
- "Pas mal
Je dois reconnaître que ça donne un style
plus humain à cet appartement de capitaliste cupide." plaisanta-t-il.
- "Tu daigneras donc honorer notre réveillon de ton auguste présence
?" enchaîna Largo sur le même ton.
- "Ca se pourrait, à la condition express qu'il y ait du caviar
et de la vodka au menu. Et puis aussi que je puisse amener un bâillon
au cas où Simon deviendrait trop pénible !"
- "T'inquiète pas, s'il est dans le même état qu'aujourd'hui,
il ne risque pas de se montrer trop exubérant." intervint Joy, remise
de ses émotions.
- "Qu'est ce qu'il a ? Il s'est rendu compte que la sublime blonde avec
laquelle il comptait passer le réveillon, se trouve être, le jour,
un mâle viril ?" questionna Georgi.
Cette remarque fit sourire les deux autres mais ce fut d'un ton sérieux
et relativement ennuyé que Largo répondit :
- "En fait de grande blonde, le problème vient plutôt d'une
petite brune, en la personne de Vanessa, avec qui il devait passer noël
et qui préfère la Thaïlande à un réveillon
avec son frère."
- "Ah, effectivement, c'est plus sérieux que ce que je pensais !
" fut le seul commentaire laconique de Georgi qui, comme Joy, ne portait
pas vraiment la sur de Simon dans son cur mais connaissait l'attachement
du Suisse à la jeune femme.
- "Bah, on connaît tous Simon, quelques bonnes bouteilles, quelques
blagues vaseuses et de quoi remplir son estomac et il n'y paraîtra plus
!" fit Largo, comme pour s'en convaincre.
- "Oui, et puis de toute façon, on fera ce qu'il faut pour que ça
aille ! Bon, très bien, je suis rassuré sur votre sort, je vais
rentrer, j'ai fait mes vingt heures réglementaires" termina Georgi,
ajoutant cette dernière remarque à l'attention de Joy.
Sur ces mots et un signe de la main, il tourna les talons et regagna la porte.
A peine celle-ci refermée, Joy se tourna vers Largo :
- "Tu crois qu'il a deviné ?"
- "Quoi donc ?"demanda Largo en faisant mine de ne pas comprendre.
- "Arrête, tu n'es pas drôle ! Tu sais très bien
Pour nous je veux dire
"fit-elle avec une certaine anxiété.
Largo haussa les épaules mais voyant que Joy attendait une réponse,
il lui répondit :
- "Que veux tu que je te dise ? Georgi est loin d'être idiot et le
fait de te trouver ici à dix heures passées, apparemment peu pressée
de partir n'a pas dû manquer de le faire tiquer. Mais, même s'il
se doute de quelque chose, je pense qu'on peut compter sur sa discrétion.
Il nous cuisinera sans doute en privé mais ne révèlera
rien tant qu'on ne le fera pas."
Joy resta silencieuse, plongée dans ses pensées, un pli soucieux
barrait son front. Largo l'attrapa par la taille et l'entraîna dans une
valse rapide destinée à lui faire retrouver le sourire. Ce fut
rapidement le cas et la morosité de la jeune femme s'envola. Essoufflés,
ils s'arrêtèrent au milieu de la pièce.
- "Qu'est ce qu'on commande à manger ?" demanda Largo.
- "Rien du tout pour moi, je vais rentrer." répondit-elle,
redevenue sérieuse tout à coup.
- "Tu ne veux pas rester ?"
- "Je ne crois pas que ce soit une bonne idée. J'ai besoin d'un
peu de calme. Et puis, je voudrais qu'on garde un moment ça pour nous
seuls. Ce n'est pas que je ne sois pas sûre de ce que tu ressens, encore
moins de ce que je ressens, c'est juste que je n'ai pas le courage de subir
tout de suite les sarcasmes et les attaques qui ne manqueront pas quand les
gens sauront. C'est vrai, dans le fond, pour la plupart des gens, je ne suis
que ton garde du corps, au mieux, une amie. Dès que notre liaison s'ébruitera,
les langues de vipères vont se déchaîner, on va sans doute
pas mal nous égratigner
Attends toi à subir les assauts
de la presse people ! C'est du pain béni pour eux : la petite employée
qui arrive à mettre le grappin sur son richissime patron
C'est
pas loin d'être aussi vendeur que Cendrillon !" tenta-t-elle de lui
expliquer en caressant doucement sa joue.
Voyant qu'elle ne céderait pas, et même s'il se foutait totalement
des arguments qu'elle lui avait avancés, il la serra dans ses bras et
répondit juste :
- "Tu vas me manquer
Je vais très mal dormir !"
Elle rit et se dégagea de son étreinte. Elle enfila rapidement
chaussures, manteau et écharpe avant de regagner les bras de son amant
pour une dernière étreinte. Ils eurent du mal à se séparer
mais, après un dernier baiser, la porte finit par se dresser entre eux.
D'un pas vif et un sourire énigmatique aux lèvres, Joy parcourut
le couloir qui la séparait de l'ascenseur : elle avait volontairement
"oublié" son soutien gorge dans la chambre de Largo et se doutait
que celui-ci regretterait d'autant plus son départ que la pièce
de lingerie serait là pour lui rappeler les douces heures de la soirée
*****************************
Une sonnerie insistante réveilla Largo. Après avoir jeté
le réveil par terre et avoir fait suivre le même chemin au téléphone,
il se rendit compte que le responsable de ce bruit odieux n'était autre
que son cellulaire. Les yeux encore fermés, il chercha à tâtons
à attraper le combiné, le fit évidemment tomber, le ramassa
en pestant et finit par trouver le chemin jusqu'à son oreille.
- "Largo Winch." grommela-t-il, faute de trouver une insulte bien
sentie à destination de l'inopportun.
- "On a un gros pépin. Tu peux descendre ?" demanda la voix
tendue de Georgi qui raccrocha sans attendre la réponse.
Cette simple phrase réveilla complètement le jeune milliardaire.
Il sauta hors de son lit et fut prêt en un rien de temps. Il se précipita
vers l'ascenseur et l'appela. Il ne se passa rien. En pestant, il prit un couloir
et appela un autre ascenseur, rien non plus ! Bon sang, il allait être
obligé de dégringoler les 60 étages menant au bunker à
pied. "Tu parles d'un dimanche matin ! "pensa-t-il, de très
mauvaise humeur. Cependant, il commençait à comprendre la nature
du problème mentionné par Kerensky. Ses doutes se confirmèrent
dans la cage d'escalier : les lumières étaient réduites
aux signaux des issues de secours et il manqua plusieurs fois de trébucher.
A l'évidence, il n'y avait plus d'électricité dans l'immeuble.
Malgré sa bonne condition physique, il mit un temps certain à
descendre au sous-sol mais finit par arriver au bunker. Durant la descente,
il avait largement eu le temps de se calmer et voyait maintenant la situation
avec un certain amusement : après tout, on était dimanche, et
qui plus est, le 24 décembre, une bonne partie du personnel était
en vacances et le building était pratiquement désert. C'est donc
un Largo plutôt détendu qui poussa la porte du bunker. Il faillit
tomber à la renverse en voyant l'état de leur quartier général.
Puis il partit d'un grand éclat de rire : Kerensky avait pris la peine
de décorer la pièce aux couleurs de noël : la lumière
bleutée habituelle était remplacée par un éclairage
doré, nettement plus chaud, des guirlandes courraient le long des murs
et le russe avait poussé le vice jusqu'à poser de petits pères
noëls sur les bureaux.
- "Tu cherches à savoir qui a saccagé le bunker de cette
manière ? C'est çà le gros pépin ?" railla
Largo.
- "Je prendrais le temps de répondre à cette attaque vile
et minable s'il n'y avait pas plus urgent ! Mais là, le problème
est réel : tu as dû constater qu'on est privés d'électricité."
fit le russe en jetant un regard glacial à son patron mais néanmoins
ami.
- "Je ne te le fais pas dire : je viens de me taper 60 étages à
pied. Je me considère comme dispensé de footing pour le millénaire
à venir ! D'ailleurs, il faudra que tu m'expliques comment il se fait
qu'ici tout fonctionne normalement !"
- "Ca me paraît évident : j'ai détourné une
partie de l'énergie des générateurs de secours ! En l'occurrence,
celle qui alimente les ascenseurs !"
- "Je te remercie de cette délicate attention, faux frère
! Bon, fais moi un topo de la situation."
- "Les groupes électrogènes suffisent juste à maintenir
en marche les éléments vitaux, à savoir, le système
de sécurité - donc les machines du bunker - et les réseaux
connectés sur les filiales de l'étranger. J'ai lancé ce
que je pouvais comme transferts de fichiers pour protéger les données
importantes, mais ça manque cruellement de puissance et ça rame.
Ca, c'était au rayon des bonnes nouvelles. Pour les mauvaises, les ascenseurs,
tu peux faire un croix dessus, de même que la lumière et le chauffage."
- "Tu as appelé la compagnie d'électricité ?"
demanda Largo d'un seul coup moins optimiste.
- "Evidemment, pour qui me prends tu ? J'ai du batailler ferme pour obtenir
quelqu'un d'un tout petit peu compétant et ayant un minimum de pouvoir
décisionnel, mais bon, j'ai fini par réveiller le vice-président
de la firme. Il s'avère qu'une bonne partie de New - York est dans le
noir et que ton précieux building étant principalement un immeuble
de bureaux, vide ou presque un dimanche, il est très loin dans leur liste
de priorités ! Bizarrement, ils préfèrent essayer de rétablir
le courant dans les hôpitaux et les immeubles d'habitation en premier
! "lâcha-t-il, sarcastique.
- "Et merde ! Ils en ont pour combien de temps à tout remettre en
état ?" demanda Largo d'un ton maussade.
- "Là, j'avoue mon impuissance, j'ai eu beau déployer des
trésors de persuasion, pas moyen d'avoir la moindre idée du délai.
Sans doute deux jours au mieux, d'après ce que je peux estimer."
- "Bon sang, avec le froid qu'il fait en ce moment, on va très vite
se cailler dans un immeuble de cette taille. On a intérêt à
se tirer d'ici vite fait !"
Un silence s'ensuivit puis Largo sortit son cellulaire et appela Sullivan.
- "John ? Bonjour. Navré de vous réveiller un dimanche matin
d'autant que les nouvelles ne sont pas des plus réjouissantes
"
En quelques mots, il mit son adjoint au courant du problème. Rapidement,
la conversation prit un ton plus personnel, Sullivan s'inquiétant de
savoir où Largo allait se loger pendant la panne. La conversation se
termina sur les remerciements de Largo à l'Américano-Irlandais.
Intrigué par la tournure qu'avait pris le dialogue, Georgi avait levé
le nez de l'écran sur lequel il contrôlait le déroulement
des protocoles de copie des fichiers à sauvegarder. Il observait Largo
d'un air interrogateur. Ce dernier décida de prolonger un peu le suspense
:
- "Tu as moyen de vérifier si des avions décollent de New
- York ou si les aéroports sont eux aussi dans le noir ?"
- "Quelle question ! Je connais au block près la zone où
l'électricité est coupée ! Et la réponse est oui
: tous les vols sont maintenus aussi bien à Gatewick qu'à JFK
" rétorqua Kerensky.
- "Et tu aurais aussi moyen de savoir s'il reste des places sur des vols
pour Aspen ?" ajouta-t-il avec un sourire.
- "Je ne m'abaisserais pas à répondre à cette question,
mais j'aimerais autant savoir pourquoi je m'intéresserais à cette
destination."
- "Et bien, John étant chez Kathreen jusqu'à mardi, il nous
propose de nous installer dans son chalet à Aspen pour passer le réveillon
au chaud, devant un feu de cheminée plutôt que dans le noir en
nous gelant ! Plutôt alléchant, qu'en penses tu ?"
