Un Cri Dans La Nuit

par Angelene

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Note de l'auteur : Voilà une nouvelle fic, teintée d'un léger largojoyisme (on ne se refait pas!), assez sombre, policière et dramatique, mais ne vous en faites pas, ça finit bien! ;-)
Elle se situe dans les alentours de la deuxième saison, même si elle ne tient pas forcément compte de l'évolution des personnages (j'écris au fur et à mesure...). Il y a des références à ma précédente fic, "Simon et Lula", du fait de la présence du personnage de Lula, mais il n'est pas nécessaire de l'avoir lue pour comprendre.
Bon, comme d'habitude, les personnages de Largo Winch ne m'appartiennent pas, bla bla, les autres sont sortis tout droit de mon imagination et j'espère que vous les apprécierez ou les détesterez (il y en a dans le lot qui sont très méchants!!!)
J'attends avec impatience vos feedbacks, critiques, bonnes ou mauvaises, et vous souhaite une bonne lecture!
PS: Juste quelques lignes pour vous parler d'un coup de cœur... Je mentionne dans ma fic Aimée Mann, une chanteuse de folk américaine, à la voix d'ange et au talent incomparable, dont j'ai écouté l'album "Lost in Space" en boucle pendant que j'écrivais cette fic... Je sais que ça fait un peu pub promo copinage, mais elle est GÉNIALE!!!! Je vous conseille vivement de vous jeter sur son album, ça vaut le détour!
Maintenant, je vous laisse à votre lecture, bye!

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66, Exeter Street, New York
17 avril
6h23

Elle triturait ses doigts nerveusement, tout en regardant le téléphone éventré, exposant ses fils et ses circuits, suite au mauvais traitement qu'elle lui avait infligé. Après l'avoir appris, elle n'avait ressenti ni chagrin, ni peine, ni déception, juste de la colère, de la rage. De la haine.
Elle se leva et tourna en rond dans la pièce sombre, aux fenêtres masquées par d'épais rideaux bordeaux ne laissant filtrer aucune once de lumière. Puis elle s'arrêta et ouvrit son coffre, en retirant les 50 000 dollars qu'elle avait retirés de son compte courant à la banque, la veille au soir. Elle réfléchit un moment et se demandait si elle devait le faire, si ça valait vraiment la peine.
Puis son regard se posa à nouveau sur son téléphone désarticulé. Elle se remémora leur conversation, elle se rappela tout ce qui avait été dit, chacun des mots prononcés, plus tranchants et déchirants les uns que les autres. Et sa haine l'envahit à nouveau.
"Petite garce! Siffla-t-elle, les yeux révulsés par la rage. Salope! Elle me le paiera!"
Aussitôt, sa résolution ne faisait plus aucun doute dans son esprit. Elle déposa les 50 000 dollars dans le paquet, la carte d'accès au dernier étage du Groupe W, les plans de la sécurité, tout ce dont ils auraient besoin pour accomplir leur tâche. Puis, elle rajouta une photo de leur victime, pour qu'il n'y ait pas erreur sur la personne, pas de bavure, un travail propre et précis. Il fallait que lui seul souffre. Elle eut un tic nerveux, une sorte de spasme de rage et elle décida d'ôter cette photo de sa vue.
Largo Winch allait souffrir.


Groupe W, penthouse
8h56

Largo bailla bruyamment tout en étirant ses muscles endoloris. Il détestait quand Sullivan l'obligeait à se lever aux aurores, surtout quand il avait fait la fiesta avec une jolie demoiselle toute la nuit. Mais comme aimait à le répéter son fidèle bras droit "la journée appartient à ceux qui se lèvent tôt". Voilà donc le pauvre Largo, debout depuis six heures et qui avait encore une longue, très longue journée devant lui. Il se repositionna le plus confortablement possible dans son fauteuil de dirigeant et tenta de se remémorer comment on disait "visa d'exploitation" en japonais quand Sullivan fit irruption dans son appartement.
"Alors Largo? Ca avance?
- Moui... répondit Largo avec plus ou moins d'enthousiasme. J'ai terminé. Par contre, je ne peux pas vous promettre de ne pas piquer du nez pendant la réunion avec les Japonais."
John eut un sourire et tendit à son jeune patron une tasse de café, qu'il tenait à la main en arrivant.
"J'avais prévu cette éventualité... expliqua-t-il.
- Oh, il me faudra plus qu'un café John! Protesta Largo.
- Mais ce n'est pas n'importe quel café! J'ai ma propre recette, vous allez voir..."
Largo huma avec curiosité le parfum de la boisson. Il grimaça.
"Qu'avez-vous mis dedans John? Vous voulez m'empoisonner?
- Rassurez-vous, c'est sans danger. C'est Nério qui m'a appris la recette. Votre père en buvait toujours quand une journée difficile l'attendait.
- Bon.... Si Nério pouvait avaler ce truc, moi aussi, je suppose."
Largo but quelques gorgées de la mixture et se mit à tousser bruyamment après qu'elles aient dévalé son oesophage.
"Waw! Ca arrache ce truc! S'écria-t-il. Vous avez mis du détartrant dedans ou quoi?
- Croyez-moi, quand minuit arrivera et que vous aurez encore de l'énergie, vous me remercierez.
- Ne me dites pas que je dois travailler jusqu'à minuit ce soir? Gémit Largo.
- Et si.
- Oh... John... soupira-t-il avec une moue de petit garçon.
- Alors, récapitula Sullivan, dans une heure, vous avez la réunion avec les Japonais et vous enchaînez avec un Conseil d'Administration qui promet d'être houleux puisque le projet que vous voulez faire entériner ne plaît à personne sauf à vous... Et Cardignac s'est posté en tête des contestataires...
- Comme c'est étonnant! Le diable emporte Michel, de toute façon, à force de faire du rodéo avec lui, je vais finir par m'y habituer, tôt ou tard...
- Après le Conseil, vous avez un déjeuner d'affaires avec Marita Covarrubias, sur le marché des DVD. On enchaîne avec trois nouveaux contrats à étudier pour la Winch Airlines...
- Waw, j'aurai le droit à deux tours de Cardignac aujourd'hui? Extra.
- Et à dix-huit heures, présentation d'un nouveau prototype de téléphone portable. Puis, vous avez une rapide pause pour dîner et vous enchaînez avec trois rendez-vous. A vingt heures, Dionne Watkins de Bora Corporation, à 21h30, vous voyez Julianne Raumann pour conclure le rachat de Raumann Inc."
Largo eut un sourire évocateur.
"Le plus agréable de mes rendez-vous de la journée...
- Et vous concluez à 23 heures où vous recevez Elvis Parker Wellington pour lui parler de son projet architectural.
- Qui malheureusement est irréalisable... se rappela Largo.
- Et ensuite votre journée sera finie.
- Génial! Grommela Largo. J'espère que demain matin, vous aurez la délicatesse de ne pas me réveiller avant dix heures...
- Vous pouvez toujours rêver, Largo.
- Super."
A ce moment, Simon débarqua dans l'appartement de Largo, de bonne humeur.
"Salut Larg'! Salut John! Comment va la compagnie?
- La compagnie est over bookée! Se plaignit Largo.
- Hein?
- Je crois que Largo apprécie de moins en moins les contraintes que représentent la direction d'un Groupe tel que le Groupe W.
- Oh? Il se plaint encore c'est ça? Il y a du relâchement, là-dedans! le taquina Simon. Au fait, puisqu'on parle de relâchement, je pourrais avoir ma journée? Ma petite Lula et moi on veut se faire une virée dans New York, elle ne connaît pas bien... Une journée en amoureux, et puis on finira par un bon dîner dans un resto chic et un concert d'Aimée Mann. Alors? Je peux l'avoir ma journée?
- Tu sais bien que je ne peux rien te refuser... sourit Largo.
- T'es vraiment un ami, Largo, je te le revaudrai!
- C'est normal... Tu n'as pas pris de vacances depuis un moment, surtout que tu as remplacé Joy pendant sa convalescence...
- Mais pour le site sur lequel Kerensky m'a envoyé...? Hésita Simon.
- Laisse tomber. Ca peut attendre un jour ou deux.
- T'es sûr?
- Mais oui... reprit Largo avec assurance. De toute façon, tu pourras y aller avec Joy, à deux vous ferez du meilleur boulot. Elle revient demain, c'est ça?"
Simon et Sullivan échangèrent un bref sourire discret.
"Mouais, fais pas celui qui connaît pas la date... se moqua malicieusement Simon. Elle se prend une semaine de vacances à Honolulu et voilà le Largo qui erre comme une âme en peine...
- Qu'est-ce que tu racontes? Fit Largo, embarrassé.
- Elle te manque.
- Pas du tout!
- Si, elle te manque!
- Simon! Protesta Largo. J'ai hâte de la revoir, c'est vrai, mais comme tout le monde ici..."
Simon regarda Sullivan d'un air malicieux.
"Qu'en pensez-vous, John?
- Qu'elle lui manque... sourit Sullivan.
- C'est pas vrai, vous vous êtes donnés le mot ou quoi?" Grogna Largo.
Simon et Sullivan éclatèrent de rire, devant un Largo mal à l'aise.
"Bon, ça va, ça va, vous vous êtes bien marrés... Maintenant, fichez-moi le camp, j'ai du travail...
- Simon, je crois qu'on l'a vexé... commenta John.
- Bah, il s'en remettra! Fit Simon en haussant les épaules. Allez, je te laisse travailler, milliardaire de mon cœur!
- A plus tard, Largo!" Dit Sullivan pour conclure, tandis que lui et Simon laissaient Largo seul, dans son appartement.


Bunker
Quelques minutes plus tard

Simon passa la porte du bunker. Il fixa Kerensky d'un air triomphant. Le Russe le regarda d'un air glacial.
"J'ai le sentiment que tu as quelque chose d'extrêmement intéressant à me dire? Fit-il d'un ton monocorde.
- Je suis en congés! Je vais faire la bringue avec Lula!"
Kerensky n'eut aucune réaction particulière.
"Tu n'avais pas du travail à faire pour aujourd'hui? Comme te rendre sur le site de notre nouvelle usine de voitures pour en vérifier les périmètres de sécurité?
- Largo dit que ça peut attendre!"
Kerensky émit un grognement.
"Ca le regarde s'il ne veut pas que le site soit au point pour son ouverture, déclara-t-il froidement.
- Allez Kerensky, détends-toi un peu!"
Le géant russe le fusilla du regard.
"Je n'ai pas besoin de me détendre. Je suis détendu.
- Mouais, mais tu n'as aucune vie sociale!
- J'en aurais peut-être une si je n'étais pas entouré de tire-au-flanc! Entre monsieur je-prends-ma-journée-pour-ma-dulcinéa et mademoiselle Waikiki Beach, je ne suis pas aidé!
- Mon pauvre stakhanoviste! Je te laisse! Ma douce Lula attend son Don Juan favori!
- Ote-toi de ma vue, grand fou!"
Simon fit une révérence appliquée à Kerensky et s'éclipsa. Le Russe émit un grognement, puis il saisit son téléphone et appela Largo.
"Winch? Répondit celui-ci.
- Bonjour Camarade! Tu ne te ficherais pas de moi, par hasard?
- De quoi tu parles? Répondit Largo.
- Simon s'est fait la malle.
- Ah, ça? Fit Largo. Il n'y a pas mort d'homme!
- Je lui avais donné du boulot à faire, moi!
- Techniquement, tu n'as pas à en lui donner. Je suis le seul patron de Simon. Et ce genre de travail est la plupart du temps dévolu à Joy...
- Mais... commença Georgi.
- Rien ne presse, le coupa Largo. Cette usine peut attendre son retour... Il sera là demain matin
- Super... broncha Kerensky. Donc je suis tout seul pour tenir la barque... Tu sais que je bosse MOI???
- Prend ta soirée si tu veux...
- Et qui va assurer ta sécurité?
- Je ne bouge pas du Groupe W de la journée... Je suis débordé de travail! Expliqua Largo.
- Oh, tu crois peut-être que je vais te plaindre pauvre petit capitaliste?
- Tu le prends ce congé oui ou non?
- Non, ça ira. Mais ça n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd...
- Ca je veux bien le croire..." ironisa Largo avant de raccrocher.
Kerensky reposa le combiné et regarda son poste de travail.
"Je me suis fait avoir, là, je crois..." commenta-t-il pour lui-même.


