Un caprice du destin


Disclaimer : Les personnages ne sont bla bla bla…

Résumé : Joy attend un heureux événement mais une terrible nouvelle vient gâcher son bonheur.

Genre : Drame, kleenex

Archives : www.bricbrac.fr.st

Auteur : Scilia, la seule, l'unique, toujours aussi sadique et non, j'ai pas honte ^____________^

***

Une joie intense bien plus que je ne saurais la définir. Quelques secondes qui devaient changer ma vie à jamais. Des larmes se mêlaient à mes rires de joie. J'étais dans un état indescriptible et, dieu merci, seule dans ma salle de bain. J'eus besoin de quelques minutes pour me calmer. Mes yeux n'arrivaient pas à se détacher du stylet de plastique que je tenais dans ma main droite ou plutôt, des deux traits bleus caractéristiques de mon… état. Diable cela me faisait étrange de savoir qu'une vie grandissait au fond de moi mais encore plus de penser que je pouvais, non que j'étais enceinte. J'essuyais mes larmes et, accidentellement, croisait mon reflet dans la glace de l'armoire de toilette. Nul doute qu'aucune personne me connaissant n'aurait pu imaginer un jour me voir dans un tel état. J'avais l'air d'une folle avec mes cheveux en bataille, mon rimmel qui avait dessiné deux traits noirs, maladroitement essuyés, sur mes joues mais je m'en moquais. Il n'y avait plus qu'une seule chose qui comptait, cette petite vie en moi.

L'annoncer au père n'allait pas poser de grands problèmes puisque nous étions officieusement ensemble depuis près de six mois. J'avais eu du mal à laisser mes sentiments prendre le dessus mais la déclaration qu'il m'avait faite, à Montréal après qu'il eut cru m'avoir perdu, m'avait fait fondre. Il m'aimait du plus profond de son âme et il en était de même pour moi alors pourquoi ne pas vivre cette passion ? Je crois que voir la mort en face m'a fait revoir en détail ma vie et ce que j'en avais fait. D'accord, mon père m'a élevé en garçon manqué, je suis capable de tuer un homme de sang froid, j'ai eu de brèves aventures, j'ai voyagé, j'ai fait des rencontres mais sans jamais pouvoir garder de vrais amis à l'exception des membres de l'Intel Unit mais nos rapports sont un peu plus compliqués que cela. En conclusion, je n'avais rien construit, rien ne portait ma marque dans ce monde. Il fallait que cela change et le premier changement se produisit avec Largo. Oh les choses ne se passèrent pas facilement, ni rapidement. Il avait quelques petits défauts, notamment celui de regarder toutes les jolies femmes qui passaient dans son champ de vision, ce qui m'agaçait un peu mais je n'étais pas parfaite non plus. J'avais énormément de mal à me laisser aller, à me détendre, à me confier à lui. Et puis les choses sont devenues ce qu'elles sont maintenant. Je suis avec lui et nous allons avoir un enfant ce qui va, sans aucun doute, nous obliger à officialiser notre liaison mais le mariage ne me fait plus autant peur qu'avant même s'il n'en sait rien. Il faut dire que je passe quasiment toutes mes nuits au penthouse et que, parfois, je me demande pourquoi j'ai gardé mon appartement.

J'avais tout un plan de bataille pour lui annoncer cette merveilleuse nouvelle :

Premièrement, éloigner les intrus ce qui incluait Simon, Sullivan et Kerensky. Ils étaient les seuls à connaître la vraie nature de nos relations mais je n'avais pas envie qu'ils proposent à Largo une virée en boite, ou encore un dossier à étudier, pour le soir où j'allais réaliser l'un de ses rêves.

Deuxièmement, concocter un bon repas et là, les choses se compliquaient un peu. Je suis loin d'être un cordon bleu mais j'arrive à me débrouiller pour faire des plats plus ou moins raffinés. Le hic allait être d'avoir accès à la cuisine du penthouse toute l'après-midi et pour cela j'avais besoin de l'aide de Kerensky. Bloquer la porte de l'appartement était loin d'être un problème pour lui. Je crois qu'il a deviné mon secret car, avant que je reparte, il s'est levé humblement et m'a embrassé sur le front. Oui, Kerensky, l'homme de glace, j'ai cru rêvé mais non. Bien sûr, si tôt après, il a fait celui qui n'avait pas bougé de son fauteuil mais la grossesse ne donne pas encore d'hallucination que je sache !