- "J'en pense que Sullivan a beau être une grosse huile capitaliste,
il a un bon fond et il y aurait peut être moyen d'en faire quelque chose
! En résumé, excellente initiative !"
- "Le seul hic, c'est que j'aimerais autant qu'on trouve des places sur
un vol régulier. Je sais que Jerry est en famille pour Noël et ça
m'ennuierait de l'obliger à voler.
- "Mmmhh, cette attention t'honore, grand patron, je me mets de ce pas
en quête de 4 billets."
- "Merci, Georgi, je file chercher les clés de la maison chez John,
j'en profite pour passer prendre Joy. Tu peux te charger de faire lever Simon
et de le convaincre de descendre ici ? Je te suggère à titre très
amical de rebrancher un ascenseur, le temps qu'il descende, sans quoi, on risque
d'avoir droit à ses jérémiades pendant des heures ! On
reste en contact par téléphone, tu me dis quand tu as trouvé."
- "Sans problème, je trouve juste que tes corvées me paraissent
moins pénibles que les miennes
Ne soyez pas trop longs quand même
"
- "Hé, c'est le privilège d'être le patron, que veux
tu !"
Sur ces dernières paroles, Largo sortit. Il descendit dans le parking
et monta en voiture. Le jour n'était pas encore levé et les rues
autour de l'immeuble étaient plongées dans le noir complet. L'atmosphère
était absolument surréaliste. Largo se prit à penser que,
pour la première fois, vue du ciel, la ville ne devait pas ressembler
à une grosse tâche brillante. Sur le tableau de bord, la température
extérieure était indiquée à - 12°C. Elle avait
encore baissé depuis la veille. Il fallut peu de temps au jeune homme
pour arriver à l'appartement de Sullivan. Entre temps, ce dernier avait
prévenu le gardien de l'immeuble de son arrivée et il ne fit aucune
difficulté pour lui ouvrir la porte de l'appartement. Très vite,
Largo trouva les clés et il se dit que, décidément, Sullivan
était un trésor d'organisation ! Il repartit donc, le précieux
sésame en poche et se dirigea radieux vers l'appartement de Joy. Ils
avaient tous les quatre les clés des appartements des trois autres, sachant
qu'en cas de coup dur, cela pouvait leur être utile mais ils n'avaient
jamais eu besoin de s'en servir. Sur le chemin, Largo s'arrêta et acheta
des croissants. Arrivé devant l'immeuble de Joy, il sortit rapidement
de sa voiture et grimpa les escaliers - chez elle non plus, pas d'électricité.
Avec d'infinies précautions pour ne pas faire de bruit, il fit tourner
sa clé dans la serrure. Il espérait qu'elle dormait encore. Il
n'était venu que rarement dans son appartement mais il en gardait un
souvenir assez précis et se dirigea sans trop de mal vers la chambre.
Il entrouvrit la porte et entendit le souffle régulier de la dormeuse.
Il sourit, ravi, et s'approcha du lit. Se penchant sur elle, il embrassa doucement
sa tempe. Ce simple contact la réveilla et elle s'accrocha à lui,
l'empêchant de bouger.
- "Mon Dieu, dites moi que je ne rêve pas !" murmura-t-elle
en enfouissant son visage dans le cou de Largo.
- "Bonjour mon ange." répondit-il en cherchant sa bouche.
Un tendre baiser la réveilla tout à fait. Alors, Largo s'assit
à côté d'elle dans le lit et, pendant qu'ils dévoraient
les croissants dans le noir, il lui expliqua la situation. Elle se montra pleinement
satisfaite de la solution envisagée.
- "Génial, ça fait je ne sais pas combien de temps que je
n'ai pas eu l'occasion de skier !" se réjouit-elle en se blottissant
dans ses bras.
Pendant ce temps, l'ambiance dans le bunker était nettement moins au
beau fixe. Malgré ses efforts réels, Georgi n'avait pour le moment
pas réussi à ré-alimenter les ascenseurs et Simon refusait
de descendre à pied. Le russe était en pour-parlers téléphoniques
avec lui et tentait de le convaincre de venir avec eux à Aspen. Maussade
et grincheux, le Suisse ne voulait pas en entendre parler.
- "De toute façon, ce Noël est foiré depuis le départ.
J'ai horreur de la neige, je déteste skier et il fait un froid de canard
dans cet appart ! Sans compter que je devrais déjà porter plainte
pour réveil abusif sans motif valable un dimanche matin."
Kerensky commençait à perdre patience mais il se contint et respira
un grand coup :
- "Bon, écoute Simon, ça fait deux jours que tout le monde
se met en quatre pour te faire plaisir, alors tu vas arrêter ton cirque
et préparer un sac. Sinon, je te jure que je viens te chercher et que
vu le nombre d'étages à monter, j'aurai largement eu le temps
de me mettre réellement en rogne et je ne donne pas cher de ta peau.
Pour le coup, tu auras une bonne excuse pour ne pas venir avec nous !"
dit-il d'un ton d'autant plus impressionnant qu'il était posé
et glacial
intraitable !
Sans répondre, Simon raccrocha. Kerensky ne s'en offusqua pas : il savait
que son discours avait fait mouche. Non tant que le suisse ait pu être
impressionné par ses menaces, mais Georgi savait qu'avoir fait allusion
à leur amitié en mentionnant les efforts qu'ils faisaient pour
lui changer les idées l'avait nécessairement touché. S'il
était une chose qui pouvait atteindre Simon et le faire réagir,
c'était bien de lui signaler qu'il ne se comportait pas correctement
avec ses amis. Une fidélité sans bornes envers eux était
peut être le seul principe non fluctuant dans sa vie ! Avec un soupir,
il se remit à plancher sur le problème d'ascenseur. Une idée
germa dans son esprit et il s'empressa de la mettre en pratique effectuant une
ou deux dérivations de circuits.
- "Bingo !" lâcha-t-il laconiquement, traduisant ainsi son intense
satisfaction : l'opération était réussie et l'un des ascenseurs
fonctionnait de nouveau sans rien court-circuiter de grave.
Il attrapa son téléphone pour prévenir Simon que son carrosse
était avancé ! Ce dernier commença par pester en expliquant
avec une mauvaise foi toute personnelle qu'il ne voyait pas comment il pouvait
préparer un sac s'il était sans arrêt dérangé
! Quand il sut qu'il allait pouvoir économiser son énergie et
descendre en ascenseur, il alla jusqu'à remercier Georgi, ce qui, compte
tenu de la mauvaise humeur latente du personnage constituait presque un événement.
Georgi secoua la tête, navré, et se remit à chercher des
billets pour un départ dans la journée. Il n'y avait pas de vol
direct et un changement à Minneapolis était indispensable. Seulement,
s'il restait des places, qu'il s'était empressé de bloquer, sur
le second vol, il n'y avait plus rien entre New - York et Minneapolis. Il entreprit
donc de sélectionner, selon des critères très personnels,
quels étaient les personnes dont il allait annuler le billet : d'après
les données qu'il avait sous les yeux après avoir pénétré
en toute illégalité dans le système de réservations
de la compagnie aérienne, il était clair que plusieurs passagers
étaient en voyage d'affaire. Et si le russe avait des scrupules à
ruiner les vacances de quelques pauvres pigeons, il n'en avait que très
peu à empêcher des businessmen capitalistes de se déplacer.
Après tout, on était le 24 décembre, ils n'avaient qu'à
fêter noël comme tout le monde ! Il annula donc 4 billets en première
classe sur le vol de 10h30 et valida ses propres réservations avec un
sourire
Il considéra que c'était un beau cadeau de noël
pour les trois autres ! Puis, il passa un coup de fil à Largo pour le
prévenir. Malgré plusieurs sonneries, il ne répondit pas
et la messagerie se déclencha. Georgi sourit et laissa un message :
- " Il semblerait que tu sois indisponible pour le moment
A moins
que les portables ne soient aussi touchés par notre coupure d'électricité,
mais dans ce cas il aurait fallu me prévenir ! Bon, on part à
10h 30
Si vous pouviez essayer d'être là à l'heure,
ça m'éviterait d'avoir à pirater les radars de l'aéroport
pour faire croire à la tour de contrôle qu'une nuée d'oies
sauvages est sur le point de s'abattre sur Gatewick et qu'il faut suspendre
les vols ! Je vous remercie d'avance de votre aimable collaboration !"
Il raccrocha et ajouta pour lui même, blasé :
- "On reste en contact par téléphone, c'était bien
ça sa dernière phrase ?"
- "Pardon ?"
- "Rien Simon, laisse tomber, je réfléchissais !" reprit
Kerensky à l'adresse du jeune homme qui venait de pousser la porte.
Simon jeta un il effaré autour de lui, il n'en revenait pas que
le bunker soit habillé aux couleurs de noël.
- "Et tu tolères ces horreurs affreuses ici, toi ?" attaqua-t-il
"Attends, la prochaine fois que j'apporte une touche personnelle dans cette
pièce et que tu oses critiquer, fais moi penser à te rappeler
que tu as supporté ça !"
- "Oh, la ferme Simon ! Ce n'est pas parce que tu es de mauvais poil et
que tu as décidé que pour toi, cette année, tout ce qui
touche à noël est kitch, miteux, nul ou minable que tu es obligé
d'en dégoûter les autres !"
- "Ca n'a rien à voir avec moi, c'est une opinion objective ! C'est
monstrueux ces pères noëls et ces angelots qui sourient bêtement,
c'est encore pire ! Beurk, c'est dégoulinant de bons sentiments
Ca me navre venant de toi, Kerensky !"
- "On a tous nos vices cachés, mon vieux ! Personnellement, je trouve
que celui là n'est pas trop dramatique, il y a pire. Tu es prêt,
on décolle dans une heure ?" termina-t-il pour détourner
la conversation
- "Où sont les autres ?" demanda Simon qui venait apparemment
de se rendre compte que la moitié de l'Intel Unit manquait.
- "Largo est parti chercher Joy, ils ne devraient pas tarder." répondit
le russe en omettant sciemment de mentionner l'épisode "répondeur".
Après tout, ça ne les regardait pas.
- "Finalement, vivement qu'on soit dans l'avion qu'on puisse au moins avoir
un café chaud et un petit déj' !" grogna Simon.
- "Ton portable a sonné mais j'étais à l'autre bout
de l'appartement et le temps que je revienne, la messagerie avait pris le relais."
fit Joy à l'attention de Largo qui sortait de la salle de bain, les cheveux
humides de la douche.
- "Mince, ça devait être Georgi qui a trouvé un vol
Il doit se demander pourquoi je n'ai pas répondu !"
- "Je ne me fais pas de souci, tu vas bien trouver une excuse politiquement
correcte et parfaitement crédible !" répondit-elle, un sourire
faussement angélique aux lèvres, avant de replonger dans son placard
pour en extraire une pile de pulls.
Largo écouta le message de Kerensky en souriant et pressa sa compagne
de se dépêcher. Il leur restait peu de temps pour rejoindre les
autres et filer à l'aéroport. Heureusement, elle avait pratiquement
terminé son sac et ils fermèrent rapidement l'appartement. Joy
prit le volant et Largo appela Georgi :
- "Simon est avec toi ?"
- "Oui, sa seigneurie a daigné descendre jusqu'à moi ! Il
a même préparé ses bagages !'
- "Parfait, on en est où avec l'électricité ?"
- "Pas de changement majeur, ni en pire ni en mieux, si ce n'est qu'on
a récupéré un ascenseur."
- "Génial, on arrive dans 10 minutes, je fonce jeter deux trois
trucs dans une valise et on y va ! Toi, tu es prêt ?"
- "Oui, je n'ai pas besoin de grand chose
Et puis, on ne part tout
de même pas au fin fond de la Sibérie, on doit pouvoir trouver
ce qui manque sur place ? C'est l'intérêt du grand Capital, non
?"