Groupe W
Minuit

Kerensky, debout dans l'ascenseur, fulminait, bouillonnait intérieurement. Il pestait contre cet ascenseur qui n'allait pas assez vite, il pestait contre lui-même de ne pas l'avoir remarqué plus tôt. Tandis qu'il faisait quelques tâches techniques ingrates et regardait défiler des centaines de noms et de chiffres sur son écran d'ordinateur, l'alarme avait sonné. Une ambulance avait été appelée de l'appartement de Largo et plus rien. Kerensky avait tenté de joindre à plusieurs reprises son patron mais rien n'y faisait. Il avait alors sauté dans l'ascenseur.
Celui-ci stoppa au soixante-deuxième étage. Kerensky traversa le couloir en courant et accéléra le pas plus encore en apercevant la porte de son appartement grande ouverte. Il franchit le seuil, fébrilement, et s'arrêta net. Une vision d'horreur lui glaça le sang. Largo, étendu à ses pieds, sans connaissance, tabassé et tuméfié, les poings attachés derrière son dos, baignait dans une mare de sang.


Hôpital Sainte-Catherine
New York
6h12

Kerensky, assis sur le banc de la salle d'attente, tentait de comprendre ce qu'il s'était passé. C'était impossible, ça n'avait pas pu arriver. Il avait conçu lui-même le système de sécurité du Groupe W. Le nombre de personnes qui pouvait accéder à l'appartement de Largo était très restreint et elles étaient soumises à une stricte enquête avant d'en obtenir l'accès. C'était impossible. Impossible, se répétait-il sans arrêt. Et pourtant Largo avait été atteint. Et il allait mal.
L'attention du russe fut attirée par des éclats d'une voix familière, teintée d'angoisse et d'incertitude. Il se leva pour faire face à l'arrivée de Simon, qui n'ayant rien pu obtenir des infirmières, se dirigeait en courant vers Kerensky, tenant Lula par la main, qui, inquiète, avait décidé de l'accompagner.
"Georgi!" L'appela-t-il.
Le Russe faillit sursauter. Pour que Simon se hasarde à l'appeler par son prénom, il devait vraiment être paniqué.
"Pas très loquace ton coup de fil! Déclara-t-il. Que lui est-il arrivé? Comment il va? Qu'ont dit les médecins?"
Le Russe croisa les bras contre son torse, pour se donner une contenance et un stoïcisme qui visaient à calmer l'anxiété de Simon.
"Je ne sais pas grand-chose. J'ai retrouvé Largo sans connaissance dans son appartement.
- Mais qu'est-ce qu'il lui est arrivé? S'enquit Lula.
- Aucune idée...
- Et la sécurité? S'agita Simon.
- La sécurité était opérationnelle. Ils n'ont rien remarqué. L'agresseur de Largo était sans doute une personne qu'il connaissait. Et il avait des rendez-vous jusque tard dans la soirée.
- C'est un de ses rendez-vous d'affaires qui lui aurait fait ça? Demanda Lula.
- Étant donné son état, je penche plutôt pour des professionnels, déclara Kerensky.
- Son état?" Blêmit Simon.
Le Russe regarda fixement Simon, sans bien savoir s'il devait se montrer rassurant ou s'il devait être honnête. Il préféra la deuxième option.
"J'ai vu pas mal de types salement amochés dans ma vie, Simon et je peux te dire que ceux qui lui ont fait ça, car ils étaient forcément plusieurs, se sont déchaînés. Je ne suis pas médecin, mais il va mal. Quand les ambulanciers sont arrivés, ils n'étaient pas très optimistes."
Simon perdit toutes ses couleurs en une fraction de seconde. Sous le choc, il se laissa tomber sur le banc de la salle d'attente, aux côtés de Lula qui le serrait dans ses bras pour le réconforter.
C'est à ce moment que le docteur Irving, qui avait pris en charge Largo à son arrivée, fit son apparition. Simon et Lula se levèrent aussitôt pour aller à sa rencontre, en compagnie de Kerensky. Irving n'avait pas la tête de quelqu'un avec de bonnes nouvelles.
"Vous êtes de la famille de monsieur Winch? Demanda-t-il.
- Il n'a plus de famille. Nous sommes des amis proches. Comment va-t-il? Demanda Simon.
- Malheureusement pas très bien. Votre ami a été tabassé, il a plusieurs fractures multiples, des commotions, un bras cassé. Nous avons trouvé également trois traces de coups de couteaux.
- Oh mon Dieu... souffla Lula.
- Il a également deux côtes fêlées et une côte cassée qui lui a perforé le poumon. Nous avons été obligés de l'opérer mais pendant l'intervention il a fait une hémorragie.
- Est-ce qu'il est...? Hésita Kerensky.
- Non. Nous avons réussi à le stabiliser, mais il est dans le coma."
Les amis de Largo accusèrent le coup, sous le choc.
"Il va s'en sortir docteur? s'enquit Simon, la voix rauque.
- Tout dépendra de lui. Mais s'il ne sort pas du coma d'ici quarante-huit heures, il est possible qu'il garde de sérieuses lésions.
- On peut le voir? Fit Simon.
- Non, je regrette, il est aux soins intensifs, vous n'êtes pas autorisés à le voir.
- Mais... protesta le Suisse.
- Je suis catégorique. Il est trop faible, il doit être au repos complet. Revenez plus tard."
Le médecin les salua brièvement et les laissa seuls. Les trois amis se regardèrent bizarrement. Un grand malaise les pesa.
"La... La presse... balbutia Simon, sous le choc.
- J'ai appelé Sullivan, l'informa Kerensky. Il s'occupe de tenir les chiens en laisse."
Simon acquiesça en silence, puis il leva vers Kerensky un regard qui brillait de mille feux.
"Kerensky, je veux retrouver l'espèce d'enfant de salaud qui lui a fait ça! Il va payer, ça je te le promets!"
Le Russe hocha la tête.
"Dans ce cas, il faut se mettre au boulot et ne pas tarder."
Simon approuva et prit la main de Lula.
"S'il te plaît, Lula, tu peux rester ici et nous tenir au courant de la moindre évolution sur son état? Lui demanda-t-il.
- Oui, bien sûr."
Simon lui baisa rapidement la main et la salua avant de rejoindre Kerenksy, direction le Groupe W.

Groupe W, penthouse
12h34

En arrivant au Groupe W, Kerensky et Simon s'étaient vu refoulés de l'appartement de Largo, où la police criminelle de New York enquêtait déjà, à la recherche d'indices. Ils s'étaient donc résolus à rentrer au bunker pour mener leurs investigations de leur côté. C'est avec de nouveaux éléments qu'ils demandèrent à parler à l'inspecteur Tony Camonte, l'homme chargé de l'affaire.
"Bonjour... leur dit celui-ci, d'un ton monocorde. Vous êtes messieurs Ovronnaz et Kerensky, de la sécurité du Groupe W?
- C'est ça... fit Simon. On a découvert comment les agresseurs de Largo ont franchi nos barrages de sécurité.
- Les agresseurs? Comment savez-vous qu'ils étaient plusieurs? Fit Camonte.
- Largo a pas mal roulé sa bosse. C'est un ex boxeur, particulièrement débrouillard et habitué à se battre... expliqua Simon.
- Ils étaient forcément plusieurs, reprit Kerensky. Les caméras de surveillance étaient toutes opérationnelles, mais les agresseurs ont disposé des caches devant les objectifs. Ces caches représentaient des photos des couloirs vides, c'est pourquoi personne n'a rien remarqué. Ca signifie que les agresseurs, ou leur commanditaire, étaient déjà venus au Groupe. De plus, il faut un pass d'accès pour atteindre le niveau 62 où se trouve l'appartement de Largo.
- Donc il connaissait ses agresseurs... fit Camonte. Monsieur Winch avait-il des ennemis?
- Des ennemis? Vous plaisantez? Il n'a que ça! S'écria Simon.
- D'accord... Il avait des rendez-vous hier soir? Des personnes ayant un pass? Enchaîna Camonte, toujours l'air désabusé et cynique.
- La dernière fois que je lui ai parlé, c'était juste avant son rendez-vous avec Dionne Watkins. Il allait bien... expliqua Kerensky. Il enchaînait après avec deux autres rendez-vous professionnels: Julianne Raumann et Elvis Parker Wellington.
- Ces personnes avaient des pass?
- Oui.
- Bon, nous les interrogerons. Nous n'avons trouvé aucun indice ici... Pas d'empreintes, ni de traces d'ADN. On remballe le matériel et on s'en va. Nous vous tiendrons au courant de l'évolution de l'enquête."
Camonte ne s'occupa pas un instant de plus de Simon et Kerensky et lança ses instructions à ses hommes, tandis que les deux membres de l'Intel Unit se fixaient, sceptiques.
"Mouais... marmonna Kerensky.
- Qu'en penses-tu?
- Si c'est lui qui s'en charge, les agresseurs de Largo peuvent toujours courir.
- C'est aussi ce que je pensais. Dis-moi, tu ne crois pas que ça pourrait être un coup de la Commission Adriatique?
- Non... Ca cache quelque chose de plus personnel. Une vengeance. Celui qui a fait ça, ne voulait ni le contrôle du Groupe W, ni la mort de Largo, sinon ils auraient fini le travail."
Simon allait poser une nouvelle question à Kerensky quand une voix familière éclata derrière eux.
"Mais que s'est-il passé ici?"
Les deux hommes se retournèrent et se retrouvèrent nez à nez avec Joy, qui, un sac de voyage sur l'épaule, restait clouée sur place, dans l'embrasure de la porte de l'appartement de Largo, fixant pétrifiée la scène du crime et la mare de sang noirci qui tâchait la moquette.

Hôpital Sainte Catherine
Une heure plus tard

"Mademoiselle? Mademoiselle? Vous ne pouvez pas entrer là, ce service est interdit au public! Mademoiselle!"
Joy poussa l'encombrante infirmière sur le côté, n'écoutant que son instinct qui lui répétait inlassablement qu'elle devait le voir, être auprès de lui, à tout prix. Simon et Kerensky suivaient leur amie, qui s'était transformée en tornade à l'annonce de la nouvelle, en tentant de calmer sa fureur et de l'excuser auprès des médecins et infirmiers qu'elle bousculait à son passage.
Elle fonça tête baissée et parvint sans encombre jusqu'en salle des soins intensifs, d'où elle perçut vaguement les protestations du personnel médical et les grognements d'une personne appelant la sécurité. Mais elle ne leur prêta pas la moindre attention. Elle venait de le voir. Le silence qui régnait dans la salle se fit plus pesant encore et Simon, qui n'avait pas encore vu l'état de son meilleur ami, étouffa un juron.
"Oh non, Largo..." articula Joy, pétrifiée en déambulant vers le lit sur lequel son ami reposait.
Elle prit sa main, avec précaution, craignant de lui faire mal. Il avait l'air si fragile, profondément endormi, le visage tuméfié et empli ça et là d'hématomes et de coupures. Le jeune homme était relié à toutes sortes de machines dont Joy ignorait le nom et qui émettaient de tranquilles bips, terriblement angoissants pour la jeune femme. Il avait été intubé et une machine l'aidait à respirer et se soulevait de bas en haut dans un rythme régulier, en même temps que sa poitrine.
Simon, debout près de Joy, ne voyait plus rien, si ce n'était la souffrance que son ami avait dû endurer. Il se sentit horriblement mal et oppressé. Il mit sa main devant sa bouche comme pour s'empêcher de vomir et après s'être ressaisi, il fixa Kerensky.
"Les salopards... Les... Les salopards..." put-il seulement articuler.
Pendant ce temps, la sécurité de l'hôpital faisait son apparition et Kerensky stoppa net leur progression d'un regard peu engageant et il leur fit un signe autoritaire qui signifiait qu'il s'en occupait. Il rejoignit Joy, qui tenait toujours fermement la main de Largo dans la sienne. Elle le regardait intensément, guettant le moindre signe de vie et voulut le toucher, lui caresser le visage, mais elle n'osait pas. Elle ne fit que le frôler du bout des doigts quand elle sentit la poigne ferme de Kerensky se poser sur son épaule.
"Tu le verras plus tard Joy. Il doit se reposer pour l'instant."
Elle acquiesça, sous le choc, et il l'aida à s'éloigner et à prendre la direction opposée en la maintenant par les épaules, tandis que Simon, les yeux rouges, retenait ses larmes et les suivaient, la mort dans l'âme.
Dès qu'ils furent sortis de la salle d'attente, Simon et Kerensky se dévisagèrent tandis que Joy reprenait ses esprits et s'adossait contre le mur, épuisée par ses émotions. La jeune femme, les traits tirés et pâles, avait perdu toute trace de la fraîcheur et la détente qu'elle avait acquise pendant ses vacances.
"Je les tuerai." Annonça-t-elle froidement après une minute.
Kerensky la regarda durement alors que Simon planait toujours, ayant du mal à s'en remettre.
"Ah oui? Lui dit-il. Tu crois que c'est ce que Largo voudrait? Que tu ailles en prison? On les retrouvera et ils paieront, sois en certaine. Mais pas comme ça."
Joy croisa ses bras sur son ventre et tenta de camoufler son anxiété.
"C'est de ma faute... J'aurais dû être là... Qu'est-ce qu'il m'a pris de partir en vacances?
- Je t'arrête tout de suite Joy. Ca n'aurait rien changé. Si tu veux gaspiller ton énergie à te culpabiliser, je te conseille plutôt de l'utiliser pour retrouver ceux qui ont fait ça."
Joy soupira et se frotta les yeux. Elle fixa ensuite Kerensky d'un air décidé.
"D'accord. Par quoi on commence?
- Par les dernières personnes qui ont parlé à Largo. Je me charge de Dionne Watkins, toi tu prends Julianne Raumann. Et toi Simon, tu devrais rendre visite à Elvis Parker Wellington."
Le Russe fit une pause.
"Vous vous en sentez capables?
- Ouais... Ca ira... Pour Largo... articula enfin Simon.
- Joy?
- Je contrôle... fit-elle après un moment.
- Alors allons-y."