Troisièmement, trouver la manière de lui annoncer. Je ne pouvais quand même pas lui dire de but en blanc : " Tu vas être papa, tu veux encore un peu de dinde ? ". C'était un coup à ce qu'il s'étrangle avec la dinde en question ! J'avais pensé à quelque chose de plus subtil mais… les hommes et les choses subtiles ça fait…hum, enfin vous voyez. L'idée m'était venue aussi de lui faire un genre de charade ou rébus mais là, je coinçais sur les termes à employer. J'ai finalement trouvé une chose toute simple : J'ai pris le test de grossesse que je conservais précieusement dans mon sac (oui, je sais, ça peut paraître idiot mais il m'arrivait de douter d'être réellement enceinte et c'était la seule preuve tangible que j'avais) et je l'ai mis dans une petite boite que je comptais lui offrir à la fin de notre dîner.

J'appréhendais, même si je connaissais son désir d'avoir des enfants, de lui donner ce fameux paquet. Largo se doutait de quelque chose car j'avais vraiment mis les petits plats dans les grands mais il devait croire que j'allais (enfin) lui donner ma réponse concernant sa proposition d'habiter ensemble. Il s'est proposé de débarrasser la table et je l'ai laissé faire, en profitant pour créer une ambiance un peu plus intime, j'ai mis un slow de X-japan que j'aime particulièrement Crucified my love. Largo m'a rejoint sur le canapé, un sourire malicieux sur les lèvres, et m'a pris dans ses bras avant de m'embrasser. Il a paru surpris que je lui offre un cadeau et je l'ai vu réfléchir un court instant pour vérifier qu'il n'avait pas oublié mon anniversaire ou une fête quelconque. Il a regardé brièvement dans la boite sans vraiment comprendre alors il a levé les yeux vers moi avant de les reposer sur le test. Son visage s'est brusquement figé et j'ai eu peur, l'espace d'un instant je dois l'avouer, qu'il ne nous rejette mais, aussi brusquement qu'il était devenu immobile, un immense sourire a éclairé son visage et ses yeux azur. Il avait du mal à aligner deux mots cohérents mais a quand même réussi à me faire confirmer de vive voix ce qu'il venait de comprendre.

Cela faisait quinze jours que j'étais allé chez le meilleur gynécologue de New-York (choisi par Largo qui ne voulait rien savoir de mon ancien docteur pour je ne sais quelle raison) et qu'il m'avait fait faire diverses prises de sang. La date d'accouchement était prévue pour le 16 février, notre mariage (car Largo m'avait bien précisé qu'il était hors de question que son fils, il était persuadé que c'était un garçon, naisse sans que ses parents ne soient mariés) pour le 24 décembre. Je sais, vous devez vous dire que mon esprit combatif aurait dû me faire repousser ce mariage, ou même me faire fuir, mais bizarrement non. J'avais grandi dans une famille désunie, Largo loin de son père et nous n'aspirions qu'à une chose, donner un foyer stable et aimant à notre enfant. Bien entendu, notre relation allait faire la une des journaux, notre mariage aussi mais qu'importait le monde extérieur tant que nous arrivions à nous préserver des moments d'intimité et une vie de famille au groupe W. J'en étais à trois mois de grossesse et tout se passait merveilleusement bien, du moins était ce l'impression que j'avais. Simon était déjà gâteux en pensant au futur petit Winch, Kerensky beaucoup plus distant mais je ne doutais pas qu'il allait se laisser conquérir par le bébé. Bien sûr, en tant que maman, je n'étais pas objective du tout. Mon enfant allait être le plus beau, le meilleur, le plus adorable, enfin vous voyez certainement ce que je veux dire. Et puis la nouvelle est arrivée.