- "Ok, Georgi, n'en jette plus, tu as raison !" rit Largo.
En peu de temps, ils arrivèrent devant le groupe W et en presque aussi
peu de temps en furent repartis, à quatre cette fois.
Les deux vols se déroulèrent sans incident. Avec satisfaction,
Georgi constata que la légère entorse au règlement qui
leur avait permis d'obtenir des places avait parfaitement fonctionné.
Le seul non-événement un tant soit peu marquant de leur demi journée
dans les airs fut que Simon, tout à son humeur chagrine, ne pensa même
pas à faire du gringue à l'hôtesse de l'air, pourtant charmante.
Ils arrivèrent au chalet vers 17 heures. Il faisait déjà
nuit et le froid était mordant. Ils entrèrent rapidement, accueillis
par le gardien de la villa.
- "Venez vite vous mettre au chaud : ils prévoient que la température
tombe sous les -20°C cette nuit. Mais ne vous inquiétez pas, le chauffage
central fonctionne parfaitement et je vous ai fait une énorme provision
de bois pour la cheminée du salon !" leur expliqua-t-il avec amabilité.
- "Merci beaucoup. John vous avait prévenu de notre arrivée
?" demanda Largo, surpris de cette prévenance.
- "Oh, oui, il m'a appelé en me disant de prendre soin de vous.
Ma femme a fait des courses ce matin. Vous avez tout ce qu'il faut pour ne pas
mourir de faim jusqu'à ce que les commerces réouvrent. M. Sullivan
m'a également chargé de vous dire qu'il vous avait laissé
un message pour vous sur le répondeur. Je vous souhaite de passer un
excellent noël. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, mon numéro
est à côté du téléphone, n'hésitez
pas à l'utiliser."
- "Merci beaucoup, joyeux noël à vous aussi !" répondirent
les quatre amis avec un bel ensemble alors que le gardien s'éclipsait.
Pendant que les trois autres furetaient dans le chalet et faisaient le tour
du propriétaire, Largo s'approcha du téléphone et enclencha
le répondeur. La voix caractéristique de Sullivan en jaillit :
- "Re-bonjour Largo ! J'espère que vous avez fait bon voyage et
que vous êtes bien installés. En cas de besoin, n'hésitez
pas à faire appel aux Mac Kenna, ce sont des gens charmants, vous pouvez
aussi me joindre sans problème chez Kathreen. Je voulais aussi vous prévenir
que j'ai prévenu quelques notables d'Aspen que vous étiez là.
Vous êtes donc invités tous les quatre par le maire au réveillon
qu'il organise au St Regis. Il y aura tout le gratin de la station. Bien entendu,
il serait assez indécent de ne pas y aller, d'autant que ça vous
permettrait de nouer des contacts relativement intéressants pour le groupe
: certains de nos investisseurs se montreraient ravis de se voir offrir une
semaine au ski comme cadeau de fin d'année
Mais, je ne vais pas
vous faire un dessin : je fais confiance à votre charisme et votre pouvoir
de négociation. Pour information, la soirée débute à
19h30. Je vous souhaite de bonnes vacances, soyez prudents et évitez
de nous revenir avec une jambe plâtrée !"
Largo était fou de rage : il venait de se rendre compte qu'il s'était,
une fois de plus, fait piéger comme un bleu par Sullivan. Cet homme était
machiavélique et une part de son cerveau ne fonctionnait que pour le
groupe W. Même en vacances à l'autre bout du pays, il trouvait
le moyen de tirer profit des mésaventures de Largo pour le faire bosser
! Le jeune homme, perdu dans de sombres idées de vengeance et de torture,
s'affala dans un fauteuil devant la cheminée.
- "Et bien, le moins qu'on puisse dire c'est que ton adjoint sait vivre,
mon vieux !" s'exclama Simon de bien meilleure humeur depuis qu'il avait
fait le tour de la villa. "Quand est ce que tu nous installes aussi une
piscine et un sauna dans le sous-sol ? A la place du bunker, ça serait
du dernier chic !"
- "Bon, on s'est installés. Largo, il te reste le choix entre le
placard à balais ou le balcon pour dormir !" plaisanta Georgi en
entrant à son tour dans la pièce, suivi de près par Joy.
Voyant que le jeune homme ne régissait pas, ils se regardèrent,
étonnés. Simon, habitué à poser avec tact toutes
les questions dérangeantes ne dérogea pas à la règle
:
- "Oh, cache ta joie ! On peut savoir ce qui t'arrive ou tu as décidé
de faire vu de silence jusqu'à l'année prochaine ?"
- "Je me suis fait avoir par Sullivan, sa proposition de nous héberger
ne relevait pas de la simple compassion à l'idée de nous savoir
dans le noir et sans chauffage. Il en a profité pour nous organiser un
réveillon à sa manière, à savoir, boulot !"
répondit Largo un peu abattu.
Georgi partit d'un grand éclat de rire :
- "Ah, me voilà rassuré, depuis ce matin, je ne comprenais
pas cette subite poussée de générosité et de désintéressement
chez un bon capitaliste de la trempe de Sullivan
Tout s'explique ! Les
chiens ne font pas des chats, Largo, il va falloir t'y faire."
Joy s'était assise en face de lui et demanda :
- "Tu peux nous expliquer plus précisément de quoi il s'agit
?"
- "On va se taper un réveillon mortel avec tous les rupins d'Aspen
et nous sommes sensés faire bonne figure pour que je décroche
un partenariat avec la station en vue d'y inviter nos actionnaires ! Fascinant,
n'est ce pas ?" lâcha-t-il, amer, avant de ramasser son sac et de
partir s'installer dans une chambre.
- "Oups, je le sens contrarié, là !" plaisanta Simon
qui savait que les colères de son meilleur ami pouvaient être violentes
mais étaient généralement très brèves.
Joy sortit de la pièce pour aller rejoindre Largo.
- "Ben, qu'est ce qui se passe ? C'est pourtant pas son style d'aller lui
tenir la main dès qu'il y a un truc qui ne va pas. Elle serait plutôt
du genre à en rajouter une couche, d'habitude !" s'étonna
Simon.
- "Tss, où est donc passé ton sens de l'observation, camarade
? Ouvre un peu les yeux ! En attendant, viens avec moi, on va chercher du bois
pour allumer une flambée, ça donnera toujours un peu de chaleur
à cette pièce !"
- "Hé, attends moi, qu'est ce que tu as voulu dire là ? Tu
insinuerais que
"
- "
que rien du tout !" le coupa Kerensky d'un ton sans appel.
Sans bruit, Joy était entrée dans la chambre choisie par Largo.
Il se tenait debout devant la baie vitrée, les bras croisés sur
la poitrine, lui tournant le dos. Elle se glissa derrière lui et passa
ses bras autour de sa taille.
- "Ce n'est pas si dramatique ! D'accord, Sullivan t'a roulé, mais
ce n'est ni la première, ni la dernière fois, il faut t'y faire.
C'est justement parce qu'il est aussi doué que tu le gardes et que tu
l'apprécies comme bras droit. Et puis, si tu te dépêches
d'être aimable, d'offrir quelques bouteilles d'excellent champagne à
cette honorable assemblée, on ne sera pas obligés de rester très
longtemps. Tu mettras notre départ sur le compte de la fatigue du voyage.
Personne ne sera dupe, mais tout le monde fera semblant d'y croire. Il nous
restera alors à passer une excellente soirée au coin du feu comme
4 petits vieux ! Et demain, à nous les pistes !"
Largo se retourna et la serra contre lui.
- "Tu sais que tu es fantastique ?"
- "Si c'est seulement maintenant que tu t'en rends compte, je vais être
vexée !" rit elle avant de l'embrasser tendrement.
Ils rejoignirent Georgi et Simon qui faisaient l'inventaire des placards de
la cuisine avec une mine satisfaite et gourmande. La pièce était
sans doute la plus chaleureuse de la maison : les meubles de bois clair harmonieusement
répartis autour d'une grande table lui donnaient sans conteste un charme
particulier, d'autant que l'éclairage indirect contribuait à adoucir
les volumes. Largo prévint ses amis qu'ils devaient être prêts
pour 19h30. Simon et Georgi se regardèrent d'un air de connivence et
le Suisse commença :
- "Heu, on n'avait pas exactement prévu de vêtements adéquats
pour la situation. On va devoir descendre en ville pour trouver de quoi se transformer
en pingouins de salon ! Vous venez avec nous ?"
- "Sans problème ! Je ne voudrais pas rater une pareille séance
de shopping. Et puis, ça me permettra d'aller jeter un il sur l'endroit
où on doit passer la soirée et la manière dont l'hôtel
est sécurisé !" répondit Joy avec vivacité.
Ce n'était pas qu'elle n'eût pas envie de passer une bonne heure
seule avec Largo, mais elle craignait d'éveiller les soupçons
des deux autres en restant trop souvent en tête à tête avec
lui. Ils partirent donc tous les quatre en direction du centre ville. Main Street,
la plus grande artère était splendide : les milliers d'ampoules
des guirlandes se reflétaient dans la neige. Les vitrines des magasins
de luxe étaient décorées avec goût. Largo, Simon
et Georgi entrèrent dans une boutique tandis que Joy continuait jusqu'à
l'hôtel qui les accueillerait le soir même.
Quelques secondes après eux, une jeune femme pénétra à
son tour dans le magasin. Simon, ragaillardi depuis leur arrivée, la
détailla d'un il de connaisseur : de lourdes boucles brunes s'échappaient
du col de son manteau et caracolaient dans son dos et elle avait des yeux fantastiques,
d'une couleur incroyable : d'un bleu profond tirant sur le mauve.
- "Mademoiselle, vous êtes le rayon de soleil de ma journée,
vous êtes sublime ! Aurais je l'immense honneur de connaître votre
nom, belle étrangère ?" commença-t-il.
La jeune femme laissa échapper un sourire en entendant les boniments
grandiloquents du suisse, mais très vite, il s'effaça et elle
répondit sèchement
- "Inutile de vous fatiguer, vous perdez votre temps : je suis mariée."
Puis elle enchaîna immédiatement en se tournant ostensiblement
vers la vendeuse : "Le costume de mon mari est-il prêt ? "
Son paquet sous le bras, elle sortit après un bref signe de tête
en direction des trois hommes. Son regard accrocha une fraction de seconde celui
de Simon et le cloua sur place.
- "C'est pas normal. Je vous jure qu'il se passe un truc bizarre. On aurait
dit qu'elle avait peur !"
- "Voyons Simon, accepte la défaite : tu viens de te faire jeter
de la plus belle des manières !" se moqua Largo.
- "Ne te cherche pas des excuses bidon et sois beau joueur pour une fois
!" renchérit Georgi.
Simon haussa les épaules et essaya rapidement un costume trois pièces.
Pendant que les deux autres continuaient à chercher, il s'approcha de
la vendeuse. Avec un sourire enjôleur, il la questionna. Par chance, la
vendeuse était bavarde et n'avait pas l'habitude que ses clients prennent
la peine de lui adresser la parole pour autre chose que réclamer la taille
du dessous ou lui demander où se trouvait le rayon chaussettes !
- "Vous semblez connaître la jeune femme qui est arrivée en
même temps que nous, elle habite ici ?"
- "Oh, non, son mari est propriétaire d'un grand hôtel un
peu plus bas, mais il en a d'autres à travers le pays, alors ils se partagent
entre différents endroits. Par contre, ils passent toujours les fêtes
de noël ici, c'est tellement agréable !"
- "Elle n'avait pas l'air tellement ravie, pourtant !"
- "Elle n'est jamais très enjouée. A vrai dire, je ne la
connais pas bien, elle ne vient ici que depuis l'an dernier. Je ne sais même
pas si Monsieur Vargas et elle sont vraiment mariés
" ajouta-t-elle
sur le ton de la confidence.