Siège de Bora Corporation, New York
14h34

En arrivant au bas de l'immeuble du siège de la Bora Corporation, Kerensky se retrouva nez à nez avec l'inspecteur Tony Camonte.
"Tiens... fit celui-ci. Un des chiens de garde du Groupe W... Vous êtes le Russe, c'est ça? Que faites-vous ici?
- Je souhaiterais parler à Dionne Watkins.
- Et en quel honneur?
- Disons que le Groupe W mène une enquête parallèle à celle de la police.
- Alors attendez votre tour!" Conclut Camonte en se dirigeant vers le hall de l'immeuble.
Mais Kerensky le retint fermement par le bras. Camonte était d'allure plutôt frêle, il n'avait rien d'un athlète et question muscles, ce n'était pas ça non plus. Le géant russe aurait facilement pu le casser en deux comme une brindille s'il le souhaitait.
"J'insiste pour vous accompagner, inspecteur... gronda Georgi. Je suppose que vos supérieurs le prendraient très mal si vous manquiez un élément et échouiez à l'arrestation des agresseurs de l'homme le plus puissant de New York? Je n'ai pas raison?"
Le petit regard de fouine de Camonte se voila et il grimaça.
"Accompagnez-moi, si ça vous chante. Mais je vous mènerai la vie dure.
- Vos menaces me blessent profondément..." ironisa le Russe en le suivant à l'intérieur de l'immeuble.
Kerensky et Camonte furent tout de suite reçus par Dionne Watkins. La femme d'affaires australienne les attendait patiemment, installée à son bureau, austère, froide. Elle les toisa et leur proposa d'un signe de s'asseoir, sans pour autant se lever pour les accueillir, ni même les saluer.
Kerensky la jaugea un instant. Dionne Watkins était une femme impénétrable, d'une quarantaine d'années, un vrai bloc de granit: son regard noir ébène était dur et terne, ses lèvres scellées en une expression sérieuse et grimaçante, ses traits, tendus et concentrés, n'étaient pas adoucis par son teint mat et typé d'aborigène. Ses cheveux crêpés étaient tirés et retenus dans un chignon sévère et des lunettes rectangulaires, bordées de noir, achevaient de dresser ce portrait si austère. Sa forte corpulence et ses gestes précis et modestes rajoutaient encore à sa rigidité.
"Qui êtes-vous? Vous n'êtes pas de la police? Interrogea-t-elle sèchement en se rendant compte du regard insistant de Kerensky.
- Je fais partie du système de sécurité du Groupe W."
Dionne ne réagit pas.
"Et vous êtes de la police de New York. Dois-je en conclure qu'il est arrivé quelque chose à Largo Winch? Demanda-t-elle.
- Oui, Largo Winch a été retrouvé hier soir chez lui, atrocement battu."
Dionne ne sourcilla pas.
"C'est très regrettable. Nous étions en affaire, déclara-t-elle sur un ton dénué de tout intérêt.
- Rassurez-vous, il est encore en vie... grinça cyniquement Kerensky.
- Dans ce cas, je ne vois pas en quoi ça me concerne.
- Vous faites partie des dernières personnes à l'avoir vu avant son agression... dit Camonte.
- Apparemment. Nous avons parlé d'une affaire courante. Je suis partie vers 21 heures. Il était en bonne santé alors. En partant j'ai croisé Julianne Raumann. Et à voir sa tenue aguicheuse, elle s'apprêtait probablement à passer une bonne soirée avec monsieur Winch. Je ne crois pas qu'elle l'ait tabassé.
- Vous n'avez rien d'autre à nous dire?" Fit Kerensky.
Dionne dévisagea froidement le Russe. Celui-ci se demandait comment cette femme faisait pour avoir l'air plus glacial encore que lui.
"Si vous m'accusez de quoi que ce soit, interrogez Julianne Raumann. Elle vous dira que Winch était en bonne santé à son arrivée.
- Et avez-vous toujours votre pass d'accès au soixante-deuxième étage du Groupe?
- Non. Je m'en suis débarrassée. C'est ce qu'on nous demande de faire quand on n'en a plus l'usage. Je n'avais plus de rendez-vous avec Winch puisque je retourne dans quelques jours en Australie.
- Peut-être faudra-t-il retarder votre départ... dit Camonte. Restez à ma disposition, j'aurai peut-être d'autres questions."
Kerensky et Camonte se levèrent et quittèrent le bureau de Dionne sans que celle-ci ait esquissé le moindre geste pour les saluer.

Villa de Julianne Raumann
15h10

"Oui? S'interrogea Julianne, en ouvrant la porte, ne reconnaissant pas Joy.
- Bonjour mademoiselle Raumann. Je m'appelle Joy Arden, je fais partie du Groupe W."
Julianne la dévisagea d'un léger sourire lascif.
"Vraiment? Pourtant je m'en serais souvenue si j'avais rencontré une aussi fascinante créature au Groupe."
Joy se sentit mal à l'aise. Elle n'était vraiment pas d'humeur à se faire draguer par une lesbienne.
"Je suis dans la sécurité, nous ne nous sommes jamais parlées.
- Oh... mamonna-t-elle. Oui, Largo m'avait dit que son garde du corps était une femme. Ca avait... attisé ma curiosité!" Poursuivit-elle d'un sourire charmeur.
Elle s'écarta pour faire entrer Joy. La garde du corps la jaugea rapidement: grande, blonde, séduisante, très maîtresse d'elle-même et sûre de ses atouts féminins et de son pouvoir de séduction. Une vraie femme fatale, comme on n'en faisait plus depuis les films noirs américains des années cinquante. Elle proposa à boire à Joy, mais celle-ci déclina son offre. Puis, Julianne commença à meubler la conversation, sentant Joy ailleurs et gênée.
"Si c'est au sujet de ma carte d'accès, je n'ai rien d'autre à dire... J'ai déjà présenté mes excuses à Largo et à son chef de la sécurité."
Joy haussa un sourcil, curieuse.
"Vous voulez parler de votre pass accédant à l'étage de Largo?
- Oui. Je l'ai perdu, je ne sais absolument pas ce que j'en ai fait, il y a quelques jours... J'espère que ça ne vous a pas causé de problème?"
Le visage de Joy se ferma. Elle pensa douloureusement à l'état dans lequel elle avait vu Largo. Elle prit une grande respiration et décida de se reprendre si elle voulait avancer.
"En fait, Largo a été agressé hier soir."
Julianne reposa son verre de scotch sur la table, et dévisagea Joy livide, les yeux fixes, bouche bée.
"Ne me dites pas ça! Blêmit-elle. C'est horrible! Ce serait de ma faute?
- Nous n'avons pas encore pu le déterminer... Vous semblez bien touchée par cette tragédie?"
Julianne détourna les yeux.
"Oh oui... J'apprécie beaucoup Largo. Nous sommes assez intimes, si vous voyez ce que je veux dire...
- Non, pas très bien, rétorqua Joy, mal à l'aise.
- Disons que nos relations dépassaient de loin le cadre du professionnel, depuis une quinzaine de jours environ... Largo est un homme charmant."
Joy lança un regard noir à Julianne.
"Excusez-moi, j'avais cru comprendre que vous étiez... hésita la garde du corps.
- Lesbienne? Compléta Julianne, pleine d'assurance. Vous avez bien cru. En fait, je n'ai pas de préférence sexuelle, j'aime séduire tout le monde, homme ou femme.
- Je vois... se renfrogna Joy. Et Largo faisait partie de votre tableau de chasse?
- Quelle délicieuse comparaison... sourit légèrement Julianne. Comme je vous l'ai dit, je l'apprécie beaucoup. Il est jeune, beau, intelligent... Riche, ce qui ne gâche rien, et c'est un excellent amant. Au cas où ça vous intéresserait, rajouta-t-elle d'un petit air malicieux.
- L'avez-vous vu hier soir? Traça Joy, sans relever la remarque.
- Oui, j'avais rendez-vous à 21 heures 30 avec lui. Mais je suis venue plus tôt, vers neuf heures, il m'avait dit que son rendez-vous précédent ne lui prendrait pas beaucoup de temps. D'ailleurs je l'ai croisée en arrivant. Une femme d'affaires, australienne, je crois. Plutôt austère. Comme je n'avais plus mon pass, c'est Largo qui m'a ouvert. Vous croyez que son agresseur aurait pu utiliser mon pass pour s'introduire chez lui?
- C'est possible."
Joy défia du regard Julianne. Elle n'avait pas l'air de mentir, mais quelque chose lui disait en elle de se méfier de cette femme, et ça n'avait rien à avoir avec de la jalousie. Du moins, tentait-elle de s'en persuader.
"Et Largo? Comment va-t-il? S'enquit alors Julianne.
- Mal. Si ça vous intéresse vraiment, vous n'aurez qu'à lui rendre visite à l'hôpital. Mais si c'est pour l'achever, abstenez-vous.
- Vous croyez que j'aurais pu lui faire ça? S'indigna Julianne.
- Je n'ai pas les réponses, mademoiselle Raumann. Pas encore."
Puis Joy salua vaguement de la tête Julianne et s'en alla.

11, Kilter Avenue,
Soho, New York
15h12

De son côté, Simon frappait à la porte du loft dans lequel Elvis Parker Wellington, un jeune architecte à l'esprit brouillon et à la vie dissolue, vivait. Lorsqu'il ouvrit la porte, un long moment après que Simon ait frappé, le suisse vit tout de suite que le jeune homme n'était pas clean et avait pris un truc. Il paraissait fébrile, et tremblotait nerveusement.
"Elvis Parker Wellington?
- Euh... Ouais?
- Simon Ovronnaz, du Groupe W."
Simon guetta la réaction de Wellington et celle-ci ne se fit pas attendre. Il parut soudain très nerveux et regarda tout autour de Simon, comme pour vérifier la présence de flics dans les parages.
"Vous voulez quoi? Murmura-t-il, peu sûr de lui.
- Vous parler un instant."
Simon n'attendit pas la permission d'Elvis et se fraya un chemin dans le loft. Celui-ci se trouvait dans la pénombre, d'épais rideaux masquant les rares fenêtres donnant vers l'extérieur. Un désordre le plus total régnait à l'intérieur, jonché de vêtements, de magazines, de disques, de mégots, de bouteilles d'alcool vides... Seul un bureau amoncelé de papiers, de dossiers et de dessins au fond de l'immense salle témoignait d'une activité productive dans cet endroit. Elvis ferma la porte derrière Simon et alluma une lumière diffuse bleutée, du fait que l'ampoule du plafond de la salle était couverte d'un tissu bleu transparent. Simon se tourna vers le jeune architecte et décida d'être direct.
"Largo Winch a été agressé la nuit dernière."
Wellington parut encore plus fébrile et son stress monta d'un cran.
"Ah? Bafouilla Parker, mal à l'aise. Je... Je ne savais pas... C'était pas dans la presse...
- Effectivement.
- Je... Je suis désolé pour lui... Il avait l'air... Enfin, il a l'air d'être un type... Un type cool... Je sais pas... C'est con ce qu'il lui est arrivé.
- Je trouve ça aussi très con... décocha froidement Simon. Vous n'avez rien à me dire sur son agression, alors?
- Non, rien.
- Pourtant, vous aviez rendez-vous avec Largo à 23 heures, et comme il a été retrouvé à minuit, il y a fort à parier que vous êtes la dernière personne à l'avoir vu."
Le visage d'Elvis devint blême. Il renifla nerveusement et commença à triturer ses doigts.
"Mouais, mais je suis pas venu, finalement... expliqua-t-il. J'étais dans un trip avec ma copine Marielle..."
Le visage de Simon demeurait impassible, ce qui déstabilisait plus encore Wellington. Comme le jeune homme reniflait de plus en plus, Simon commença à se douter que s'il lui pressait le nez, il éternuerait des centaines de grammes de cocaïne.
"Admettons. On peut parler à cette Marielle pour qu'elle confirme?
- Bien sûr... Elle... Elle est là..."
Simon suivit Elvis jusque dans une chambre où une jeune femme, genre vulgaire, aux cheveux blonds platine, était avachie sur le lit, à moitié enroulée dans une couette délavée. Simon eut presque un haut le cœur en sentant les effluves d'encens qui lui montaient à la tête. Elvis alla secouer Marielle pour qu'elle se réveille et celle-ci finit par coopérer, en émergeant légèrement de sa végétation.
"Quoi? Marmonna-t-elle.
- Chou... Quelqu'un voudrait te poser une question...
- Si c'est les flics, j'ai jamais bossé pour Mario... commença-t-elle d'un ton empreint d'une certaine panique qui la réveilla un peu plus.
- Non, je ne suis pas de la police... dit Simon. Je voudrais savoir où était Elvis hier soir?
- Hier soir?"
Marielle regarda droit dans les yeux Simon. Celui-ci remarqua qu'elle avait les pupilles dilatées, signe qu'elle avait sûrement pris des amphétamines. Elle ne devait même pas savoir quel jour on était.
"Ouais... Hier soir on était ensemble, ici... hachura-t-elle finalement.
- Vous en êtes sûre? Il ne s'est pas absenté?
- Ah non, non, non, non... répéta-t-elle d'une petite voix, le regard bifurquant vers un quelconque point invisible de la pièce.
- Je vois." Dit Simon, peu convaincu.
Elvis embrassa Marielle sur le front et lui dit de se recoucher avant de raccompagner Simon à la porte.
"Vous voyez? Reprit-il fébrilement. J'ai pas vu Winch hier... Dites, vous le direz aux flics, hein? Je veux pas qu'ils embêtent Marielle..."
Simon le regarda froidement.
"Ca, ce n'est pas mon problème. Vous savez Elvis, je peux vous appeler Elvis?
- Euh... Ouais...
- Et bien vous voyez, Elvis, mon problème à moi, c'est de découvrir qui a fait ça à mon meilleur ami. C'est tout ce qui compte. Et si j'apprends que vous avez menti, je deviendrai le pire de vos cauchemars. Compris?
- Ouais... Pigé... articula Elvis, impressionné par le ton de Simon.
- Bien. Alors à plus tard."
Simon ne daigna pas saluer Elvis et quitta son loft, songeur.