J'avais rendez-vous pour la visite du quatrième mois chez mon gynécologue. Largo n'avait pu m'accompagner du fait d'un conseil d'administration alors Simon s'était proposé de le remplacer. Il s'était senti un peu embarrassé dans la salle d'attente avec toutes ces femmes enceintes mais je lui avais demandé d'y rester car c'est moi qui aurait été gênée que Simon assiste à la consultation. Une fois les examens et la prise de sang habituelle effectuée, je me rhabillais et passais dans son bureau. Je sentais depuis le début de la consultation que le médecin était un peu distant, ennuyé par quelque chose qu'il taisait et qui me concernait. Il ne me laissa pas longtemps dans le flou et m'apprit avec autant de tact qu'il le pouvait que mes dernières analyses avaient confirmé ce qu'il soupçonnait depuis ma première prise de sang. Je me rappelais avoir signé quelques papiers pour qu'il puisse faire tous les tests nécessaires mais je ne voyais pas de quoi il voulait parler. Instinctivement, je posais mes mains sur mon ventre qui commençait à s'arrondir. D'une voix douce, il m'annonça que j'étais porteuse du virus HIV. Il enchaîna en précisant que la maladie n'était pas déclarée mais que ma grossesse devait être surveillée de très près. Il m'informa aussi que, dans le pire des cas, je pouvais perdre mon enfant…handicape… autisme… malformation… il parlait mais je n'écoutais plus. J'avais le sida… j'étais séropositive ou ne l'étais-je pas puisque la maladie ne s'était pas déclarée ? Des bribes de phrases, d'articles que j'avais lus, me revinrent en mémoire mais tout se mélangeait. Je portais mes mains à ma tête pour essayer d'endiguer le flot de pensées qui me submergeait sans vraiment pouvoir y arriver puis tout devint noir et je m'écroulais devant le bureau de mon gynécologue.

Je me réveillais dans la chambre de Largo. Il était assis sur le lit près de moi, le visage grave et poussa un léger soupir de soulagement en constatant que je reprenais conscience. Il m'apprit que Simon m'avait ramené après mon évanouissement, qu'il avait appelé le gynécologue afin de savoir ce qui s'était passé mais que ce dernier avait invoqué le secret professionnel. En clair, Largo était fou d'inquiétude à l'idée qu'il eut un problème avec moi ou le bébé. Et moi, j'avais besoin de faire le point sur ce que je venais d'apprendre. Je prétextais la vague de chaleur qui s'était abattue sur Manhattan et le rassurait avec un sourire et un baiser passionné. Il refusait de retourner travailler mais je réussis à le convaincre que j'allais mieux (j'ai toujours été persuasive) et que je l'appellerais au moindre problème. J'avais surtout besoin d'être seule. J'appelais le gynécologue, j'avais quelques questions à lui poser notamment celle concernant le mode de contaminations. La réponse me vint immédiatement à l'esprit après qu'il m'eut expliqué les modes de transmission : Montréal. J'y avais perdu énormément de sang suite à ma blessure et l'on m'y avait fait une transfusion. Le docteur me questionna sur mes intentions. Il était possible d'arrêter ma grossesse maintenant m'apprit-il avec délicatesse mais il ne fallait pas tarder trop longtemps selon lui. Il me prévint aussi que je devais m'abstenir du moindre effort car je risquais une fausse couche. Je n'en comprenais pas la raison puisqu'il m'avait assuré que la maladie n'était pas déclarée. Je le remerciais et raccrochais. J'avais besoin d'informations et il n'y avait qu'un seul endroit où je pouvais le trouver : le bunker.

Kerensky fit mine de ne pas être inquiet pour moi mais la ride qui était apparue sur son front dès mon arrivée m'indiquait le contraire. Je préférais éviter la discussion et il le sentit car il replongea le nez dans son écran dès que je fus installée. Je trouvais de nombreuses informations grâce à divers sites sur Internet mais aucun ne put répondre à la question : que devais-je faire ? En parler avec Largo, c'était évident mais comment prendrait-il cette triste nouvelle ? Je ne voulais en aucun cas qu'il souffre par ma faute et c'était sans nul doute ce qui allait se passer. Tout était remis en question : notre vie à deux, le mariage, mon espérance de vie m'aperçus-je soudain avec stupeur. Je m'étais toujours imaginée mourir en service ou en ayant atteint l'âge honorable de 80 ans, entourée de mes enfants et peut-être des petits-enfants. Ce rêve utopique s'envolait en même temps que celui d'avoir un enfant. Avais-je le droit de lui faire courir le risque d'être handicapé ? Avais-je le droit de lui retirer la vie alors qu'elle venait de commencer ? Pourquoi moi ? J'avais les poings serrés et retenais mes larmes, je ne voulais pas pleurer devant Kerensky. Il n'était plus un ennemi mais j'avais encore ma fierté. J'effaçais l'historique des sites que j'avais consulté, pensant qu'il ne pourrait retrouver l'objet de mes recherches, et sortis après l'avoir brièvement salué.