Georgi et Largo avaient trouvé leur bonheur et interrompirent cette intéressante
conversation. Tous trois sortirent donc après que Simon eut chaleureusement
remercié la vendeuse. Ses compagnons ne se privèrent pas de le
chambrer encore un peu :
- "Et bien, on dirait que la mystérieuse inconnue aux yeux violets
t'est vite sortie de l'esprit pour que tu complimentes de la sorte la vendeuse
!" commença Largo.
- "Ne parle pas de ce que tu ne peux pas comprendre !" rétorqua
Simon dédaigneusement. Et ils partirent tous trois d'un grand éclat
de rire. Joy arriva à ce moment là :
- "Et bien, je vois que vos ne vous ennuyez pas sans moi !" dit elle.
- "Tu as raté quelque chose : Simon s'est pris une veste magistrale
!" lui expliqua Largo en reprenant son sérieux.
- "Pas une veste, il s'agit juste d'un malentendu !" se défendit
le Suisse.
- "Bah, une de plus
On te connaît Simon, mais on a appris à
faire avec ! Et puis on te fais confiance, tu es un maître dans l'art
d'appliquer le vieil adage une de perdue, dix de retrouvées" fit
Joy.
- "Qu'est ce que tu as vu à l'hôtel ?" demanda Georgi
d'un ton plus professionnel.
- "Rien de spécial. A priori, ce n'est pas ce soir qu'on t'enlèvera
discrètement, Largo. J'ai dû montrer patte blanche pour entrer.
Leurs vigiles ne sont pas des plus discrets mais ont l'avantage d'être
dissuasifs et j'ai compté 6 caméras de surveillance rien que dans
le hall. Pour le reste, j'ai jeté un il sur la carte du restaurant
et sur celle des vins, je pense qu'on ne devrait pas passer une trop mauvaise
soirée ! Par contre, le directeur m'est assez antipathique. Il a une
façon très personnelle de s'adresser à ses employés
!"
- "Bah, on se débrouillera pour l'éviter ! On rentre ?"
conclut Largo, fataliste.
Simon resta silencieux pendant le voyage de retour. Il cherchait un prétexte
pour rencontrer madame Vargas, si tant est qu'elle le fût vraiment. Son
regard l'obsédait. Il était sûr de lui lorsqu'il disait
avoir perçu de la peur dans ses yeux.
A peine rentrés au chalet, ils se séparèrent et chacun
rejoignit sa chambre pour se préparer. Une demi heure plus tard, il ne
manquait plus que Joy dans le salon. Peu de temps après, elle les rejoignit
descendant les escaliers quatre à quatre, ses chaussures dans une main,
un collier dans l'autre.
- "Désolée ! Impossible de mettre la main sur un planche
à repasser pour donner un coup de fer à ma robe ! Je suis sure
que vous étiez déjà en train de médire sur le temps
que mettent les femmes à se préparer !"
- "Jamais de la vie ! On n'est pas comme ça !" s'insurgea Simon.
- "J'en conclue que j'ai raison. On y va ?"
- "Juste le temps de te dire que tu es splendide et on y va." répondit
Largo en souriant.
Effectivement, elle l'était. Elle portait une robe de soie rouge sombre
lacée dans le dos qui mettait en valeur sa taille fine et le grain de
sa peau. Tous les quatre enfilèrent manteaux et écharpes et se
ruèrent dans la voiture. En quelques minutes, ils furent devant l'hôtel.
Un chasseur s'occupa de la voiture pendant qu'ils se dépêchaient
d'entrer et de se débarrasser de leurs manteaux. Ils étaient un
peu en retard et il y avait déjà beaucoup de monde. Cependant,
le maire, un homme souriant d'une soixantaine d'années, les repéra
tout de suite et s'avança auprès d'eux.
- "Monsieur Winch ! Quel plaisir de vous compter, vous et vos amis, parmi
nos invités de ce soir. Mademoiselle, vous êtes ravissante. Je
suis convaincu que mon épouse ne mettra pas dix minutes à vous
demander où vous avez trouvé cette robe qui vous va si bien. Par
pitié pour mon compte en banque, je vous supplie de ne pas le lui dire
!" badina-t-il.
- "Bonsoir Monsieur le maire. Je vous présente Joy Arden, mon garde
du corps, Simon Ovronnaz, mon meilleur ami et responsable de la sécurité
du groupe W et Georgi Kerensky, le seul être capable de solutionner n'importe
quel problème informatique dans n'importe quelle situation, même
en dormant !" expliqua Largo.
- "Ravi d'accueillir sous mon toit des gens aussi exceptionnels !"
intervint quelqu'un d'un ton dont il était difficile d'apprécier
le degré d'ironie.
Les quatre jeunes gens se retournèrent et se retrouvèrent en face
d'un homme que Joy reconnut comme étant le propriétaire de l'hôtel
et qui avait à son bras une jeune femme que les autres identifièrent
comme la belle inconnue de la boutique. Le maire leur confirma que leur mémoire
ne les trahissait pas.
- "Je vous présente Monsieur Vargas, notre hôte et sa charmante
épouse, Ambre. Monsieur Vargas possède une chaîne d'hôtels
de première qualité dans différentes villes et, secondé
par Ambre, il gère ce patrimoine de main de maître."
Vargas tendit la main à Largo qui ne put que s'en saisir malgré
le léger malaise qui l'avait saisi. Joy avait raison, ce type était
vraiment antipathique. Il avait une manière étrange de vous regarder,
comme s'il cherchait à percevoir la faille qu'il pourrait exploiter à
votre encontre. Simon, quant à lui, restait hypnotisé par la jeune
femme. Il n'en revenait pas d'avoir la chance de la retrouver le soir même.
Cependant, plus encore que dans l'après midi, elle fuyait son regard
et semblait mal à l'aise. Cette fois, Kerensky également perçut
son apparente détresse et il se dit que Simon n'avait peut être
pas tout à fait tort. Mais il choisit de ne pas chercher plus loin :
après tout, ça n'était pas très surprenant qu'elle
se sente gênée de retrouver, en présence de son mari, le
type qui lui avait fait du rentre-dedans un peu plus tôt. Vargas, constatant
que Simon ne lâchait pas sa femme des yeux, fronça les sourcils
et son regard se durcit. En bon diplomate, le maire sentant l'atmosphère
virer à l'aigre, lança à l'attention de tout le cercle
:
- "Je manque à tous mes devoirs, je ne vous ai pas encore présenté
ma femme. Elle va m'arracher les yeux si je ne lui amène pas le plus
célèbre célibataire de tous les Etats-Unis. D'ici peu,
elle vous aura trouvé cinq prétendantes, vous aura fiancé
quatre fois et marié au moins deux ! Que voulez vous, elle adore jouer
les entremetteuses, et je dois malheureusement avouer qu'elle montre un certain
talent. Attention, je préfère vous prévenir, c'est une
bavarde impénitente. Ne la laissez surtout pas parler !" plaisanta-t-il,
pour détendre l'atmosphère tout en guidant les quatre amis vers
une femme replète et joviale, entourée d'une foule de gens qui
riaient de bon cur.
- "Ed, qu'es tu encore en train de raconter comme horreurs sur mon compte
? Je lis clairement dans les yeux de ces jeunes gens qu'ils voient en moi une
épouvantable mégère !"
- "Mais tu es une épouvantable mégère, ma chérie,
une adorable, épouvantable mégère !" se moqua-t-il.
"Je vous laisse, je dois malheureusement m'occuper de mes autres invités.
Mademoiselle Arden, je compte sur vous pour me laisser vous écraser les
pieds au moins le temps d'une valse !"
- "Bien entendu, ce sera avec le plus grand plaisir, Monsieur" sourit
Joy, amusée par ces deux personnages hauts en couleurs.
- "Et n'oubliez pas, n'hésitez pas à bâillonner Emma
quand vous ne pourrez plus la supporter. La salle entière vous en sera
reconnaissante !" reprit-il avant de s'éloigner en envoyant de loin
un baiser à sa femme.
- "J'ai beau être une insupportable mégère, je constate
que mon rustre de mari ne vous a même pas offert à boire ! Ne bougez
pas, je vais vous chercher du champagne et je suis à vous !"
Alors que tous les quatre la regardaient, étourdis, s'éloigner
d'un pas vif en direction du buffet, Largo se pencha et murmura à l'oreille
de Joy :
- "Dis moi que dans trente ans, on sera exactement comme eux : complices
et amoureux !"
La jeune femme de répondit rien et se contenta d'un sourire tendre et
plein d'espoir. Emma revint très vite et, après leur avoir donné
de quoi boire et se restaurer, présenta aux quatre new-yorkais les personnes
présentes autour d'elle : il y avait des artistes, des banquiers, des
rentiers, des financiers, quelques gros entrepreneurs
bref des gens très
différents mais qu'elle parvenait à fédérer autour
de sa bonne humeur. Son mari n'avait pas menti : elle était effectivement
bavarde, mais ses remarques étaient drôles et pertinentes ce qui
rendait sa compagnie plus qu'agréable. Largo, Joy et Kerensky se surprirent
en train de lui raconter les déboires initiaux de l'Intel Unit, des anecdotes
très personnelles. Cette femme avait un don pour attirer les confidences.
Avec un peu de discipline et d'entraînement, elle aurait pu être
un excellent agent de renseignement. Georgi sourit en formulant cette pensée
qu'il qualifia de déformation professionnelle. Simon, sa flûte
de champagne intacte à la main, cherchait désespérément
Ambre des yeux. Il voulait lui parler, comprendre de quoi elle avait peur. Mais
la foule était dense et dès qu'un espace dégagé
se créait et permettait de voir un peu plus loin il était aussitôt
bouché par la masse mouvante. Il se lassa très vite de cette recherche
infructueuse et décida de prendre les choses en main. Discrètement,
il prévint Largo qu'il allait faire un tour et laissa là ses compagnons.
Il parcourut plusieurs salons sans rencontrer ni Ambre, ni Vargas. Dépité,
il allait renoncer quand il aperçut une porte portant l'inscription "Privé".
Il n'en fallait pas plus pour le tenter. Avec prudence, il entrouvrit la porte
et se glissa dans l'entrebâillement. Il se trouvait maintenant dans un
couloir sombre débouchant sur une pièce richement meublée.
Il comprit qu'il venait d'entrer dans l'appartement de Vargas. Il s'apprêtait
à rebrousser chemin quand il entendit un éclat de voix venant
de la pièce du fond. Il se tapit dans un coin d'ombre et écouta
:
- "Tu es vraiment une traînée ! Tu crois que je n'ai pas remarqué
ton manège avec le sous-fifre de ce parvenu de Winch ? C'est déjà
ton amant où il envisage seulement de le devenir ? Et après, c'est
Winch que tu mettras dans ton lit, je suppose que c'est là que tu veux
en venir ?"
C'était Vargas, il hurlait comme un homme ivre. D'une voix déformée
par les sanglots, Simon entendit Ambre se défendre :
- "Tu ne sais pas ce que tu dis ! Tu sais très bien que je ne ferais
pas ça ! On a un accord, je le respecte, je te le jure ! Je sais trop
ce que je risque si jamais je fais un faux pas !"
Simon entendit le bruit caractéristique d'une gifle et se préparait
à bondir quand Vargas passa en trombe devant sa cachette sans le voir.
Il sortit en claquant la porte. Simon se précipita vers la pièce
où s'était déroulée la scène. Il trouva Ambre
effondrée dans un fauteuil, pleurant à chaudes larmes. Il s'approcha
et posa une main sur son épaule. D'un bond la jeune femme se redressa
et le repoussa violemment.
- "Qu'est ce que vous faites là ? Vous ne croyez pas que vous en
avez fait assez pour aujourd'hui ?"
- "Je veux juste vous aider. Dites moi ce que je
"
- "Mais qu'est ce que vous croyez ? Que vous pouvez débarquer comme
ça, en vous prenant pour Zorro et résoudre tous mes problèmes.