Bunker, Groupe W
16h34

Simon arriva au bunker, la mine abattue. Il interrogea du regard Kerensky et Joy. Ceux-ci comprirent aussitôt de quoi il voulait parler.
"Lula a appelé... lui apprit Joy. Il n'y a aucune amélioration de son état."
La voix de la jeune femme était tremblante. Elle avait mal pour Largo, et ça se sentait. Simon soupira et décida de s'occuper l'esprit.
"Je n'ai pas appris grand-chose de Wellington, annonça-t-il. Il dit qu'il n'est pas venu au Groupe, hier. Qu'il était avec sa copine. Mais ils sont tous les deux camés...
- Et l'ordinateur confirme que les pass de Watkins, Raumann et Wellington ont été utilisés hier soir.
- Wellington a donc menti! s'enflamma Simon. C'est sûrement lui qui est derrière tout ça!
- Pas sûr... fit Kerensky. Je vous ai dit qu'une ambulance avait été appelée du bureau de Largo et que c'était ce qui m'a alerté...
- Tu crois que Wellington aurait trouvé Largo dans cet état et aurait appelé une ambulance? fit Joy avec scepticisme. Pourquoi se serait-il enfui après?
- Peur d'être accusé? Qui sait... fit Kerensky en haussant les épaules. Le meilleur moyen de s'en assurer serait de retrouver l'enregistrement de l'appel d'urgence passé d'ici... Techniquement, c'est faisable, mais ça va me prendre du temps...
- Si c'est Wellington qui a appelé une ambulance pour Largo, ça l'innocentera? récapitula Simon.
- Peut-être pas, dit Joy. Peut-être que c'est lui qui a commandité l'agression mais qu'il ne voulait pas que Largo meure. Celui qui a fait ça voulait le tabasser, le faire souffrir, mais pas le tuer.
- Mais qui aurait voulu faire ça à Largo? S'emporta Simon.
- Du sang-froid Simon... fit Kerensky. C'est difficile pour nous tous de le savoir dans cet état, mais il faut faire avec et éviter que cela ne se reproduise, d'accord?
- Bon... reprit Joy après un instant de silence. Il faut savoir si Raumann, Watkins et Wellington avaient des mobiles.
- En tout cas, Dionne Watkins ne pouvait pas sentir Largo. Du moins, c'est l'impression qu'elle m'a donnée... fit Georgi.
- Et ton entrevue avec Julianne a donné quoi? Demanda Simon à Joy.
- Elle m'a dit qu'elle et Largo étaient amants, fit froidement Joy.
- Dernière nouvelle! Largo ne m'en a même pas parlé... fit Simon. Peut-être qu'elle ment.
- Je ne crois pas... Cette fille, c'est tout à fait son genre... marmonna Joy.
- Largo ne t'en pas sûrement pas parlé pour éviter que toi et ton sens du tact le rapportiez à Joy... rajouta Kerensky.
- De toute façon, pour l'instant, elle est la seule à n'avoir aucun mobile apparent. Même si entre nous, elle semble avoir des goûts sexuels bifurquant... Elle avait l'air de vraiment s'inquiéter pour Largo quand je lui ai appris... poursuivit Joy.
- Oui, mais elle admet avoir vu Largo hier? Dit Georgi. Ca exclue Dionne Watkins qui avait rendez-vous avec Largo avant elle. Donc, soit c'est elle, soit c'est Wellington.
- A moins que ce ne soit Watkins la commanditaire et que Julianne la couvre pour une raison ou une autre... dit Joy.
- Dans quel intérêt? S'écria Simon. Non, moi je penche pour cette fouine de Wellington."
Agacé par toutes ces théories divergentes, Kerensky décida de reprendre les choses en main.
"OK, Simon, tu vas à l'hôpital, tu fouines dans leurs archives d'hier soir et tu me trouves l'enregistrement de la personne qui a appelé, ça ira plus vite que si je me mets à pirater nos réseaux du téléphone... Tu prendras des nouvelles de Largo au passage. Toi, Joy, tu vois Sullivan: il connaît nos trois suspects, il saura dire lequel avait des raisons de faire ça à Largo.
- Et tu fais quoi pendant ce temps?" Demanda Joy.
Kerensky fronça les sourcils.
"Un de nos suspects a engagé des hommes de main pour passer un tabac à Largo, c'est évident. Je vais essayer de découvrir qui sont ces hommes de main. On pourra alors remonter à la source.
- Au boulot, alors!" Soupira Joy tandis que Simon acquiesçait et quittait vivement le bunker.


Groupe W, bureau de John Sullivan
Un peu plus tard

Joy frappa plusieurs coups discrets à la porte du bureau de John Sullivan. Celui-ci lui ouvrit la porte, et son visage austère teinté de gravité, se fit plus doux en voyant Joy.
"Oh mon Dieu Joy, entrez!"
Il la laissa passer et referma soigneusement la porte derrière elle. Épuisée, elle se dirigea vers un fauteuil pour s'y asseoir, sans même en attendre l'invitation. John la rejoignit et s'appuya à son bureau pour lui faire face.
"Vous avez des nouvelles? Comment va-t-il? Demanda le bras droit de Largo, sincèrement inquiet pour son jeune patron.
- Il est toujours dans le coma..." articula gravement Joy.
John poussa un soupir d'impuissance et prit la jeune femme par la main.
"Joy... Vous devriez aller veiller sur lui...
- Ce n'est pas ma place, John. Je dois retrouver ceux qui lui ont fait ça... Et puis Simon vient de partir pour l'hôpital."
John hocha la tête.
"Mais je pense qu'il aimerait vous sentir à ses côtés.
- J'irai John. Mais pas maintenant."
Elle déglutit péniblement et regarda John.
"Comment ça s'est passé avec les membres du Conseil?
- Vous les connaissez... Ils n'ont pas vraiment versé de larmes. Mais ils savent l'impact que la nouvelle pourrait avoir sur nos actionnaires, alors ils préfèrent ne rien dire à la presse tant que Largo n'ira pas mieux.
- Et vous? Vous n'avez pas trop de travail?
- Ne vous inquiétez pas pour moi. C'est lui le plus important. Votre enquête avance?"
Joy se repositionna sur son fauteuil.
"On pense que l'un de ses rendez-vous d'hier soir a utilisé son pass pour faire entrer des hommes de main qui..."
Elle s'arrêta un instant, au bord de la crise de nerfs. Après quelques secondes, elle finit par se reprendre.
"Que savez-vous des trois personnes avec qui Largo avait rendez-vous hier soir?"
Sullivan parut réfléchir un moment.
"Et bien Julianne Raumann avait de très bonnes relations avec le Groupe... Son père étant décédé il y a six mois, elle a hérité de sa compagnie d'aciérie de Düsseldorf, mais ce n'est pas une femme d'affaires. Elle est en pourparlers depuis quatre mois avec le Groupe W pour organiser le rachat de l'entreprise familiale. Largo et elle s'entendent plutôt bien... Enfin... hésita l'homme d'affaires.
- Oui, je suis au courant de leur liaison. Largo vous en avait parlé?
- Plus ou moins. Mais je le connais depuis un moment, et je sais reconnaître quand il a des relations avec une femme dépassant le cadre du professionnel.
- Ce qui lui arrive souvent, pas vrai? Tenta d'ironiser faiblement Joy. Pour ce qui est de Dionne Watkins?"
Sullivan se renfrogna subitement.
"Dionne déteste cordialement le Groupe W et tout ce qui s'y rapporte. Ses rapports avec Largo sont houleux... D'autant plus qu'il y a une semaine, le Groupe W s'est approprié un marché que Bora Corporation convoitait depuis plus d'un an. C'était l'objet de la visite de Dionne hier soir. D'ailleurs, Largo appréhendait son rendez-vous avec Dionne. Je lui avais proposé de rester l'aider, mais il avait insisté pour que je me repose chez moi et que je passe du temps avec ma fille, de passage à New York."
Sullivan baissa la tête, embarrassé.
"Si j'avais su, j'aurais plus insisté pour rester... se culpabilisa-t-il.
- John, on se sent tous coupables de ne pas avoir été auprès de lui... Mais personne ne peut plus rien changer à ce qui est arrivé.
- Je sais, je sais... murmura John. Merci."
Sullivan fit une nouvelle pause.
"Et Elvis Parker Wellington?
- Un jeune architecte brillant. Son projet de réhabilitation du centre ville de New York avait été retenu par le Groupe W, mais après une étude plus approfondie, nos experts en ont déduit que son projet était finalement irréalisable. Largo devait le lui annoncer hier soir. Mais ce Wellington est un rêveur... Je ne le vois pas faire ça à Largo.
- Pourtant il y a bien quelqu'un qui a osé lui faire ça John... Merci... Je vous tiendrai au courant..."
John acquiesça et Joy quitta son bureau. En sortant, elle tomba nez à nez avec Michel Cardignac, qui visiblement se rendait au bureau de John. Le Président de la Winch Airlines eut un petit sourire narquois à l'égard de la garde du corps.
"Tiens vous êtes encore là, vous? Fit-il. Moi qui pensais qu'après avoir laissé notre patron adoré se faire amocher, une bonne âme aurait eu l'excellente idée de vous virer...
- Cardignac, fermez-la! Répondit-elle tout en essayant de passer son chemin.
- Quoi? J'aurais touché une corde sensible? Auriez-vous un cœur finalement? Je ne crois pas que cet abruti de Largo Winch pourra jamais en profiter, maintenant..."
Michel eut à peine le temps d'imprimer son petit sourire triomphant de hyène sur son visage que déjà, il recevait le poing de Joy en plein dans la figure. La violence du coup que Joy lui avait asséné le fit basculer contre le mur.
"Je vous avais prévenu, pourtant..." grinça-t-elle en le toisant du regard.
A ce moment, Sullivan, alerté par le bruit et les plaintes de Michel, émergea de son bureau. Cardignac voulut le prendre à témoin.
"C'est une folle! Une vraie hystérique! Elle m'a frappé!"
Sullivan lança un regard méprisant à Michel.
"Vous l'aviez sûrement mérité."
Puis il retourna dans son bureau tandis que déjà Joy ne se préoccupait plus de lui et prenait l'ascenseur pour le bunker.