Je gardais mon secret pendant encore deux semaines. Je sais que cela peut paraître long mais pour moi le temps a passé trop vite. Largo me couvrait d'attentions qui étaient autant de piques qui avivaient ma douleur. Comment pouvais-je anéantir sa vie ? La mienne suffisait largement. J'avais pris ma décision. Je n'allais pas lui annoncer la nouvelle, j'allais disparaître purement et simplement de sa vie. Je ne voulais pas que la maladie pèse sur notre couple, sur nos rapports amoureux, je ne voulais pas être présentée à la une des journaux comme la " femme séropositive " prise en pitié par Largo. Les torchons à scandales s'en donneraient à cœur joie, je les entendais presque déjà douter de sa paternité. Je savais que j'allais lui faire du mal mais j'en souffrirais aussi. Maintenant que ma décision était prise, je n'avais plus qu'à mettre au point un plan fiable. Il y avait toujours la question de garder ou non le fœtus avec le risque qu'il y ait des problèmes en cours de grossesse ou à la naissance. Je décidais de m'en remettre au destin. Je ne croyais pas en Dieu et n'y crois pas plus maintenant mais, sur le moment, cela me parut une bonne idée.

Cela fait trois mois maintenant que j'ai abandonné mon ancienne vie, que j'ai abandonné Largo, que mon bébé a grandit dans mon ventre, que je change de ville chaque mois de peur d'être retrouvée. Je suis persuadée que Kerensky me cherche et je le connais, il n'abandonne jamais. Il est un peu dur pour une femme enceinte de passer inaperçue mais, pour l'instant, je me débrouille plutôt bien. Je n'ai pas oublié les leçons de mon père qui ont finalement servi à quelque chose. Je loge le plus souvent dans des foyers pour mère célibataire ou dans des motels plus que douteux. Ce n'est pas important, ce qui l'est c'est que mon enfant se porte bien. La dernière échographie a montré qu'il était parfaitement sain et j'en avais presque les larmes aux yeux de soulagement. Mais la vie nous réserve toujours un de ces petits coups " vaches " comme dit une expression populaire.

J'étais dans la banlieue de Détroit, dans un motel un peu plus luxueux que ce que je me permettais d'habitude car mes reins ne supportaient plus de dormir sur des matelas rongés par l'usure. Je m'étais, bien entendu, inscrite sous un pseudonyme, de même que mon apparence physique changeait régulièrement. J'avais opté pour une teinture rousse sur mes cheveux qui m'arrivait maintenant aux épaules. J'avais changé aussi de style vestimentaire mais ce n'était pas seulement ma fuite qui m'avait contrainte à ce changement, mon énorme ventre y était aussi pour quelque chose. Je n'avais pas vu de médecin depuis un mois, j'avais rendez-vous le lendemain matin dans un dispensaire. J'aurais préféré aller à l'hôpital mais je ne pouvais donner ma carte de mutuelle, Kerensky aurait pu me retrouver sans problème. Même principe pour mes cartes de crédit que j'avais abandonné avant de partir de New York. J'avais de plus en plus de mal à dormir à cause du bébé qui bougeait dans tous les sens, à cause de ma vessie qui semblait ne pas être plus grande qu'une tasse à café, à cause de Largo aussi. Je ne pouvais pas m'empêcher de me demander ce qu'il faisait, s'il pensait à moi, s'il avait trouvé quelqu'un d'autre, etc…Tellement de questions qui resteraient toujours sans réponse car il était hors de question que je l'appelle. Je me tournais donc une énième fois dans mon lit quand je sentis soudain une horrible douleur me déchirer le ventre. J'en restais le souffle coupé un long moment, essayant de respirer par petits halètements comme je l'avais lu dans un livre parlant de l'accouchement. La douleur devint supportable au bout de dix longues minutes et je pus me lever pour constater que je perdais du sang. Je ne pouvais accoucher maintenant, fut la première pensée qui me traversa l'esprit. Il était trop tôt ! Une seconde crise vint me surprendre et je me raccrochais avec peine à la commode pour ne pas tomber. Il n'y avait pas de temps à perdre, je devais appeler les secours même si cela devait signifier la fin possible de ma fuite. J'avais des papiers au nom de Elisabeth Perkins et je doutais sérieusement que Kerensky ne trouve mon identité secrète malgré tout, je redoutais d'aller à l'hôpital. Je parvins à atteindre le téléphone, après avoir donné quelques renseignements et serrée les dents sous l'assaut d'une nouvelle douleur, une voix féminine me prévint qu'une ambulance arrivait avant que je ne perde connaissance.