Si c'est le cas, il serait peut être urgent que vous vous frottiez d'un
peu plus près à la réalité ! Il n'y a que dans les
contes de fées que ce genre de trucs fonctionne ! Foutez le camp maintenant
et mêlez vous de vos affaires." dit elle sèchement avant de
se lever et de quitter la pièce, laissant là un Simon interdit.
A pas lents, il sortit de l'appartement. Un tas de questions tournaient dans
sa tête : Pourquoi Vargas avait-il réagi de manière aussi
violente ? Pourquoi le craignait elle autant? Quel était cet accord dont
elle avait parlé ? A l'évidence, sa curiosité était
piquée au vif, mais surtout, il était sincère quand il
disait vouloir l'aider. Sans qu'il comprenne très bien pourquoi, il ressentait
le besoin de la protéger, de lui rendre le sourire. Il referma la porte
derrière lui et rejoignit le salon principal. Il aperçut Joy qui
dansait comme promis avec le maire, Georgi qui discutait toujours avec Emma
et Largo qui avait commencé sa tournée d'approche des personnages
influents de la réception. Il était à ce moment là
en conversation avec le directeur de l'office du tourisme. Simon grimaça,
il aurait préféré que ses amis soient ensemble pour leur
parler tout de suite. Il ne voulait pas attendre, il s'approcha de Largo et
l'interrompit :
- "Tu peux aller chercher Georgi, je vais chercher Joy, j'ai besoin de
vous parler à tous les trois ?"
Largo s'excusa platement auprès de son vis-à-vis, il était
un peu gêné de la manière dont Simon les avait coupés
et se promit de dire sa façon de penser à son ami à la
première occasion. Pour l'heure ça avait l'air important. Il partit
alors à la rencontre de Georgi. Simon, pendant ce temps rejoignait Joy
et le maire :
- "Vous accepteriez de me céder votre place ?" lui demanda-t-il
en faisant un effort de tact.
- "Mais bien sur. Je ne voudrais priver personne de la joie de profiter
d'une danseuse telle que Mademoiselle. Joy, si je ne craignais les foudres d'Emma
je vous enlèverai sur le champ !" badina-t-il.
Simon enlaça Joy, ils dansèrent quelques secondes, le temps que
le maire s'éloigne, puis le jeune homme l'entraîna vers les deux
autres membres de l'Intel Unit.
- "Alors qu'y a-t-il de si urgent, Simon ?"
- "J'avais raison. Il se passe bien un truc bizarre ici : Ambre est terrorisée
par son mari. Ils se sont violemment engueulés et elle a parlé
de je ne sais quel accord entre eux
"
- "Ecoute Simon, ne t'emballe pas, ça arrive dans tous les couples,
les disputes. Et puis, cet accord, c'est peut être simplement leur contrat
de mariage." Intervint Largo, à moitié amusé par tant
de véhémence, tentant de modérer son ami.
- "A propos de quoi se disputaient-ils ?" Demanda Joy
- "Et bien, je n'ai pas tout entendu, mais Vargas à commencé
par l'accuser de lui être infidèle et quand elle a tenté
de se défendre, il l'a giflée et il est parti."
- "Je ne sais pas quoi te dire, Simon, on ne va quand même pas faire
un scandale parce que le patron de l'hôtel et se femme ont eu des mots
Ce dont tu ne devrais même pas être au courant, puisque je suppose
que cette scène n'a pas dû avoir lieu dans un des endroits accessibles
au commun des invités de la soirée, je me trompe ? Et puis, si
ça se trouve, ils sont déjà réconciliés !"
Comme pour donner raison à Largo, le couple revenait dans la salle où
était installé l'orchestre. Ambre était au bras de son
mari. L'éclat un peu trop intense de ses yeux mauves aurait sans peine
pu être attribué au champagne mais Simon savait que c'était
le fruit de ses larmes. Tout avait l'air normal et si le suisse n'avait pas
été témoin direct de la scène précédente,
il aurait lui même eu du mal à y croire. Comprenant cela, il renonça
à convaincre ses amis et se prépara à s'éloigner
alors que Largo entraînait Joy sur la piste de danse.
- "Je ne vois pas pourquoi le maire te ferait danser et pas moi, non mais
!"
- "Ed est un excellent danseur, tu n'as plus qu'à t'accrocher si
tu veux rivaliser avec lui !" Le taquina-t-elle.
- "Parce que tu l'appelles déjà, Ed ? Mais il va falloir
que je le surveille de près et toi avec !"
- "Tu n'as aucun souci à te faire
pour le moment
"
Termina-t-elle en se coulant entre ses bras avec un grand sourire.
Simon était passablement abattu, il ne savait quoi faire. Il voulait
aider Ambre, mais si elle ne le souhaitait pas et qu'en plus ses amis s'en désintéressait,
il ne voyait pas ce qu'il pouvait faire. Il était plongé dans
ces pensées maussades quand il entendit la voix de Georgi :
- "Je pense que tu as raison, Simon. Je crois même que ta belle femme
mystère a de gros soucis. Seulement, on ne peut rien faire tant qu'on
ne sait pas de quoi il retourne. Il faut absolument qu'elle nous le dise."
- "Mais elle a tellement peur de Vargas qu'elle refusera de me laisser
l'approcher. Je t'assure que ce type est une brute épaisse. Si tu l'avais
entendu tout à l'heure
"
- "Ecoute, laisse moi 5 minutes pour créer la diversion qui l'éloignera
d'ici et débrouille toi avec Ambre. Tu auras à peine 10 minutes
pour la faire parler et tout comprendre ! Ca te suffira ?"
- "Faudra bien ! Merci Georgi, t'es un vrai pote !"
- "Arrête, je vais pleurer !"râla le russe avant de se
diriger vers la réception.
Georgi avait repéré le tableau électrique sous le bureau,
il se dit qu'un petit court circuit d'origine inconnue devrait suffire à
ramener Vargas par là ! En moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire,
il avait fait sauter le fusible désiré. Dans la grande pièce,
les lustres s'éteignirent, ne laissant aux invités que la lueur
vacillante des bougies. Si certains ne s'en plaignaient pas - à commencer
par Largo et Joy qui se rapprochèrent un peu plus qu'ils ne l'eussent
fait en pleine lumière - d'autres personnes voyaient d'un moins bon il
cet incident. Aussi Vargas, de sa voix de stentor, s'empressa-t-il de rassurer
tout le monde.
- "Ne vous inquiétez pas, il doit s'agir d'un plomb qui a sauté
! Ne vous bousculez pas, je vais régler le problème, dans 5 minutes,
le courant sera revenu."
Et il quitta la pièce. Aussitôt, Simon s'approcha de Ambre, la
prit par le bras et lui murmura très vite à l'oreille.
- "D'accord, je ne suis pas Zorro, seulement je suis convaincu que vous
avez de gros problèmes et je suis sur de pouvoir vous aider. Ne jetez
pas aux orties la chance qui vous est offerte. C'est Georgi qui a fait sauté
les plombs pour que vous ayez le temps de me parler sans que votre mari s'en
rende compte ! Si ça n'est pas une preuve de notre bonne volonté,
je ne sais pas ce qu'il faut faire ! N'ayez pas peur et faites nous confiance
!"
Alors Ambre rendit les armes, de toute façon, elle ne supporterait plus
cette situation bien longtemps et il fallait qu'il se passe quelque chose sinon
elle allait devenir folle. C'était peut être un signe, après
tout
Elle se lança et d'une voix hachée, les yeux baissés,
elle expliqua la situation à Simon. Lorsqu'elle eût terminé,
Simon resta un instant muet, bouleversé par ses révélations.
Il serra la jeune femme dans ses bras et posa ses lèvres sur sa tempe.
Puis il se souvint qu'ils avaient peu de temps, il fallait régler les
détails pratiques.
- "Où puis je te contacter ? Ici, à la réception ?
Il y a quelqu'un à qui tu puisses te fier ?"
- "Oh, non ! Passe par la vendeuse de la boutique de Main Street où
on s'est rencontrés. Elle m'aime bien. Et je dois aller là bas
demain dans la matinée."
- "Très bien, ne t'inquiète pas, je te jure qu'on va remuer
ciel et terre pour te sortir de là. Laisse nous le temps de trouver comment
faire, mais fais moi confiance, ça va marcher !"
- "J'ai confiance. Merci
" murmura-t-elle avant de l'embrasser
légèrement et de s'éloigner rapidement.
Il était temps, Simon avait juste eu le temps de se rapprocher du buffet
et d'attraper une flûte de champagne que la lumière revint et Vargas
avec elle. Instantanément, il chercha sa femme des yeux et vérifia
son entourage. Visiblement rassuré, il la rejoignit et posa une main
lourde d'autorité sur son épaule. Simon la vit retenir un frisson
et s'obligea à détourner les yeux tant il doutait de pouvoir contenir
la rage et le dégoût qui l'envahissaient. Georgi revint près
de lui, sans rien lui demander mais le regard interrogateur. Simon hocha la
tête de manière affirmative. Ils ne pouvaient rien faire de plus
ici ce soir. Ils fallaient qu'ils rentrent pour établir un plan de bataille,
mais pour cela, il fallait récupérer Largo et Joy qui bavardaient
de nouveau avec le maire et son épouse. Ils se joignirent à eux
et entendirent leurs amis accepter une invitation au même endroit pour
le lendemain après-midi : il s'agissait de l'arbre de noël organisé
pour les enfants de la station. Il y aurait de nouveau tous les notables, et
comme Largo n'avait pas eu le temps de poser aussi précisément
qu'il l'aurait souhaiter des jalons pour la mission assignée par John,
il avait accepté en se disant que si les autres préféraient
aller skier, il pourrait toujours venir seul
Il fallait bien que la fonction
de patron ait aussi ses inconvénients. Discrètement, Simon demanda
à Largo dans combien de temps il comptait partir.
- "On salue nos hôtes et on y va, ça te va ? Déjà
fatigué ?"
- "On va dire ça ! Bon dépêche toi, tu auras tout le
temps de faire le joli cur demain."
Tous les quatre saluèrent donc chaleureusement le couple, récupérèrent
leurs manteaux et regagnèrent leur voiture.
A peine les portières refermées, Simon leur raconta ce qu'il avait
appris :
- "Quoi que vous ayez pu en penser, j'avais raison : Ambre a de gros problèmes.
En réalité, elle n'est pas mariée avec Vargas. Il y a un
peu plus de trois ans, elle s'est retrouvée enceinte et seule après
que son mec se soit tiré. Elle a décidé de garder le bébé
malgré tout mais tout est allé de pire en pire. Bref, elle a commencé
à faire pas mal de conneries, un peu de vol à l'étalage,
quelques arnaques
Rien de grave mais l'accumulation a commencé
à agacer les flics qui lui ont collé les services sociaux au train.
Du coup, on lui a enlevé sa fille. Elle a complètement sombré
et c'est là qu'elle a rencontré Vargas. Au début, tout
allait bien, il lui a trouvé un job dans un de ses hôtels, mais
il lui a très vite fait comprendre que son aide allait rapidement exiger
une compensation. Comme elle refusait de céder, il lui a clairement expliqué
qu'elle ne reverrait sa fille que si elle avait une situation stable et qu'établie
avec un homme comme lui, çà ne poserait aucun problème.
Du coup, elle a craqué et elle a accepté de devenir, aux yeux
de tout le monde, sa nouvelle femme. Elle a pu récupérer Lola.
Ca ne serait pas dramatique si Vargas n'était pas un malade dangereux
: il est paranoïaque au dernier degré et il a constitué contre
elle un dossier accablant monté de toutes pièces pour le cas où
elle voudrait s'en aller. Avec un truc pareil sur le bureau du bon magistrat
- que Vargas connaît certainement - Ambre perdra de nouveau sa fille.