Hôpital Sainte-Catherine
17h30

En arrivant à Sainte-Catherine, Simon passa par la salle d'attente où il retrouva Lula, qui patientait pour avoir des nouvelles de l'état de Largo. En apercevant Simon, elle se leva aussitôt et accourut vers lui.
"Simon, tu es là?
- Je ne fais que passer... Comment va-t-il?"
Lula secoua la tête gravement.
"Son état est stationnaire. Ce n'est ni bon, ni mauvais signe. Je suis tellement désolée pour toi, Simon."
Lula le prit dans ses bras et le serra fort contre elle.
"Tu as tellement fait pour moi... J'aimerais avoir de meilleures nouvelles... soupira-t-elle.
- Je sais."
Il desserra légèrement leur étreinte et la regarda affectueusement.
"Merci de rester là... Ca compte beaucoup pour moi... lui dit-il d'un air triste.
- Ca me fait plaisir. Je ne connais pas très bien Largo, mais je l'aime beaucoup. Ne t'en fais pas pour lui, il est très fort, il s'en sortira."
Lula l'embrassa tendrement, ce qui parut remettre sur les rails le Suisse.
"Je te remercie Lula... Tu es une vraie fée...
- Mais dis-moi, l'Intel Unit ne devait pas enquêter sur son agression?
- Si, et c'est plus que nécessaire quand on voit l'intérêt que le flic chargé de l'enquête y porte...
- Besoin d'aide? Proposa-t-elle.
- A vrai dire, oui. Quelqu'un a passé un coup de fil de l'appartement de Largo, hier soir, pour prévenir une ambulance. Il faut retrouver cet enregistrement pour identifier la voix du samaritain en question. Peut-être sait-il quelque chose.
- Ce genre d'enregistrement doit déjà être passé aux archives pour y être classé... réfléchit Lula.
- Et où sont les archives?
- Au sous-sol... Viens, on va trouver..."
Lula prit Simon par la main et tous deux se mirent en quête des fameuses archives de l'hôpital Sainte-Catherine. Ils les retrouvèrent assez facilement et en parvenant au seuil de ce département, Simon s'arrêta pour réfléchir à un plan.
"Il y a quelqu'un qui surveille... remarqua Lula.
- Oui, il faudrait détourner son attention pour fouiller tranquillement et piquer l'enregistrement... A moins qu'on ne se fasse passer pour des médecins et que... Lula? Lula?"
Mais déjà la jeune femme avait laissé Simon à ses réflexions pour s'approcher à pas de loups du gardien. Celui-ci ne l'entendit pas venir. Puis, elle tapota sur son épaule pour attirer son attention. Il tourna la tête et reçut son poing en plein visage. Le bonhomme s'écroula raide, complètement sonné. Plutôt satisfaite d'elle, Lula se frotta les mains et fit un clin d'œil à Simon.
"Voilà, la voie est libre maintenant..." annonça-t-elle.
Simon la rejoignit en souriant.
"Je viens de me rappeler pourquoi je t'adore autant..."
Après un quart d'heure de recherches infructueuses, ils dénichèrent enfin la cassette contenant les enregistrements des appels passés la veille au soir aux urgences. Simon la rangea dans sa poche et regarda Lula.
"Tu n'auras pas trop de problèmes avec... Dormeur? Demanda-t-il en désignant le garde assommé.
- Non, il ne saura jamais qui l'a frappé, le pauvre. Ne t'en fais pas, tu peux y aller. Je t'appelle si l'état de Largo s'améliore."
Simon prit son visage entre ses mains et l'embrassa.
"Tu es la meilleure."
Ils échangèrent un sourire et Simon courut vers le parking de l'hôpital, où, de sa voiture, il pourrait écouter l'enregistrement.

Groupe W, bunker
Peu après

Kerensky et Joy, installés à leurs postes de travail, tentaient de se concentrer sur leurs recherches, ce qui leur était très difficile. Sans Largo, leur leader, leur lien, obstiné et impulsif, c'était beaucoup moins facile de se coordonner et d'être efficace. Et puis tous deux étaient terriblement inquiets pour lui. Joy, la plus touchée, était incapable de maintenir son attention à ce qu'elle faisait plus de cinq minutes d'affilée, obsédée par l'idée qu'elle n'avait pas su le protéger et que s'il ne s'en remettait pas, elle en mourrait. Elle fut tirée de ses pensées par la main de Kerensky qui lui secoua vigoureusement l'épaule.
"Atterris Joy! Lui ordonna-t-il. Si tu n'en es pas capable, va le veiller à l'hôpital, tu perdras moins ton temps."
Joy se ressaisit aussitôt et se redressa pour affronter le regard de Kerensky.
"Du nouveau?
- Hum... Je commence à me demander si nos trois suspects ne sont pas tous coupables... marmonna Kerensky.
- Qu'est-ce qui te fait dire ça? S'intéressa Joy en fronçant les sourcils.
- J'ai épluché leurs comptes en banque, et figure-toi que ces quatre derniers jours, Raumann, Watkins et Wellington ont tous retiré 50 000 dollars en liquide de leurs comptes courants.
- Je vois... réfléchit Joy. Tu as retrouvé les hommes de mains qui ont fait le boulot?
- J'ai plusieurs pistes.
- Ca, ça veut dire non..."
Kerensky allait répliquer quelque chose quand le téléphone du bunker sonna. C'était Simon.
"C'est Wellington! S'écria-t-il.
- Tu as retrouvé l'enregistrement?
- Oui, c'est lui qui a appelé une ambulance... Je suis déjà en route pour Soho, je vais l'interroger et croyez-moi, cette fois-ci il va parler.
- Sim..." commença Joy.
Elle fut coupée dans son élan par Simon, qui avait aussitôt raccroché. Elle regarda Georgi.
"Il avait l'air remonté... commenta-t-elle.
- Tu devrais peut-être t'assurer qu'il ne va pas faire de bêtise... suggéra Kerensky.
- J'y vais..."
Joy saisit sa veste et ses clés de voiture. Elle partit aussitôt.

Soho
Appartement de Elvis Parker Wellington
Une demie-heure plus tard

Lorsque la voiture de Joy freina devant l'immeuble de Wellington, Simon était sur le point d'y entrer. Le brusque crissement de pneus attira l'attention de Simon, qui attendit patiemment que Joy quitte la voiture et le rejoigne à grands pas.
"Tu viens me baby-sitter? Demanda-t-il.
- Disons que ce Wellington a peut-être sauvé la vie de Largo.
- Et après il s'est enfui comme un voleur? Grinça Simon.
- Tout ce que je sais, c'est que pour l'instant on n'a aucune certitude. Alors laisse-moi faire et calme-toi.
- OK, je vais pas discuter avec une fille qui peut me casser le bras sans se fatiguer..."
Simon s'inclina et laissa Joy passer en premier. Le loft d'Elvis était situé au deuxième étage, mais en arrivant devant la porte, Simon et Joy eurent la surprise de la voir ouverte. Méfiants, ils prirent leurs revolvers et pénétrèrent à l'intérieur. Ils firent rapidement le tour du loft puis durent se rendre à l'évidence: Elvis avait décampé.
"Aucune trace... marmonna Joy en rangeant son revolver dans son dos.
- Il a pris le temps d'emporter quelques affaires... Et sa came aussi, si j'en juge par l'état de sa salle de bain..."
Simon paraissait très énervé et il finit par taper sur étagère bancale qui s'écroula à ses pieds. Joy le regarda sans sourciller.
"Tu es défoulé?
- On le tenait! Et merde!
- Rien ne prouve que c'est lui, mais je dois admettre qu'à son attitude, il n'est sûrement pas blanc comme neige...
- On fait quoi maintenant?
- On devrait prévenir le flic chargé de l'enquête, Camonte, pour qu'il lance un mandat à l'encontre de Wellington...
- Il s'est peut-être réfugié chez sa copine, cette Marielle..
- Tu connais son nom de famille?
- Non...
- Bon, on va voir ce que Kerensky peut faire..."
A ce moment, le portable de Simon sonna. Il répondit en essayant de camoufler son emportement.
"Oui? ... Tu es sûre? ... demanda-t-il à son interlocuteur, son visage reprenant des couleurs. Oui, oui, bien sûr... On vient tout de suite..."
Il raccrocha et sourit brièvement à Joy.
"C'était Lula.
- Largo est sorti du coma?
- Non, mais son état s'est amélioré. Il n'est plus aux soins intensifs. On peut lui rendre visite maintenant..."

Hôpital Sainte-Catherine
20h14

Dès son arrivée à Sainte-Catherine, Simon se précipita au chevet de Largo pour voir s'il allait mieux. Ses plaies commençaient tout doucement à se cicatriser et son teint semblait moins livide. Il n'était plus sous assistance respiratoire. Simon eut un poids en moins sur le cœur. Il prit une chaise et s'installa tout près de son meilleur ami.
"Alors là, Largo, j'espère que tu es content de toi parce que tu nous fous la trouille de notre vie... Encore un petit effort et sors de ce foutu coma! La vie est belle tu sais ici bas, et pense à toutes les jolies filles qui n'ont pas encore connu l'amour avec nous... plaisanta-t-il. Remue-toi les fesses, milliardaire à la petite semelle!"
Simon étouffa un rire puis son visage s'empreint à nouveau de gravité.
"Bon, blague à part Largo, j'ai besoin de toi, moi. Tu es bien plus qu'un ami pour moi, tu es mon frère, ma famille... Je serai encore dans la rue ou en prison si je ne t'avais pas connu... On a tous besoin de toi nous... Et Joy? Tu as pensé à elle? Elle erre comme une âme en peine, prête à sauter sur tout ce qui bouge..."
Simon esquissa un sourire.
"Aujourd'hui, elle porte cette petite jupe noire fendue... Celle qui est si agréable à voir quand elle s'assoit sur ton bureau en croisant les jambes... Tu vois tout à fait de quoi je parle, hein? Elle avait sans doute voulu se faire belle pour son grand retour au Groupe... Tu ne voudrais pas louper ça, quand même?"
Simon regarda son ami un long moment, plongé dans ses réflexions.
"On fait tout ce qu'il faut pour retrouver ceux qui t'ont fait ça... Le reste du chemin, c'est à toi de le parcourir. On ne peut rien de plus. Alors, ne les laisse pas gagner..."
Pendant ce temps, Joy, à la réception de l'hôpital, téléphonait à Kerensky pour le tenir au courant de l'évolution de l'état de Largo.
"Simon est auprès de lui en ce moment... expliqua Joy. Il n'est pas encore tiré d'affaire, mais les médecins sont plus optimistes qu'avant...
- Largo a la tête dure, heureusement pour nous... fit Kerensky, un réel soulagement dans la voix. Je suis certain que ce n'est plus qu'une question de temps avant qu'il ne se réveille...
- Je l'espère aussi."
Il y eut un léger silence, chacun des deux membres de l'Intel Unit étant plongés dans leurs pensées. Puis Kerensky reprit le premier la parole.
"Et vous avez pu parler à Wellington?
- Non, il s'est fait la malle... Je crois qu'on peut le nommer officiellement suspect numéro un dans cette affaire...
- J'essaierai de retrouver sa trace... annonça Kerensky. De mon côté, mes recherches ont avancé... J'ai découvert l'existence d'un Groupe de mercenaires appelé "Cesca", règlements de compte par correspondance, ce sont d'anciens flics, taulards, militaires et j'en passe, qui se sont reconvertis dans le passage à tabac criminel. Les gens qui ne veulent pas avoir les mains sales et qui ont les moyens les paient pour faire leur sale boulot: vengeance, intimidation, rackets et j'en passe. Cette milice existe depuis environ huit ans mais elle n'est basée à New York que depuis six mois. Tout porte à croire qu'ils ont été engagés pour s'occuper de Largo hier soir.
- Et où peut-on les trouver ces salopards? Tonna Joy, furieuse.
- Dès que j'ai une adresse, je vous contacterai. En attendant, toi et Simon devriez veiller sur Largo et vous reposer... Je crois que nous ne sommes pas au bout de nos surprises...
- Bien chef... céda Joy en soupirant. Dès qu'il y a du nouveau...?
- On s'appelle."
Kerensky raccrocha aussitôt. Joy garda le combiné un instant entre ses mains, puis elle laissa la place à une autre personne qui voulait passer un coup de fil. Automatiquement, elle se dirigea vers la chambre où reposait Largo. Elle observa en silence et en souriant son meilleur ami Simon, qui parlait de tout et de rien avec lui, espérant qu'il l'entendait et que ça l'aidait à tenir le coup. Puis, il aperçut Joy.
"Bon, je te laisse Largo... Notre amie Joy m'attend... Alors tiens le coup mon vieux? OK? Nous lâche pas!"
Puis il laissa son ami et rejoignit Joy.
"Alors?
- Ca avance... T'en fais pas, Georgi se charge de tout."
Simon hocha la tête et s'adossa contre le mur. Joy observa son ami un long moment: il avait l'air crevé, les traits tirés, les yeux rouges et cernés, le teint pâle. Il tenait à peine debout.
"Dis donc toi, depuis combien de temps tu n'as pas dormi? Fit-elle.
- Hein? Emergea-t-il péniblement. Dormi? Euh... Avant-hier, je crois...
- Oh Simon... soupira Joy d'un air réprobateur. Tu dois aller te reposer...
- Ca va, je tiens le coup... résista-t-il.
- Simon, ne m'oblige pas à utiliser la force. Rentre chez toi, tu dois être au meilleur de ta forme si tu veux aider Largo, OK?
- Joy, je ne veux pas qu'il reste seul...
- Il ne le sera pas. Je resterai, moi. Alors va-t-en, maintenant... Demande à Lula de te reconduire."
Simon baissa les armes, se disant qu'il n'aurait pas le dernier mot avec Joy. Il rejoignit Lula dans la salle d'attente et tous deux partirent, dans les bras l'un de l'autre.