Le brouhaha des voix, une main chaude sur mon front, une lumière blanche, des ombres grises qui semblaient m'appeler à elle. Un peu plus tard, une voix qui me parlait, la voix de quelqu'un que je connaissais sans pouvoir déterminer de qui il s'agissait. Je ne saisissais pas le sens de ses paroles mais je me laissais bercer par ses intonations rassurantes et je sombrais de nouveau dans le néant. Je me réveillais deux jours plus tard dans une chambre d'hôpital. Mes souvenirs étaient confus, je ne me rappelais pas où j'étais et je ne répondis pas quand l'infirmière m'appela Elisabeth. Je m'appelais Joy… Arden, j'étais la garde du corps de Largo et… je n'étais pas à New York. Soudain tout me revint en mémoire, le bébé, ma fuite, la chambre d'hôtel, l'appel aux urgences,… Je portais la main à ventre et constatait qu'il était moins rebondi. Où était mon enfant ? Il avait besoin de moi et j'avais besoin de lui ! Je tentais de me lever, arrachant la perfusion de mon bras, quand la porte de la chambre s'ouvrit. Je suspendis mon geste en regardant la personne qui venait d'entrer. Je ne pensais pas le revoir et surtout pas dans ce genre de circonstance. Il semblait ému et en colère en même temps. Je l'avais fuit au lieu de partager mes problèmes avec lui mais, une chose était sûre, je ne cherchais pas son pardon et ne le chercherais jamais. Même maintenant, avec le recul, j'estime avoir fait le bon choix. Je voulais l'épargner mais je doute qu'il n'ait jamais vraiment compris. Il est resté silencieux. Je le voyais hésiter à parler, un peu mal à l'aise aussi alors qu'il n'avait rien fait de répréhensible. Une infirmière mit fin au silence pesant qui régnait entre nous. Je l'interrogeais sur mon bébé mais tout ce que qu'elle daigna répondre c'était qu'un médecin allait arriver. Nous sommes restés face à face, en silence. Largo me dévorait des yeux, ma fuite n'avait pas détruit l'amour qu'il me portait. La brève pensée de reprendre ma vie comme je l'avais laissée trois mois plutôt m'effleura l'esprit mais je la repoussais, la donne n'était plus la même. J'étais porteuse du virus du sida, j'avais un enfant qui était peut-être en mauvaise santé, je l'aimais toujours mais ne voulais pas me laisser avoir par mes sentiments.

Le docteur arriva dix minutes plus tard. Largo me fusilla du regard quand je lui demandais de sortir de la chambre afin de m'entretenir avec lui. Il se retint de claquer la porte de la chambre et, avant qu'il ne la ferme, j'aperçu les visages inquiets de Simon et Kerensky. Je concentrais mon attention sur le médecin. Les nouvelles étaient mauvaises mais je crois que j'en étais consciente. Mon enfant était mort à cause de moi. Je n'étais plus porteuse de ce maudit virus mais infectée par lui. Le liquide lymphatique avait subit quelques transformations chimiques dont je ne comprenais pas un traître mot. Tout ce que j'avais saisi c'était que j'avais involontairement tué mon bébé. Un immense vide prit possession de moi, je me sentais déconnectée de la réalité. Le médecin parlait mais je ne l'entendais plus. Il s'en rendit compte car il me posa la main sur l'épaule pour me faire reprendre pied. J'arrivais à lui demander combien de temps il me restait à vivre. Combien de temps allait-je me reprocher la mort de mon enfant avant de le rejoindre au paradis ou Dieu seul savait où ? Il resta dans le vague, le HIV était encore un virus mystérieux. Il n'y avait aucun remède juste une trithérapie, combinant trois anti-rétroviraux, qui permettait dans la plupart des cas d'augmenter l'espérance de vie des malades mais pas de les guérir. La liste des effets secondaires était longue et, pour la plupart, douloureuses. Je le remerciais de son aide et lui rappelait que le secret professionnel lui interdisait de révéler à Largo la moindre chose concernant mon état de santé. Il en parut offusqué mais cela m'importait peu, je connaissais Largo et je savais qu'il allait harceler le médecin dès qu'il sortirait de ma chambre. Je fermais les yeux et m'endormis d'un sommeil peuplé de cauchemars.