C'est à ça qu'elle faisait allusion quand elle parlait d'accord.
Sans compter qu'en plus de ça, il est volontiers violent. Alors maintenant,
la question est comment on la sort de ce bourbier ? Avec la petite, évidemment
!"
- "Bon sang, quelle sale ordure !" jeta Joy écurée.
- "Désolé, Simon, on aurait dû t'écouter dès
le départ
On a été assez nuls !" s'excusa Largo
ennuyé.
- "Ouais, ben, heureusement que Georgi m'a filé un coup de main,
mais on verra plus tard, le tout c'est de savoir ce qu'on peut faire pour elles
"
Ils restèrent silencieux jusqu'à l'arrivée au chalet, perdus
dans leurs réflexions. Ils montèrent rapidement se changer avant
de se retrouver dix minutes plus tard devant la cheminée pour discuter
de la marche à suivre.
- "Je pense que j'ai une idée." commença Georgi.
Les autres levèrent un il interrogateur - et en plus plein d'espoir
pour Simon - sur la grande silhouette accoudée au manteau de la cheminée.
- "L'idéal ce serait de pouvoir faire pression sur Vargas
Avoir une monnaie d'échange contre la gosse et le dossier de Ambre. Il
faudrait avoir une preuve formelle qu'il est violent, par exemple. Je pense
que le menacer de la diffuser devrait le faire revenir à la raison
"
- "Les caméras de surveillance ! Il faudrait le filmer et détourner
les images ! Tu dois pouvoir faire ça, Georgi, non ?" s'enflamma
Simon.
- "Evidement, mais je doute que Vargas cogne sur elle en plein milieu du
hall du plus grand hôtel d'Aspen, ça ferait un peu désordre,
pas bon pour la réputation ça !"
- "Par contre, j'ai vu en observant le système de sécurité
que les caméras sont assez simples à démonter pour quelqu'un
d'un un peu doué en technique. Je crois qu'il est tout à fait
possible d'en récupérer une et de la réinstaller dans l'appartement
de Vargas. Ca peut être fait très vite et sans que ça se
remarque." intervint Joy avec à propos.
- "Bon, récapitulons. Demain après-midi, nous sommes invités
à l'arbre de noël de la ville qui a lieu là bas. Pendant
que Joy et moi nous occupons Vargas, vous deux vous devrez vous débrouiller
avec la caméra. Simon tu connais les lieux et toi, Georgi, tu ne devrais
faire qu'une bouchée de ces petites bêtes de technologie ! Après,
ce sera à Ambre de jouer, il faudra qu'elle provoque Vargas et qu'elle
le pousse à bout. Ce ne sera certainement pas une partie de plaisir,
mais on interviendra avant qu'il ne devienne dangereux pour elle ou sa fille.
As tu un moyen de la tenir au courant Simon ?" résuma Largo.
- "Oui, je passerai demain lui laisser un message auprès de la vendeuse
de cet après-midi."
- "Très bien, et bien je crois que le ski, ce ne sera pas pour demain
! On devrait filer se coucher, noël ne sera pas férié pour
nous cette année !" rit Largo pour détendre l'atmosphère.
- "Je vais finir de configurer mon portable pour augmenter la qualité
de réception du signal vidéo venant de la caméra détournée.
Je dois avoir moyen de bidouiller un petit logiciel pour arranger ça."
expliqua Georgi en sortant son matériel.
Joy, Largo et Simon lui souhaitèrent une bonne nuit et se dirigèrent
vers les chambres. Simon, songeur, les quitta rapidement. Il voulait se retrouver
seul, essayer de faire le tri de ses sentiments et de ses émotions. Il
savait qu'il dormirait peu, peut-être même pas, cette nuit là
mais cela lui était égal. Pour la première fois de sa vie,
il comprenait ce qu'était un coup de foudre. Dès la première
fois ou son regard s'était perdu dans les yeux étranges de Ambre,
il avait senti son cur faire un bond dans sa poitrine et ses battements
s'accélérer. Depuis lors, il n'avait eu de cesse que de se rapprocher
d'elle.
Largo et Joy étaient arrivés devant la porte de la chambre de
la jeune femme.
- "Je peux dormir là ?" demanda-t-il d'un air suppliant.
Joy réfléchit un instant puis haussa les épaules :
- "Comme tu veux, après tout. J'espère juste que Simon n'aura
pas le mauvais goût de te chercher."
Ils entrèrent et refermèrent la porte.
Quand le soleil réveilla Largo, il était seul dans le lit. Il
s'assit en se demandant où était passée Joy. Une boule
de neige s'écrasant sur la baie vitrée lui donna la réponse.
La jeune femme, emmitouflée dans un peignoir était sur le balcon
de la chambre. Il sortit du lit et ouvrit la fenêtre.
- "Tu n'es pas un peu folle ? Tu vas attraper la mort avec le froid qu'il
fait !"
- "Non, ça va, ne t'inquiète pas. Au soleil, il fait très
bon ! Et puis tu n'as qu'à venir me tenir chaud, si tu ne me crois pas
!" termina-t-elle, rieuse.
Largo ne se fit pas répéter cette suggestion deux fois, mais,
plus prudent que sa compagne, il enfila un pantalon et un pull avant de sortir.
Quand il passa la porte-fenêtre, Joy était retournée à
sa contemplation du paysage et lui tournait le dos. Il l'enlaça et l'embrassa.
- "Bien dormi ?"
- "Mmmh, globalement oui. On ne peut pas dire que tu m'aies beaucoup laissé
respirer, mais c'est plutôt agréable de dormir dans tes bras."
Fit elle, amusée.
- "Je crois que c'est parce que j'avais tellement peur de ne pas te trouver
là quand je me réveillerais
Désolé !"
Murmura-t-il d'un ton contrit.
- "Héé, je plaisante ! J'ai très bien dormi !"
Rectifia-t-elle en se tournant vers lui.
Avec promptitude, elle se baissa, ramassa une poignée de neige et la
lui jeta. Largo réagit rapidement et s'ensuivit une bataille acharnée
qui, dans l'espace réduit que constituait le balcon ne laissait aucune
chance aux deux protagonistes : ils furent vite trempés et déclarèrent
une trêve. Voyant Joy frissonner, Largo la serra contre lui.
- "Tu es inconsciente d'être sortie sans
" Commença
Largo.
Un baiser fougueux de la jeune femme le fit taire. Il y répondit sans
se faire prier tandis que ses mains dénouaient la ceinture du peignoir
qui l'empêchait d'atteindre sa peau. Joy sentait les mains glacées
de son amant prendre possession de son corps. Elle bouillait littéralement
à l'intérieur et le contraste avec ce froid rendait ses caresses
encore plus intenses. Elle sentit ses doigts s'attarder sur les pointes raidies
de ses seins lui arrachant un gémissement de plaisir et de douleur mêlés.
Dans le même temps, la bouche du jeune homme avait quitté ses lèvres
et dévorait sa peau. Il léchait doucement les gouttes de neige
fondue qui coulaient dans son cou. Lui aussi ressentait avec intensité
la différence de température entre la peau chaude de Joy et l'eau
qui courrait sur elle. Enlacés, soudés l'un à l'autre et
titubants, ils finirent par prendre appui sur la porte-fenêtre, le dos
de la jeune femme contre la paroi vitrée. Les mains de Joy agrippèrent
la ceinture de Largo et firent sauter les boutons de son jean. Le jeune homme
saisit alors les hanches de sa compagne et s'introduisit en elle avec un soupir.
Alors, les bras de Joy agrippèrent les épaules de son partenaire
et ses jambes se nouèrent autour de ses hanches. Ils bougeaient à
l'unisson, sentant le plaisir irradier de chaque cellule de leur corps. La jouissance,
brutale et fulgurante les arracha un instant à la réalité
avant de les laisser rompus et hors d'haleine. Le froid les arracha à
cet instant de bonheur et ils regagnèrent la chaleur de leur lit, se
rendormant rapidement sous le gros édredon de plumes.
Simon dégringola l'escalier quatre à quatre, il était
rare qu'il soit d'attaque le matin, mais ce jour là était particulier.
Il n'avait pas fermé l'il de la nuit ou presque mais l'ébullition
régnant dans son cerveau le tenait éveillé. Pour faire
quelque chose, comme il était le premier levé, il prépara
du café et dressa la table du petit déjeuner, espérant
secrètement que les odeurs de nourriture feraient sortir les autres de
leur chambre. Effectivement, Georgi et Joy apparurent peu après. Largo
ne tarda pas à les rejoindre, il avait l'air détendu et de très
bonne humeur.
- "Ca va toi ?" demanda-t-il à son ami, voyant les cernes profondes
qui marquaient le dessous de ses yeux.
- "Oui, je n'ai pas beaucoup dormi, c'est tout ! Ca n'est pas la première
fois, tu es bien placé pour le savoir
On a passé suffisamment
de nuits entières sans se coucher, non ?"
Après leur petit déjeuner, Simon annonça qu'il se rendait
en ville. Il voulait essayer d'intercepter Ambre à la boutique plutôt
que de lui laisser un message. Les autres ne pouvant rien faire de plus avant
la fin de l'après-midi décidèrent d'aller skier, convenant
avec Simon d'un rendez-vous en haut des pistes à midi. Les trois amis
étaient des skieurs émérites et profitèrent pleinement
des possibilités de la station. Ils descendaient sans efforts parmi les
sapins, croisant peu de monde, la plupart des gens étant encore au lit,
ou déjà à la préparation de leur repas de noël.
Simon, quant à lui, s'était installé dans un café
d'où il pouvait surveiller le magasin où il devait contacter Ambre.
Quant il l'aperçut, remontant Main Street, il paya sa consommation, sortit,
traversa la rue et entra dans le magasin. Par chance, la vendeuse était
la même que la veille et son sourire attesta qu'elle l'avait reconnu.
Il lui expliqua qu'il avait perdu ses gants et elle lui indiqua un rayon. Ambre
entra alors, accompagné d'une petite fille âgée de deux
à trois ans, qui, si elle n'avait pas le charme mystérieux de
sa mère, n'en possédait pas moins une ressemblance frappante avec
elle. Ambre fit le tour de la boutique du regard et aperçut Simon.
- "Je cherche une écharpe pour ma fille. Je vais regarder ce que
vous avez." dit-elle gentiment à la vendeuse.
Ce rayon se situait à proximité immédiate de celui où
se trouvait Simon. Ainsi, de part et d'autre de l'étagère, ils
purent se parler discrètement, tandis que la vendeuse, qui avait compris
qu'ils souhaitaient ne pas être découverts, surveillait l'entrée
de la boutique. Simon lui expliqua rapidement le plan qu'ils avaient mis au
point.
- "Tu crois que tu y arriveras ?" demanda-t-il, inquiet à la
jeune femme.
- "Oui ! Je n'en peux plus de cette situation. Lola commence à se
poser des questions, elle fait des cauchemars la nuit
Je ne veux pas de
cette vie pour elle. Et puis, vous ne serez pas loin ?" dit elle avec fermeté
en observant la petite fille qui se promenait à quelques pas de là.
La petite souris apeurée de la veille avait disparu. Il avait face à
lui une femme décidée et résolue. Il sourit et serra sa
main, comme pour lui transmettre son courage. Elle leva les yeux et croisa son
regard : il fut bouleversé par la totale confiance qu'il put y lire.
Quand il sortit du magasin, sans avoir acheté ses gants, il avait l'impression
de marcher sur un nuage, d'être un personnage essentiel, investi d'une
mission. Il aurait pu combattre des géants, abattre des montagnes
Et c'est ce qu'il fit ! Sur deux planches de bois en rejoignant ses amis sur
les pistes de ski !
Il était quatre heures lorsque les quatre amis rejoignirent le chalet.
Après un rapide chocolat chaud qui les décongela, ils se préparèrent
à mettre leur plan à exécution. L'arbre de noël des
enfants débutait à 16h30. Il fallait qu'ils se dépêchent.