Hôpital Sainte-Catherine
5h18

Joy fut tirée brusquement de son sommeil par un rêve étrange et oppressant. Le regard perdu, hagard, elle observa attentivement la pièce autour d'elle et réalisa qu'il s'agissait d'une chambre d'hôpital. Elle crut au début avoir été blessée au cours d'une mission où elle aurait à nouveau brillamment réussi à sauver Largo, et elle pensait sincèrement qu'en tournant la tête, elle le verrait à son chevet, lui faire un sourire lumineux et se féliciter de sa guérison. Mais la jeune femme dut bien vite se rendre à l'évidence.
La sombre et froide chambre d'hôpital n'était pas la sienne, mais celle d'une autre personne, un homme, un homme qu'elle veillait avec ardeur et angoisse. Elle se souvint tout d'un coup de ce qui était arrivé à Largo. Le cœur serré, elle regarda dans sa direction et constata qu'il était toujours dans le coma, très loin d'elle, dans un monde qu'elle avait elle-même traversé il y a des mois de cela, à Montréal, et qu'elle savait par expérience difficile à quitter. Un étau d'angoisse se serra dans sa poitrine et elle fit glisser ses doigts dans les cheveux de son ami.
"Aide-moi Largo... dit-elle. Sors de là... C'est un endroit calme et reposant en apparence mais en réalité c'est l'enfer..."
Elle esquissa un sourire désespéré.
"Je sais que tu es là parce que j'ai échoué à te protéger... Tu n'as aucune raison de me le devoir, mais tu dois te battre."
Elle détourna les yeux, brisée par la peine et n'y tint pas une seconde de plus. Elle éclata en sanglot.
"Je suis désolée... Oh, je regrette tellement... Largo, ne me laisse pas, je t'en prie... Je te promets de ne plus t'abandonner... Jamais... Mais reviens, je t'en supplie..."
En larmes, elle reposa sa tête près de la sienne et pleura en silence, priant pour qu'il l'ait entendue.

Maison abandonnée,
605 Green Road
Le lendemain matin, 8h22

La voiture de Simon se gara dans la rue désertée et malfamée, près de celle de Kerensky, qui l'attendait patiemment. Simon en émergea rapidement, en s'empiffrant d'un croissant. Il en proposa un à Kerensky après l'avoir salué.
"Waw... fit Kerensky. En quel honneur?
- J'allais passer à l'hôpital, mais Largo est déjà entre de bonnes mains... Et je me suis dit que tu méritais bien une petite récompense... Tu as bossé toute la nuit?
- J'ai dormi deux ou trois heures.
- C'est tout?
- C'est amplement suffisant. Merci d'être venu si vite.
- De rien, j'ai toujours rêvé de me retrouver un jour seul avec toi, Georgi... Qu'est-ce qu'on fait ici?
- J'ai trouvé la planque du Groupe Cesca.
- Ceux qui ont tabassé Largo? S'enflamma Simon.
- Eux-même.
- On devrait appeler Joy en renfort? Non?"
Kerensky fit non de la tête.
"Trop fragile. Elle a dû le veiller toute la nuit. Et puis j'ai besoin de tact et de calme. Tu pourras faire ça?
- Je me retiendrai, du moment que ça me fait attraper ceux qui ont fait ça à Largo."
Les deux membres de l'Intel Unit gravirent les marches du perron bancal de la vieille maison insalubre et en ruines. Simon jeta un petit coup d'œil aux fenêtres et distingua des ombres et des canons de revolvers.
"Waw... L'accueil va être chaud... commenta-t-il. T'as un plan, j'espère?
- Oui. Je connais le chef de la milice, un certain Burbanks. Il me doit un service, de l'époque où j'étais mercenaire...
- Passe les détails, Kerensky, j'ai envie de garder un peu de mon innocence de grand enfant.
- Nous avons conclu une sorte d'entente... Basée sur un équilibre des forces. Il nous dira ce qu'il sait."
Simon hocha la tête, peu convaincu. Puis, tous deux parvinrent au seuil de la porte. Une femme, grande et athlétique, au visage peu commode les accueillit. Sans mot dire, elle les fit entrer et les mena jusqu'au bureau du dénommé Burbanks. Simon progressa précautionneusement sur les fragiles lattes de bois du plancher, rongées par les mites, espérant ne pas s'étaler et perdre la face devant ces gangsters, et évitant les regards de tueurs que ceux-ci lui lançaient. Devant le bureau de Burbanks, la femme les laissa et Kerensky ouvrit la porte.
En entrant, ils virent tout de suite Burbanks, un ancien marine's de grande envergure, musclé, aux épaules carrées, à la mâchoire crispée, genre patibulaire. Son regard bleu semblait plus tranchant que de l'acier et ses cheveux coupés très courts en brosse lui donnaient un air implacable et froid. L'homme, âgé d'une quarantaine d'années, les tenait en joue avec un sig sauer, 9 millimètres. Ca ne sembla pas impressionner Kerensky mais Simon parut nerveux.
"Dis Kerensky, tu es sûr qu'il te doit un service? Tu ne confonds pas avec un autre ami psychopathe?
- Non.
- Vous faites un geste de travers et je vous descends tous les deux... fit Burbanks d'une voix grave et rocailleuse de fumeur intempestif.
- Pigé! S'exclama Simon. Je ne bouge pas d'un cil, quand j'étais gamin, j'adorais jouer à un, deux, trois soleil, même si je trichais tout le temps..."
Burbanks ne broncha pas et regarda Kerensky.
"Tu as le droit à trois questions, Kerensky... lui annonça-t-il.
- Largo Winch, avant-hier soir? Fit le Russe.
- Oui, quatre de mes hommes se sont occupés de lui.
- Quelles étaient les consignes?
- 50 000 dollars pour un bon passage à tabac. Il avait sacrément dû prendre la tête à notre commanditaire, ce type... ironisa sèchement Burbanks.
- Qui est le commanditaire? Fit alors Kerensky.
- Je ne l'ai jamais vue. Les consignes, l'argent et les moyens d'accès au Groupe W étaient dans une consigne d'aéroport. Je l'ai juste eue une fois au téléphone. C'était une femme. "
Burbanks se leva alors.
"J'ai payé ma dette maintenant, Kerensky.
- Je compte bien t'envoyer les flics, Burbanks.
- On aura déjà changé de planque entre temps.
- Je te retrouverai, sois en certain..."
Burbanks eut un sourire narquois. Les deux hommes se défièrent du regard et Kerensky tourna les talons. Simon le suivit, un peu mal à l'aise.
"Dis... Ils ne vont quand même pas nous tirer dans le dos?
- Je préfère ne pas me poser la question..."
Puis, les deux membres de l'Intel Unit quittèrent la planque du Groupe Cesca sans encombres et repartirent pour le Groupe W.

Penthouse, Groupe W
9h35

Joy, ne supportant plus de voir Largo plongé dans un profond coma, si mal en point, avait eu un besoin impératif de prendre l'air. Au début, elle avait juste voulu se dégourdir les jambes, dans le quartier de l'hôpital, mais elle avait fini par prendre le métro, et machinalement, sans vraiment s'en rendre compte, elle s'était instinctivement dirigée vers le Groupe W, où elle se sentait si bien. C'était un peu comme sa deuxième maison.
A son arrivée, elle eut envie d'aller à l'appartement de Largo. Celui-ci lui parut atrocement froid et vide, en l'absence de son ami. Elle tourna en rond un instant avant de se diriger tout naturellement vers la terrasse. En contemplant la vue vertigineuse, elle eut une montée d'adrénaline qui lui fit oublier l'espace d'un moment la situation dans laquelle son ami se trouvait. Elle était accoudée au balcon, perdue dans ses pensées, quand la sonnerie de son portable retentit et l'arracha à ses rêveries.
"Oui?
- C'est Kerensky. On revient d'une petite confrontation avec le Groupe Cesca.
- Vous y êtes allés sans moi?
- Parfaitement..." décocha-t-il froidement.
En temps normal, Joy aurait protesté et les aurait fustigés pour leur imprudence, mais elle ne se sentait pas assez d'énergie et elle savait pourquoi Kerensky l'avait écartée et il avait eu raison.
"Alors? Qu'est-ce que ça a donné? Vous êtes en un seul morceau? Demanda-t-elle.
- Oui, sauf Simon, mais il a toujours eu une case en moins!"
Joy entendit alors le Suisse, probablement aux côtés du Russe, pousser des protestations. Elle ne put s'empêcher de sourire, après tout, il ne verrait pas que ses pitreries arrivaient à la faire rire et il ne ferait pas le fier pendant des semaines.
"Vous n'avez pas un peu fini? Les rappela-t-elle à l'ordre. Enchaîne Kerensky.
- Le chef de la milice confirme qu'ils ont été engagés pour passer un tabac à Largo. Il ignore qui est le commanditaire, mais il affirme que c'était une femme.
- Donc ça élimine Wellington?
- A moins qu'il ne soit complice, oui. On se charge d'interroger Dionne Watkins.
- Bon. Il ne me reste plus que Julianne Raumann. J'y vais tout de suite.
- Bonne chance."

Villa de Julianne Raumann
10h12

Joy frappa à nouveau à la porte de Julianne Raumann. Cela faisait la troisième fois, mais elle était sûre que la jeune femme était là: sa voiture était garée dans l'allée. Joy voulut faire le tour de la maison, mais à tout hasard, elle essaya d'ouvrir la porte d'entrée et celle-ci n'était pas fermée. Préférant rester sur ses gardes, Joy saisit son revolver et s'engouffra à l'intérieur de la luxueuse villa de la jeune allemande. Elle ne la trouva pas au rez-de-chaussée et monta à l'étage. Une fois les dernières marches de l'escalier gravies, elle sentit une odeur, très reconnaissable pour une femme aussi expérimentée qu'elle: l'odeur du sang.
Joy poussa brusquement la porte de la chambre de Julianne et elle découvrit celle-ci, étendue sur son lit, son regard vide écarquillé vers elle, une énorme tâche de sang couvrant son ventre. Joy rangea aussitôt son arme pour prendre le pouls de Julianne.
"Et merde..." soupira-t-elle après avoir renoncé à sentir la moindre trace d'un pouls.
Elle la regarda un instant. Apparemment elle avait reçu plusieurs coups de couteaux dans le ventre. Cela lui rappela les blessures qui avaient été infligées à Largo et elle ne put s'empêcher de frissonner. Elle regarda autour d'elle et découvrit un poignard, couvert de sang, traînant sur le sol. Elle pensa aussitôt que la mort de Julianne devait avoir un lien avec ce qui était arrivé à Largo et que ce poignard pouvait être une preuve. Aussitôt elle s'approcha du poignard et le saisit avec le manche de son pull.
"Ne faites plus un seul geste, mademoiselle!" Retentit une voix sévère derrière elle.
Joy obéit instinctivement.
"Veuillez lâcher ce couteau et donnez-moi votre arme."
Joy posa doucement le couteau à terre et se tourna lentement vers la voix qui l'interpellait. Elle se trouva nez à nez avec l'inspecteur Camonte.
"Inspecteur... soupira-t-elle.
- Vous êtes Arden? Du Groupe W, c'est ça?
- Oui, je vais vous expliquer...
- Donnez-moi votre arme."
Joy haussa un sourcil, surprise.
"Quoi? Je ne vais pas vous flinguer!
- Alors donnez-moi votre arme avant que je ne le fasse."
Joy se renfrogna et jeta son revolver aux pieds de Camonte.
"Je n'ai rien fait. Je l'ai trouvée morte.
- C'est pour ça que vous effaciez vos empreintes de ce couteau?"
Joy éclata d'un rire nerveux.
"Je n'effaçais pas mes empreintes, au contraire. Elles ne sont pas sur ce couteau.
- C'est ce que nous verrons. En attendant, je suis obligé de vous mettre en garde à vue.
- C'est une plaisanterie?
- Absolument pas."
Camonte sortit une paire de menottes et les passa aux poignets de Joy tout en lui dictant ses droits.
"Vous avez fini? Grogna Joy. Vous perdez votre temps en m'arrêtant et vous me faites perdre le mien... Je vous signale que je dois découvrir ce qui est arrivé à mon patron car ça m'intéresse, moi!
- L'Intel Unit du Groupe W devrait s'abstenir d'empiéter sur le travail de la police. Vous voyez ce que ça donne quand on veut faire justice soi-même?
- Vous délirez.
- Peut-être. Peut-être pas."
Camonte désigna à Joy la porte et il la conduisit hors de la maison de Julianne, direction le commissariat.