Deux jours ont passé, je me sentais mieux physiquement bien que très fatiguée. Largo avait passé une grande partie de la journée dans ma chambre mais j'avais délibérément fait semblant de dormir. Je n'avais pas envie de lui parler ou plutôt, je ne savais pas quoi lui dire. Notre vie promettait d'être si belle quelques mois auparavant alors que maintenant… j'allais mourir. Personne n'était au courant que j'avais le sida et je n'avais pas l'intention que cela change jusqu'à cette nuit où se fut Kerensky qui resta à mon chevet. Il n'était pas dupe de mon pseudo sommeil et m'obligea à lui parler. Etrangement, c'était l'homme que j'avais combattu durant mes années à la CIA qui me semblait le plus apte à comprendre ma situation et surtout, je savais qu'il ne me jugerait pas et qu'il ne me prendrait pas en pitié. Je ne sais pas pourquoi mais c'était très important pour moi. Il ne s'embarrassa pas de préliminaires et attaqua directement le cœur du problème. Il savait, je le sentais. J'aurais mis ma main au feu qu'il avait piraté le système informatique de l'hôpital uniquement pour avoir accès à mon dossier. Il me demanda ce que je comptais faire. Je ne répondis pas mais il dut lire la réponse dans mes yeux. Un sourire pincé apparut sur ses lèvres et il m'assura de son aide si je le désirais. Je ressentis un étrange soulagement à pouvoir partager une partie de mon fardeau avec lui. Nous n'avons pas abordé directement ma maladie ni les conséquences pour Largo si je disparaissais une fois de plus. Il n'y avait rien à dire sur le sujet si ce n'est que je m'étonnais un peu qu'il trahisse sa loyauté envers Largo mais il savait aussi qu'il me serait très difficile de montrer la déchéance physique dans laquelle je sombrerais un jour prochain. Ma fierté m'en empêchait, je ne voulais pas de la pitié des gens, je ne voulais pas qu'il sache tout simplement. Kerensky avait un plan pour me sortir discrètement de l'hôpital. En fait, il avait même programmé la suite des évènements en louant un appartement à Chicago. Il y avait, d'après ses recherches, un hôpital qui avait une aile spécialisée pour les malades du sida, le Cook Country. Il me fit bien comprendre qu'il ne me laissait pas le choix. Il tenait à savoir où je serais et si je vivais décemment. Le loyer de l'appartement serait payé par le groupe W m'informa-t-il. Je protestais mais je sentis que je n'aurais pas le dessus avec lui et cela me faisait tellement de bien de pouvoir me reposer sur quelqu'un. Je bredouillais un maigre merci, j'avais les larmes aux yeux mais il semblait ne pas y prêter attention et recommençait déjà à taper sur le clavier de son portable.

J'habite Chicago depuis six mois maintenant. J'ai refusé toute médication au grand dam de mon médecin, le Dr Carter. A quoi bon prolonger ma vie ? Je ne veux plus penser à mon bébé, je ne veux plus penser à la vie que j'aurais pu avoir avec Largo, je ne veux plus penser à la femme qu'il a épousé il y a deux mois, je ne veux plus penser à rien. Je veux juste disparaître, quitter ce monde où peu de gens me regretteront. J'ai eu des nouvelles de Kerensky via e-mail, il me raconte des banalités : les dernières conquêtes de Simon, la manière dont Largo a fait bondir le conseil, etc… Nous n'abordons aucun sujet privé mais je crois qu'il devine entre les lignes. Je viens de lui envoyer un message, je crois que cela va être le dernier. Je me sens particulièrement fatiguée ce soir mais j'ai encore quelque chose à finir. Une lettre, une longue lettre dans laquelle j'explique tout à Largo. Je sais qu'il a commencé une nouvelle vie mais j'estime que je lui dois la vérité.

" Le PDG du groupe W, M. Winch, son adjoint, M. Sullivan, le chef de la sécurité, M. Ovronnaz, et M. Kerensky ont le regret de vous informer du décès de Mademoiselle Joy Arden, garde du corps de M. Winch. Une cérémonie funèbre est prévue le 10 avril 2003 à l'église Saint Paul dans la plus stricte intimité selon le souhait de la défunte. Ses amis et sa famille recevront les condoléances à partir de 14h dans un des salons du groupe W. "

Extrait de la rubrique nécrologique du New York Times, 5 avril 2003-04-05