Ils arrivèrent à l'heure dite et furent accueillis aussi chaleureusement
que la veille par Edward et Emma. Malgré le dégoût que leur
inspirait désormais Vargas, Largo et Joy s'approchèrent de lui
et s'astreignirent à lui parler pour laisser le temps à leurs
amis de déplacer une caméra. Largo commença à tenter
d'intéresser le propriétaire d'hôtel à l'avantage
qu'il pourrait tirer de la venue de riches actionnaires du groupe W. Au début,
Vargas ne l'écoutait que d'une seule oreille, occupé à
surveiller Ambre qui restait auprès des enfants, parmi lesquels se trouvait
sa fille, puis, peu à peu, en bon homme d'affaires, il s'intéressa
aux propos du jeune milliardaire. Pendant ce temps, Simon et Kerensky ne perdaient
pas de temps. Georgi débrancha une caméra du hall, alors qu'au
même moment, Simon envoyait depuis le portable du russe, une image fixe
de la pièce sur les écrans de contrôle. Ca n'était
pas très fin comme stratagème, mais ça devrait être
suffisant pour tromper le vigile charger de surveiller la vidéo. La petite
caméra en poche, ils se dirigèrent tous deux vers l'appartement
privé de Vargas. Simon resta à l'extérieur pour faire le
guet, tandis que Kerensky se glissait discrètement à l'intérieur.
Il fallait faire vite. Parcourant rapidement les pièces, il essayait
de deviner quelle serait la plus propice pour laisser la caméra. Il opta
pour le salon qui avait l'air d'être la pièce la plus vivante.
Des jouets d'enfants étaient éparpillés, ainsi que des
livres et le piano était ouvert. Il ne lui restait qu'à trouver
un endroit discret pour laisser son mouchard, mais ça ne lui poserait
pas de problème. Il ne comptait plus le nombre de fois où il avait
effectué ce genre d'opération.
Dans la grande pièce, tout ne se passait pas aussi bien : après
deux tentatives pour s'éclipser, Vargas avait fini par planter là
Joy et Largo sous prétexte d'aller chercher des brochures de documentation
sur l'hôtel qui permettraient à Largo d'appuyer son projet auprès
de son conseil d'administration. Les deux jeunes gens se regardèrent,
affolés. Il ne fallait pas qu'ils soient démasqués maintenant,
ce serait dramatique pour Ambre et Lola.
Vargas se dirigeait à grands pas vers son appartement. Il aperçut
Simon qui rodait dans les parages. Avec méfiance et une rage contenue,
il lui demanda ce qu'il faisait là.
- "Heeuuu, je suis extrêmement intéressé par la peinture
florentine du XVII ème siècle. J'ai vu que vous possédiez
de forts beaux tableaux de cette période dans ce hall. Je serai comblé
si vous acceptiez de me les commenter et de me raconter où vous les avez
trouvés." inventa-t-il, bénissant le peu de culture picturale
appris de Joy durant l'année écoulée.
- "Et bien, plus tard, si ça ne vous ennuie pas, pour le moment,
des invités m'attendent !" répondit sèchement Vargas
en fronçant les sourcils, avant de s'engouffrer dans l'appartement.
Simon ferma les yeux, horrifié : ça y est Vargas allait tout découvrir,
tout était perdu, la situation de Ambre allait empirer alors qu'il avait
tant voulu l'améliorer, et ça serait sa faute. Il était
abattu et restait là, incapable du moindre mouvement.
Lorsqu'il avait entendu la porte de l'appartement, le cerveau de Kerensky s'était
mis a fonctionner avec l'efficacité stupéfiante qui le caractérisait
dans les situation d'urgence. L'adrénaline qui se déversait dans
ses veines, loin de le tétaniser, le rendait implacable et lucide dans
ses raisonnements. Il était clair qu'il n'aurait pas le temps de se cacher.
Il fallait qu'il trouve une raison valable d'être là. Il avisa
un costume pendu à une poignée de placard et enfila le bonnet
de père noël, la veste et s'assit tranquillement dans le canapé,
faisant mine de se préparer à passer les bottes. Vargas resta
quelques secondes interdit en voyant un demi père noël installé
dans son sofa.
- "Mais que diable faites vous là ? Et qui êtes vous ?"
Il n'avait pas reconnut Georgi qui en profita aussitôt :
- "Et bien, c'est moi qui doit jouer le rôle du père Noël
auprès des enfants cet après midi ! Ca me paraît évident
vue ma tenue !" expliqua-t-il avec un aplomb incroyable.
- "Mais c'est moi qui devait jouer ce rôle ! Qu'est ce que c'est
que ce cirque ?" s'énerva l'hôtelier
Aïe, un incident imprévu, mais qui ne déstabilisa pas le
russe outre mesure :
- "Je le sais mais votre femme a pensé que vous préféreriez
sans doute vous consacrer à vos invités plutôt que de faire
des photos avec un tas d'enfants braillards. Elle m'a donc embauché comme
extra !"
- "Ah, bon ! Et bien, dépêchez vous ! il ne faut pas faire
attendre ces gosses : ils sont déjà en train de courir partout
et dans tous les sens, il n'y a plus moyen de les tenir." accepta Vargas.
Après tout, la situation l'arrangeait plutôt.
- "Mais bien sur ! Je serai prêt dans cinq minutes." termina
Georgi d'un ton faussement impressionné.
Vargas récupéra les brochures promises dans le tiroir de son bureau
et sortit de l'appartement. Simon n'avait pas bougé. Il s'attendait à
voir revenir Vargas avec Kerensky démasqué mais il n'en fut rien
et l'homme passa près de lui sans lui décrocher le moindre mot.
Le suisse était abasourdi, comment Georgi avait il fait ?
De leur côté, Largo et Joy s'attendaient également à
voir Vargas entrer dans la pièce avec leurs deux amis démasqués
! Eux aussi furent extrêmement étonnés, mais aussi très
soulagés, de le voir entrer seul dans la pièce. Ils reprirent
leur conversation où ils l'avaient laissée.
Peu de temps après Vargas, Kerensky, déguisé en père
Noël sortit de l'appartement. Simon hésita entre rire et stupéfaction
en voyant son ami ainsi grimé.
- "Ose seulement un sourire et je te jure que je retourne enlever cette
foutue caméra de là où elle est et je te la fais manger
!" menaça le russe.
En peu de mots, il expliqua ce qui s'était passé à Simon
et lui dit qu'il allait donc devoir conserver son "emploi" de père
Noël pendant un moment pour ne pas attirer les soupçons. Il faudrait
que Joy et Largo jouent le jeu eux aussi, ainsi que Ambre, qui était
sensée l'avoir embauché. Simon se chargea de les mettre au courant
discrètement et ils se séparèrent. Kerensky alla remplir
sa hotte des jouets prévus pendant que Simon rejoignait les autres. Vargas
s'était de nouveau éloigné de Joy et Largo qui se dirigeaient,
inquiets, vers la hall. Simon les arrêta et leur fit un topo de la situation.
Joy ne put retenir un éclat de rire :
- "Je pense que tu vas devoir te montrer très, très, très
gentil avec Kerensky dans les mois à venir, quand tout ça sera
fini, il va te faire payer ça au centuple mon pauvre Simon !"
Le suisse n'eut pas le temps de répliquer : Vargas avait baissé
les lumières, s'était emparé du micro et annonçait
la venue du père Noël. Au milieu des enfants qui ne tenaient plus
en place, le père noël Kerensky fit son entrée. Sa haute
stature et son déguisement parfait le rendaient très crédible
et les enfants l'accueillirent avec des "Oh" et des "Ah"
d'exclamation. Il s'assit sur le fauteuil qui lui avait été réservé
et commença sa distribution de cadeaux. D'un seul coup, la petite Lola
s'échappa des bras de sa mère et vint d'autorité s'installer
sur les genoux de Georgi. Celui ci ne rechigna pas et la garda avec lui pendant
le reste de son "mandat", soit sur ses genoux, soit dans ses bras.
De toute façon, il était inutile d'essayer de se libérer
de l'emprise de la fillette : il avait tenté de la rendre une fois à
sa mère et la petite s'était mise à hurler ! En retrait
dans un coin, les trois autres membres de l'Intel Unit enchaînaient les
fou-rires comme ils ne croyaient pas que ce fut possible. Ils riaient tellement
qu'ils en pleuraient. Et chaque regard menaçant de Georgi n'était
qu'un motif de plus d'hilarité. Enfin, le calvaire du pauvre Kerensky
cessa et les enfants, occupés par leurs jouets, le laissèrent
tranquille. Lola s'était tranquillement endormie dans les bras du géant
russe et il put ainsi la déposer dans ceux de sa mère qui, bien
que ne comprenant pas pourquoi l'un des amis de Simon avait dû jouer le
rôle du père Noël, lui lança un regard chargé
de reconnaissance.
Rapidement, Simon, Largo et Joy prirent congé de leurs hôtes et
sortirent. Ils rejoignirent un Kerensky furieux, qui, durant tout le trajet
du retour ne manqua pas de les houspiller et de les menacer de représailles
pour leur conduite inqualifiable de l'après-midi.
A peine installés dans le salon, devant la cheminée, ils se regroupèrent
autour du portable de Georgi qui recevait les signaux émis par la caméra.
Pour le moment, il ne se passait rien par contre l'image était parfaitement
nette et révélait une grande partie du salon de Vargas.
- "Bien joué, Georgi ! La caméra est idéalement placée."
s'exclama Simon.
- "Qu'est ce que tu croyais ? Je ne fais jamais les choses à moitié."
répondit le russe laconiquement.
Il ne se passa rien pendant un certain temps, un peu lassés de cette
inaction, Largo et Joy décidèrent de se charger de la préparation
d'un léger repas et se dirigèrent vers la cuisine. Georgi vérifiait
des connexions pour la réception du son tandis que Simon, tendu et captivé,
ne quittait pas l'écran des yeux.
- "Les voilà !" rugit-il d'un seul coup.
Effectivement, quelques secondes plus tard, les protagonistes arrivèrent
dans le champ de la caméra. Ambre quitta très vite la pièce
et revint sans le bébé qu'elle avait vraisemblablement mis au
lit. Vargas s'était assis devant son bureau et avait sorti une pile de
papiers qu'il commençait à relire. La jeune femme avait l'air
apeurée mais résolue. Elle ne savait pas où se trouvait
la caméra mais espérait que tout marchait normalement ! Elle prit
une grande respiration et se lança :
- "Je vais partir !" commença-t-elle brutalement.
Vargas leva la tête, un sourire mauvais, à la fois ironique et
apitoyé, aux lèvres :
- "Qu'est ce que tu crois ? Que tu peux t'en aller ? Mais ma pauvre fille,
tu n'es rien sans moi ! Il suffit que je décroche le téléphone
et tu perds tout : ton job, ta situation, tes amis et ta fille ! Tu es pitoyable.
Qui t'as mis ces velléités de départ en tête ?"
- "Tu ne peux plus rien contre moi. Et puis même si c'est le cas,
tant pis, je suis prête à courir le risque. Je ne veux pas que
ma fille grandisse auprès de toi ! Tu un malade. Ta jalousie et ta paranoïa
t'aveuglent !" s'entêta-t-elle en priant pour que le plan de l'Intel
Unit fonctionne.
Vargas se leva, menaçant et se pencha sur elle.
- "Ma jalousie ? Ma paranoïa ? Mais tu étais bien content de
les trouver quand tu étais dans le ruisseau, sans un kopeck devant toi
et avec ta gamine en foyer d'accueil ! Alors tu la ferme et tu arrêtes
de cracher dans la soupe !"
Ambre tenta de se lever mais d'une poussée il la rejeta dans son fauteuil.
- "Ca se gâte ! Il faut qu'on y aille !" s'exclama Simon en
jaillissant du canapé avant d'enfiler un manteau.