Commissariat du 30è district, New York
Le lendemain, 10H31

Joy, tranquillement allongée sur la couchette de sa cellule, sauta sur ses pieds en entendant les portes s'ouvrir. La gardienne la toisa du regard.
"Arden tu sors!
- Pas trop tôt..." marmonna-t-elle.
On la conduisit vers la sortie du commissariat où elle récupéra ses affaires personnelles; Puis, elle fut accueillie à l'extérieur par Simon.
"Salut, taularde! s'amusa-t-il.
- Oh, ça va, c'est pas le moment... 24 heures de garde à vue, non mais tu te rends compte? Grogna-t-elle.
- On n'a pas chômé en ton absence... L'analyse du poignard révélait qu'il n'y avait pas tes empreintes dessus. Et puis la police scientifique a fini par trouver d'autres empreintes: celles de Burbanks... On avait tenté de les effacer à la va-vite, mais c'était bâclé.
- Burbanks? De la Milice Cesca?
- Oui. Il a été coffré il y a deux heures, non sans l'aide précieuse de Kerensky. Ce Tony Camonte est complètement à côté de la plaque... On se demande comment il a gagné ses galons d'inspecteur...
- Et pour le commanditaire de l'agression de Largo? Il a dit de qui il s'agissait? Demanda Joy.
- Non, il persiste à dire qu'il ne la connaît pas. L'enquête piétine un peu. Wellington est toujours introuvable, quant à Dionne Watkins, c'est carrément impossible de l'interroger: elle s'est enfuie du siège de Bora Corporation pour trouver refuge dans l'ambassade australienne.
- Super... Donc, l'affaire devient de plus en plus complexe, c'est ça? On a une idée de la raison pour laquelle Julianne a été tuée?
- Aucune... fit Simon en haussant les épaules. Peut-être qu'elle savait quelque chose."
Joy soupira et se malaxa douloureusement la nuque.
"Et Largo?"
Les yeux de Simon se mirent soudainement à pétiller et il fit à Joy son plus beau sourire.
"Il est sorti du coma dans la nuit.
- Tu rigoles? Eclata Joy, n'osant y croire.
- Et il est même en pleine forme! Un peu inquiet quand il a appris que tu étais en prison, mais ça devrait s'arranger si tu viens le voir avec moi...
- Ne me le demande pas deux fois! Oh Simon, c'est génial!"
Joy était tellement heureuse qu'elle se lâcha totalement et se jeta dans les bras de Simon. Il l'accueillit en riant, puis, après avoir desserré leur étreinte, il la fixa, goguenard.
"Dis donc, ça t'a fait du bien toi, le mitard! Je me demande ce que tu me ferais si on t'y laissait plus longtemps, disons un mois?
- Simon!
- Ca va, je plaisante!"

Hôpital Sainte-Catherine
Une demi-heure plus tard

Lorsque Joy arriva dans la chambre de Largo, celui-ci s'était endormi. Elle eut un sourire de tendresse et décida d'attendre son réveil, en prenant une chaise et en s'installant tout près de lui. Ne pouvant s'empêcher de lâcher un soupir de soulagement, elle tendit doucement la main vers ses cheveux pour les ébouriffer tendrement, du bout des doigts. Son geste parut réveiller Largo qui remua un peu la tête et finit par ouvrir les yeux. Malgré son oeil gauche salement poché, revoir l'éclat perçant de son regard déterminé fit énormément plaisir à Joy. Elle lui fit son plus beau sourire.
"Salut toi!"
Il lui rendit son sourire.
"Joy... murmura-t-il, soulagé. Tu n'es plus en prison?
- Comme tu peux le voir... Dis-moi, comment te sens-tu?"
Largo poussa un soupir et hésita.
"La version soft? J'ai l'impression d'avoir été écrasé par un rouleau-compresseur... souffla-t-il d'un air las.
- Ne t'en fais pas... dit-elle tendrement en caressant avec délicatesse son visage. Les médecins disent que maintenant que tu es sorti du coma, ça ne peut qu'aller mieux. Ton corps va se réparer tout seul et tu pourras à nouveau jouer les kamikazes pour m'énerver et passer des nuits entières à aller draguer avec Simon."
Il ferma les yeux, apaisé par la voix calme et rassurante de Joy et par ses subtiles caresses.
"Je me sens tellement fatigué...
- Tu as mal?
- Mes côtes fêlées me font souffrir... Sauf quand je ne bouge pas.
- Alors ne bouge pas..." sourit-elle.
Il fit la moue.
"Moi? Ne pas bouger? Je croyais que tu me connaissais un peu mieux que ça...
- Pense aux jolies infirmières qui vont te chouchouter... s'amusa-t-elle.
- Ce que j'ai toujours apprécié chez toi Joy, c'est que tu ne perds jamais le sens des réalités..."
Le sourire de Joy s'effaça soudainement.
"Je suis désolée Largo. Je n'ai pas su te protéger..."
Largo la fixa avec curiosité.
"C'est ta conscience professionnelle qui parle? Laisse-la de côté, tu veux? Tu sais très bien que les choses n'auraient pas pu se passer différemment. Et je suis en vie, non? C'est tout ce qui compte."
Joy retrouva le sourire.
"Je me demande ce que j'aurais fait sans toi... pensa-t-elle. J'ai eu si peur.
- Serait-ce une déclaration? Sourit-il d'un air malicieux.
- Ne rêve pas!"
Joy se pencha malgré tout vers lui pour lui déposer un baiser affectueux sur le front.
"Dis-moi, tu as une idée de qui a pu te faire ça?
- Aucune. Je n'ai vu que quatre hommes cagoulés. Je me suis défendu, mais ils étaient très expérimentés... Et..."
Il fit une pause, songeur.
"Tout ce dont je me rappelle, c'est que j'attendais Wellington mais qu'il n'est jamais venu. Et Julianne venait de partir...
- Simon t'a dit pour elle?
- Oui.
- Je suis désolée..."
Largo hocha la tête et cligna lourdement des paupières. Joy eut un sourire maternel à son égard.
"Je suis vraiment nulle, je t'ai réveillé et je t'empêche de te reposer... s'excusa-t-elle.
- Tu n'as pas à être désolée. J'avais envie de t'avoir auprès de moi..."
Joy passa à nouveau sa main dans ses cheveux.
"Je vais retrouver Simon et Kerenksy, pour conclure l'enquête. En attendant, tu dois te reposer et te rétablir. Promis?
- Promis."
Joy se leva.
"Et ne drague pas trop les infirmières!"
Elle s'apprêtait à s'en aller, mais au dernier moment elle fit demi-tour et lui déposa un rapide baiser sur les lèvres.
"Bon retour parmi les vivants Largo Winch..." dit-elle d'un air sensuel avant de tourner les talons pour s'en aller vraiment, cette fois, laissant un Largo tout sourire.
Une fois hors de la chambre, Joy, un sourire radieux aux lèvres, rejoignit Simon qui l'attendait à l'extérieur de l'hôpital.
"Mon Dieu, ça fait du bien de pouvoir enfin lui parler... déclara-t-elle d'un ton qui dissimulait mal son soulagement.
- Et que vas-tu faire maintenant que tu as failli le perdre? Tu vas te décider à...
- Simon, ce n'est pas le moment d'essayer de me mettre en colère! Le coupa-t-elle fermement. On a du pain sur la planche. Que donne l'interrogatoire de Burbanks? Il a avoué quelque chose aux flics?
- Nada! Il admet avoir été engagé pour passer un tabac à Largo, mais il refuse de citer le nom de ses complices, sans doute pour protéger le Groupe Cesca. Et il y a un truc bizarre... Tu sais que le couteau qu'il a utilisé sur Largo a servi à tuer Julianne Raumann, et malgré les preuves contre lui, il nie l'avoir tué. Il dit que le couteau en question, il ne le retrouvait plus depuis plusieurs jours..."
Joy fronça les sourcils.
"Et d'après lui, qui l'aurait tuée? Demanda-t-elle.
- Il n'en sait rien. Et il refuse de porter le chapeau pour ce meurtre.
- Qu'en pensent les flics?
- Ben, tu connais un peu Camonte... Un drôle de numéro ce flic... Il est prêt à classer l'affaire et il l'aurait déjà fait si ses supérieurs n'avaient pas insisté pour qu'il retrouve le commanditaire.
- Toujours aucune piste pour le retrouver?
- Non, les flics montent la garde devant l'ambassade australienne pour interroger Dionne Watkins, au cas où elle sortirait, mais ce n'est pas gagné d'avance... Quant à Wellington, un mandat d'amener court contre lui, mais les flics ignorent totalement où il peut se cacher."
Le téléphone portable de Simon sonna.
"Ouaip?
- J'ai du nouveau... annonça Kerensky.
- Accouche!
- Marielle Judor, la petite-copine de Wellington, j'ai retrouvé sa trace. Elle habite dans le Queens, au 978, Jefferson Street. Appartement 112.
- On fonce!"
Simon regarda Joy, un sourire satisfait aux lèvres.
"J'ai l'impression qu'on a retrouvé Elvis..."

978, Jefferson Street
Appartement 112
13h12

Simon s'arrêta devant la porte de l'appartement de Marielle. Il tendit l'oreille et perçut des bruits désordonnés et saccadés, comme si les personnes à l'intérieur cherchaient à s'enfuir. Il n'hésita pas une seconde de plus et enfonça la porte. Une fois à l'intérieur, il ne put qu'apercevoir Elvis, qui se glissait vers la fenêtre pour emprunter l'échelle de service à l'extérieur du bâtiment. Simon poussa Marielle sur le côté, qui lui obstruait le passage pour faire gagner du temps à son ami, et courut vers la fenêtre.
Aussitôt, il se trouva nez à nez avec Wellington, qui tout penaud, remontait à l'intérieur de l'appartement, suivi de près par Joy, qui le tenait tranquillement en joue avec son Beretta. Elle sauta à pieds joints dans le salon, à la suite de l'architecte et eut un sourire malicieux à l'encontre de Simon.
"Je t'avais dit que c'était une bonne idée de passer par derrière.
- D'accord, j'abandonne, t'es une petite maligne!"
Simon se dirigea vers la porte et la poussa pour avoir un peu d'intimité. Puis Joy, revolver à la main, indiqua d'une manière peu amicale à Marielle et Elvis un vieux canapé miteux sur lequel elle les incita à s'asseoir. Ils s'exécutèrent, pas fiers. Simon, quant à lui, prit une chaise et s'installa face à eux.
"D'accord mon petit Elvis, tu nous as fait pas mal courir, mais maintenant, il va falloir arrêter les conneries! Déclara le suisse.
- Écoutez, je... commença-t-il.
- Ahhh! L'arrêta tout net Simon. Avant que tu ne commences à nous mentir et à nous réciter un de tes délires de camé, laisse-moi te dire que la jeune femme à côté de toi, celle au revolver, est un ancien agent de la CIA et qu'elle a tué un certain nombre de mecs pour beaucoup moins que ce que tu lui as fait, parce que tu vois, Largo Winch, elle l'aime beaucoup. Nous l'aimons tous les deux beaucoup. Capito?
- Ouais... souffla-t-il, angoissé.
- Alors, as-tu l'intention de nous mentir?
- Non.
- Bien. Je vois que nous sommes d'accord."
Simon parut satisfait et se réinstalla plus confortablement sur la chaise.
"Alors raconte-nous ta version, de manière claire et concise."
Elvis prit une profonde inspiration et regarda Marielle avec appréhension.
"OK, mais je ne veux pas que Marielle ait des emmerdes... Elle n'a rien fait... Tout est de ma faute...
- Contente-toi de nous dire ce qu'il s'est passé! Intervint Joy.
- Bon... J'avais rendez-vous avec Largo, à 23 heures... Mais je me doutais que c'était pour m'annoncer que mon projet allait être rejeté... J'avais repéré des erreurs sur mes plans et je savais qu'il n'était plus valide... J'y suis allé un peu à reculons, et je m'étais shooté assez sévèrement pour tenir le coup... Je suis arrivé une demi-heure en retard, j'ai utilisé mon pass et je l'ai trouvé dans son appartement, il était... On l'avait déjà bastonné... Je lui ai rien fait à ce type, je vous jure! C'est pas mon truc, je suis pas un violent, OK? J'étais pas médecin, ni rien, mais il avait l'air d'être encore en vie alors j'ai appelé l'hosto et je me suis taillé, et vite fait.
- Pourquoi ne pas avoir attendu l'ambulance? Demanda Joy.
- Pour être accusé? Pas fou... Je voulais pas d'emmerdes, moi! Et puis j'étais raide, je vous l'ai dit..."
Joy et Simon échangèrent un rapide regard. Il n'avait pas l'air de mentir et ils savaient de Burbanks que le commanditaire de l'agression était une femme.
"Et les 50 000$?" Demanda Simon.
Elvis parut surpris.
"De quoi vous parlez?
- Des 50 000$ que tu as retiré de ton compte quelques jours avant l'agression?"
Elvis regarda Marielle et elle hocha la tête, signe qu'il pouvait parler.
"Je suis étonné que vous soyez au courant de ça... Ca n'a rien à voir, ce fric, je l'ai pris pour Marielle..."
Comme Joy et Simon ne semblaient pas éclairés par son explication, Elvis poursuivit.
"Les 50 000$, c'était pour payer Mario, le mac de Marielle, pour qu'il la libère de ses engagements auprès de lui... Elle lui devait un sacré paquet de pognon, pour sa came. Alors, je l'ai aidée, voilà...
- Vous allez en parler aux flics?" S'inquiéta Marielle.
Joy et Simon ne prêtèrent pas attention à sa requête. Ils se levèrent et se dirigèrent vers la porte.
"Restez dans le coin, on ne sait jamais...
- J'espère pour vous que vous n'avez pas menti!" Les menaça Joy.
Puis, tous deux quittèrent l'appartement, tout en appelant Kerensky pour lui parler de l'évolution de l'affaire.