Les trois autres ne répliquèrent pas mais se dépêchèrent
de suivre l'exemple du Suisse. Ils montèrent rapidement en voiture, Georgi
avait toujours le portable ouvert sur les genoux et Simon et lui suivaient l'évolution
de la situation.
Ambre était terrifiée, mais elle se disait aussi que si elle
ne faisait pas le grand saut cette fois là, elle resterait enfermée
dans cette vie qu'elle n'avait pas choisie en sachant qu'elle avait laissé
passer la chance qu'on lui aurait offerte. Elle se reprit donc et se dégagea
de l'emprise de Vargas. Il s'attendait si peu à une résistance
de sa part qu'elle parvint à se lever. Elle lui fit face et en rajouta
encore un peu pour le provoquer :
- " Cracher dans la soupe ? Mais qu'est ce que tu crois m'avoir apporté
? Je vis ici comme une recluse, je ne peux parler à personne sans que
tu me vois avec un amant ! Tu m'as coupée de ma famille, de mes amis.
Effectivement, je ne suis plus rien sans toi et je n'en peux plus de vivre comme
ça. J'en ai marre de ce simulacre de vie sociale que tu me proposes !
J'en ai marre que tu me sortes de temps en temps de mon cachot pour m'exhiber
quand tu as besoin d'avoir une jolie femme à ton bras ! Marre que ma
fille se réveille la nuit en pleurant et en me demandant pourquoi je
me fais sans arrêt disputer ! Oui, j'en ai ras le bol de tout ça
et je vais me tirer ! Et avec Lola !"
Vargas la saisit par le bras avec violence, imprimant la marque de ses doigts
dans la chair de la jeune femme et la secoua en hurlant :
- "Tu n'es qu'une garce, une ingrate ! Tu ne feras pas trois pas dehors
avant d'avoir les flics de tout l'état sur le dos ! Ici, tout le monde
me fait confiance. C'est toi, la pièce rapportée. Personne ne
croira tes affabulations !"
Il leva la main et lui décocha une gifle qui envoya la jeune femme à
plusieurs mètres de là. Lorsqu'elle se releva, un peu de sang
coulait de son nez. Vargas, rendu fou par la résistance farouche quelle
lui opposait pour la première fois, se jeta sur elle pour la frapper
encore. Heureusement pour Ambre qui commençait à paniquer, la
porte s'ouvrit avec fracas et les quatre membres de l'Intel Unit entrèrent.
Instantanément, Joy se jeta sur Vargas pieds et poings en avant. Dans
le même temps, Simon se précipita vers Ambre. Il la serra contre
lui et lui murmura des mots rassurants. En peu de temps, Joy eut mis l'hôtelier
au tapis et elle l'eût véritablement démoli si Largo ne
l'avait pas arrêté en l'attirant contre lui.
- "Joy arrête ! Il ne représente plus une menace. Je pense
qu'on peut être tranquilles."
- "Bon sang je déteste cette ordure pourrie ! Je te jure que si
tu essaies de toucher un seul des cheveux de Lola ou de Ambre, je me ferai un
plaisir de te pendre avec tes propres tripes !" cracha-t-elle à
l'attention de Vargas qu tentait de reprendre ses esprits.
- "Elle ne plaisante pas du tout là." renchérit Kerensky,
d'un calme olympien, tout en enroulant tranquillement les fils de la caméra.
De tant de tension et de peur accumulées, Ambre avait fondu en larmes
et Simon la berçait doucement. Ces deux là semblaient avoir oublié
où et avec qui ils se trouvaient. Leurs regards tournés vers eux-mêmes
ne voyaient qu'eux. Joy, Largo et Georgi échangèrent un sourire
complice. A peine quelques heures auparavant, pas un seul d'entre eux n'aurait
parié quoi que ce fût sur ce revirement de comportement de Simon
!
- "On pourrait peut être expliquer clairement à Monsieur Vargas
pourquoi il ne va rien tenter contre Ambre ?" intervint Georgi d'un ton
glacial.
- "Effectivement. Je pense que nous allons pouvoir mettre en place une
parfaite collaboration, réellement fructueuse. Je te laisse lui dire
pourquoi, Georgi, ta force de conviction me laisse toujours pantois !"
ajouta Largo, pince sans rire.
- "Et bien, pour faire simple, Monsieur Vargas, je tiens à vous
signaler que l'intégralité de la scène qui a eu lieu ici
ce soir a été filmée et enregistrée. J'admire d'ailleurs
la qualité de votre matériel et je vous remercie pour la mise
à disposition ! Nous vous proposons donc un marché : le faux dossier
que vous avez monté contre Ambre, en échange de cette cassette
Ou mieux, nous gardons tous ce que nous avons, je n'ai aucune envie de poser
les yeux et encore moins les mains sur le torchon que vous avez rédigé,
mais vous êtes prévenu. Si jamais Ambre avait des ennuis, nous
saurions instantanément d'où cela viendrait et soyez assuré
que dans la minute, cette cassette ferait le tour de tous les endroits où
vous êtes connu. Mauvaise publicité, n'est ce pas ?"
Vargas s'était traîné jusqu'au canapé où il
s'était affalé, regardant avec une stupéfaction navrée
l'homme qui n'était tout à l'heure qu'un vulgaire intérimaire
chargé de contrefaire le père Noël et il réalisait
la lourdeur de son erreur. Il avait l'air totalement abattu et durant plusieurs
secondes, il ne se passa plus rien. Puis, la petite Lola se mit à pleurer.
Ambre amorça un geste en direction de la chambre, mais Kerensky la devança.
En haussant les épaules il dit d'un ton qu'il tentait de dénuer
de tout sentiment :
- "Laissez, je vais la chercher. Si elle vous voit dans cet état,
elle va prendre peur !"
Et il quitta la pièce. Les autres restèrent abasourdis. Ils tendirent
l'oreille et entendirent le russe parler au bébé à voix
basse. Ils ne comprirent pas ce qu'il lui disait mais la petite cessa de pleurer
et quand Georgi revint, elle était blottie contre sa poitrine et s'était
sagement rendormie. Alors que Kerensky s'asseyait dans un fauteuil avec son
précieux fardeau calé dans les bras et conservait un il
sur un Vargas défait qui ne représentait plus réellement
une quelconque menace, les trois autres allèrent aider Ambre à
préparer quelques affaires pour elle et Lola. Ils revirent rapidement
et se préparèrent à quitter les lieux. Au moment de quitter
la pièce, Ambre fit demi tour et regarda longuement Vargas puis sans
un mot passa le seuil, tournant le dos à ce pan de sa vie.
Ils rentrèrent au chalet de Sullivan. Personne n'avait envie de parler.
Ils étaient tous les cinq partagés entre soulagement et fatigue.
A peine entrés, Simon, d'une prévenance incroyable se proposa
pour préparer une boisson chaude pour tout le monde. Pendant ce temps
là, les autres s'installèrent autour de la cheminée. Alors,
peu à peu, ils revinrent sur les évènements de la soirée.
Ils expliquèrent à Ambre l'épisode "père Noël"
de l'après midi, ce qui contribua largement à détendre
l'atmosphère. Voyant que la jeune femme semblait épuisée,
Simon demanda :
- "On s'organise comment pour dormir ? Il n'y a plus de chambre de libre."
Un blanc suivit puis Joy prit la parole :
- "Et bien, je pense qu'on peut envisager que je te laisse la mienne, Ambre
!"
- "Mais heu
Et ???
Ahhh !!" Fit Simon alors que la lumière
se faisait lentement dans son esprit sous l'il goguenard de Georgi.
Largo resta muet et se contenta d'enlacer Joy avec un grand sourire. Il était
ravi que la décision de mettre leurs amis dans la confidence de leur
liaison vienne d'elle. Ce problème de logistique résolu, ils rejoignirent
tous leur lit avec joie, épuisés par cette journée mouvementée.
Le lendemain matin, Sullivan passa un coup de fil, annonçant que tout
était rentré dans l'ordre à New - York, sonnant ainsi le
glas des vacances de l'Intel Unit. On attendait Largo pour des réunions
et plusieurs réseaux informatiques avaient pâti de la panne et
requéraient l'aide de Kerensky. Simon voyait venir avec angoisse le moment
où il lui faudrait se séparer de Ambre. Pour la première
foi de sa vie, il se trouvait coi, incapable de trouver les mots pour lui faire
comprendre à quel point il aurait voulu qu'elle reparte avec eux pour
New - York, combien il voulait rester avec elle
Alors qu'ils descendaient tous leurs sacs dans l'entrée, Simon lui demanda
ce qu'elle comptait faire maintenant.
- "Et bien, je ne sais pas, mais il paraît que le groupe W offre
des perspectives de carrière intéressantes à ses employés
motivés. Je me demande si je ne vais pas tenter ma chance de ce côté
là !" dit elle malicieusement, un éclair pétillant
au fond de ses yeux mauves.
Simon eut la sensation que la foudre tombait à ses pieds ! Ils avaient
tout magouillé ensemble et lui se torturait depuis des heures pour savoir
comment il allait la convaincre de venir avec eux à New - York. Il jeta
un coup d'il furibond sur ses amis, naturellement hilares puis il ne put
s'empêcher de partager cette bonne humeur et en serrant la jeune femme
dans ses bras, il se joignit à l'éclat de rire général.
Quand il se furent un peu calmés, Largo expliqua à Simon ce qu'il
en était :
- "J'ai discuté avec Ambre. Avant tout ça, elle a fait des
études de tourisme et elle a une excellent connaissance du terrain. Je
l'ai embauchée pour organiser spécifiquement nos déplacements.
Ca déchargera un peu Gabriella de son surplus de travail et Ambre a tous
les contacts nécessaires dans les milieux hôteliers d'affaires."
- "Génial ! Je vois que je n'ai pas mon mot à dire ! Pourtant
en tant que chef de ton service de sécurité, j'ai un droit de
regard sur le personnel que tu embauches dans ta garde rapprochée, mon
cher Largo !" Fanfaronna Simon, réellement ravi par la nouvelle.
Jerry ayant repris son travail, c'était le jet privé de Largo
qui les attendait sur le tarmac. Tous s'installèrent et ils s'envolèrent
sans encombre. Joy, sa main dans celle de Largo contemplait son visage en se
disant que ce noël lui avait apporté une sérénité
et une joie qu'elle ne pensait plus pouvoir connaître. Ce qui adviendrait
plus tard, il serait toujours temps de s'en préoccuper le moment venu.
Largo observait, un sourire au lèvres, le charmant tableau composé
par Ambre et Simon, blottis dans le canapé. Il pensait que son ami avait
radicalement changé en très peu de temps et , en lui même,
il leur souhaitait tout le bonheur possible. Les deux tourtereaux avaient les
yeux tournés vers Kerensky qui jouait avec Lola, la faisant rire aux
éclats. Simon était à la fois attendri et ébahi
par la facilité avec laquelle la petite fille avait adopté le
colosse. Il n'aurait jamais cru possible de voir Georgi fondre ainsi et prendre
le temps de s'occuper avec une pareille tendresse d'un bébé. De
temps à autre, le russe levait les yeux et regardait Largo et Joy
Ils en avaient mis du temps ces deux là, mais maintenant qu'ils s'étaient
trouvés, il était prêt à parier sur la solidité
de leur couple
Oh, il y aurait des hauts et des bas, des heurs et des
réconciliations, on ne disciplinait pas deux caractères comme
les leurs comme ça, mais il croyait à la durée !
En une seconde, tous se rendirent compte qu'ils étaient observés
et les regards se croisèrent. Sans qu'aucune parole n'eut besoin d'être
prononcée, ils s'étaient compris et ils étaient tous d'accord
Oui, décidément, ce noël avait changé un sacré
paquet de choses
Et ils partirent tous d'un grand éclat de rire
!
FIN