Commissariat du 30ème district, New York
16h57

Joy, Simon et Kerensky étaient installés en cercle autour du bureau de Tony Camonte, qui, perplexe, se grattait son crâne dégarni, clope au bec.
"Mouais... Ca se vérifie... décocha-t-il finalement.
- L'histoire de Wellington? Traduisit Simon.
- Hum... Mario McKellog est un mac qui opère dans le Queens. D'après mes collègues des mœurs, il tient ses filles par la drogue. Et ils confirment que Marielle Judor bossait pour lui et s'est affranchie il y a deux jours.
- Donc Wellington est blanc comme neige dans l'affaire qui nous occupe... fit Kerensky.
- Mouais, il n'y a même pas non-assistance à personne en danger puisqu'il a appelé l'hosto. On peut le laisser tranquille... Je ne suis pas des narcos, après tout!"
Camonte hocha la tête et ferma son dossier. Puis il se leva, signe que l'entretien était terminé.
"Que comptez-vous faire? S'enquit Joy, vissée sur son siège et bien décidée à ne pas s'en aller.
- Comment ça? L'affaire est classée.
- Je vous demande pardon? S'exclama Simon. Mon meilleur ami a été envoyé à l'hôpital, il a failli mourir et vous comptez en rester là?
- Cette affaire est claire comme de l'eau de roche. Puisque ce n'est pas Wellington qui a fait rentrer Burbanks et ses hommes au Groupe W, ça ne peut être que Julianne Raumann. Et Burbanks l'a ensuite tuée pour qu'elle ne craque pas et ne révèle pas les activités du Groupe Cesca. CQFD.
- Elle est commode cette expression... marmonna Kerensky.
- Mais que voulez-vous de plus? Soupira Camonte d'un air désabusé.
- Des preuves! Des mobiles! Des certitudes! S'enflamma Joy.
- A quoi cela servirait-il?
- A empêcher que le cinglé qui a payé des miliciens pour passer un tabac à Largo Winch reste dans la nature et recommence, sur lui ou sur un autre, expliqua froidement Kerensky.
- Le cinglé en question était Julianne Raumann. Et elle repose dans une caisse en bois, au cimetière. Affaire classée. Je ne vous retiens pas."
Joy, Kerensky et Simon se consultèrent du regard et obéirent, sachant qu'ils n'obtiendraient rien de plus de Camonte. Une fois hors du commissariat de police, ils échangèrent leurs impressions.
"Moi, je trouve ce Camonte, non seulement très incompétent, mais aussi un peu louche... fit Simon.
- Je dirais même très louche, déclara Kerensky. Je crois que je vais me pencher sur son cas.
- Et moi, je crois que Simon et moi, on va se pencher sur celui de Dionne Watkins. Si elle n'a rien à se reprocher dans cette histoire, pourquoi vit-elle recluse dans l'ambassade australienne?
- Je suis d'accord, mais comment va-t-on l'atteindre?"
Joy lança un regard malicieux à Simon.
"Quand j'étais à la CIA, j'ai cambriolé à plusieurs reprises des ambassades. Ce n'est pas sorcier d'y pénétrer sans y avoir été invité...
- Joy... siffla Simon d'un air réprobateur... C'est très vilain, l'idée que tu as derrière la tête!
- Je te trouve bien prude pour un voleur!
- EX voleur! N'oublie pas le ex, j'y tiens beaucoup... Mais pour tes jolis yeux, je veux bien retenter l'expérience..."
Kerensky étouffa un grognement ironique.
"Joy et Simon qui cambriolent une ambassade main dans la main... J'avoue que j'aurais adoré voir ça, mais j'ai du travail, moi! Tenez-moi au courant!"

Ambassade australienne, Washington
23h34

Grâce à l'expérience de Joy et aux talents naturels de Simon, les deux membres de l'Intel Unit pénétrèrent assez facilement dans l'ambassade, en utilisant le toit. Une fois à l'intérieur, la tâche la plus ardue était d'éviter les caméras de surveillance, le temps de trouver le quartier des appartements d'hôtes dans lequel devait séjourner Dionne Watkins. Ils le découvrirent finalement dans l'aile ouest du bâtiment, au troisième étage. Dionne Watkins, installée dans le premier appartement du palier, veillait, un verre de scotch à la main, assise sur le canapé face à la porte, comme si elle attendait qu'on vienne franchir cette porte pour lui demander des comptes. Elle ne sourcilla même pas à l'arrivée de Joy et Simon. Ceux-ci, par précaution, avaient dégainé leurs armes, pour l'inciter à ne pas s'enfuir et à ne pas avertir la compagnie.
"Vous savez que seuls les ressortissants australiens peuvent venir jusqu'ici? Décocha-t-elle froidement, la voix légèrement tremblante sur certains accents.
- J'ai séché les cours de diplomatie à la fac..." répondit Joy du tac au tac.
Dionne la regarda intensément.
"Qui êtes-vous? Vous ne pouvez pas être de la police... réfléchit-elle plus pour elle-même que par désir réel de le savoir.
- Nous sommes du Groupe W.
- Oh... Encore ce Largo Winch... Même à moitié crevé dans un hôpital, il trouve le moyen de me pourrir la vie...
- Devons-nous prendre cette remarque comme un aveu? S'exclama Joy.
- Un aveu? Non... Prenez-le comme vous le voulez, ça m'est égal... Après tout, si vous voulez utiliser contre moi ce que je pourrais dire ou ne pas dire ici, vous seriez obligés d'y justifier votre présence. Or, celle-ci n'est pas justifiable.
- Mais c'est le cadet de nos soucis, actuellement!"
Dionne esquissa un bref rictus qui devait s'assimiler à un sourire. Visiblement, elle se sentait à l'aise en compagnie de Joy, une femme forte et dure, comme elle.
"Je suppose que votre principal souci est de découvrir qui a attenté à la vie de Winch? Je vais vous décevoir, ce n'est pas moi.
- Vous ne nous donnez pas l'impression d'être hors de soupçon, pourtant!"
Dionne parut légèrement déçue. Cette jeune femme se laissait emporter par ses émotions. En réalité, elles devaient être très différentes.
"A ce que je vois vous êtes touchée de près par ce qui est arrivé à ce Winch...
- Nous le sommes tous les deux... rajouta Simon d'un air menaçant.
- Je vois... J'ai face à moi deux bêtes enragées et assoiffées de vengeance?
- Non. Nous voulons juste comprendre.
- Et nous assurer que Justice sera rendue, rajouta Simon.
- Alors vous frappez à la mauvaise porte..."
Dionne avala d'un trait son verre de scotch.
"Je détestais Winch. S'il venait à mourir, je serai la première à danser sur sa tombe. Mais je ne l'ai pas fait tuer. Je tiens trop à ma carrière, à ma réputation et à mon entreprise pour m'abaisser et risquer de tout perdre. Et puis ce jeune arriviste ne m'intéresse pas suffisamment pour ça.
- Alors pourquoi vous cachez-vous ici? De quoi avez-vous peur?
- Je n'ai pas peur. Je suis prudente. Je n'ai pas envie de me faire arrêter par cet idiot de Tony Camonte.
- Le flic chargé de l'enquête? S'intéressa Simon. Vous êtes en contact avec lui?
- Oui... Il m'a fait comprendre qu'il pouvait me mener la vie dure... Il se trouve qu'il y a quelques mois, j'ai... J'ai eu un petit accident. J'ai renversé un vieux clodo imbibé d'alcool dans une ruelle sombre. Comme il ne manquait à personne, l'affaire a été en quelque sorte étouffée..."
Joy poussa un soupir de dégoût.
"Vous êtes une garce.
- Je me plais à le croire, effectivement. En enquêtant sur l'agression de Winch, Camonte a effectué quelques recherches sur moi. Il a fini par avoir connaissance de ce fâcheux "incident" et m'a fait comprendre qu'il pourrait me causer des ennuis. Je ne sais pas s'il veut que je le paie ou quelque chose comme ça, mais je ne m'abaisse jamais à céder au chantage. J'ai donc préféré me réfugier ici en attendant que la tempête passe."
Simon et Joy échangèrent un regard semi-convaincu.
"Vous avez retiré 50 000$ de votre compte courant, en liquide, le jour de l'agression de Largo. Qu'avez-vous fait de cet argent?
- Ce ne sont pas vos affaires."
Joy, à bout de patience, posa son Beretta sur un meuble près d'elle et saisit un canif dans la poche de sa veste.
"A la CIA on m'a appris des centaines de façons d'utiliser ce joujou. Je dois vous en faire voir une ou vous coopérez tout de suite, en évitant de nous faire perdre un temps précieux?"
Dionne déglutit difficilement. Elle était hautaine et très sûre d'elle, mais les yeux menaçants de tueuse qu'arborait Joy l'effrayaient réellement tout en sachant pertinemment qu'elle ne mettrait pas sa menace à exécution.
"Les 50 000$ étaient un pot-de-vin que j'ai versé au directeur des ressources humaines de la Société Olympus, avec laquelle j'étais en affaire, pour qu'il saborde le contrat passé avec le Groupe W. Contente?"
Joy rangea son canif et reprit son arme. Elle interrogea du regard Simon. Celui-ci paraissait dégoûté au dernier degré.
"Allons-nous en Joy. J'ai une soudaine envie de vomir."


Bunker, Groupe W
Minuit

Kerensky s'étira légèrement, quasi imperceptiblement, sa rigueur et sa retenue l'ayant habitué à l'économie des gestes. Puis, au fond de son siège, il récapitula ce qu'il venait de découvrir afin de le restituer avec sa froideur habituelle à ses deux collègues de l'Intel Unit. Il saisit ensuite son téléphone et eut Simon à l'autre bout du fil.
"Kerensky, tu tombes bien, on allait t'appeler! S'exclama Simon. Cette Dionne Watkins a l'air sévèrement atteinte! C'est une vraie ordure et figure-toi qu'elle se cache dans l'ambassade australienne parce que Camonte a découvert qu'elle avait écrasé un clochard et s'était enfuie, il y a quelques mois de cela! Apparemment, notre copain flic voulait du fric pour se taire sur cet incident...
- Hum... Ca ne fait que confirmer ce que je pensais... Camonte est un flic corrompu. D'après les premiers résultats des recherches que j'ai fait faire sur lui, il a fait l'objet de plusieurs enquêtes internes ces huit dernières années, mais la police des polices n'a jamais rien trouvé de concluant. Cela dit, le bonhomme a un joli compte en banque en Suisse.
- Je vois le genre, et une petite villa à Puerto Vallarta?
- Non, à Cancun... rectifia Kerensky.
- Comme quoi, on dirait qu'il a du goût, malgré les apparences...
- Et j'ai retrouvé la trace des 50 000$ que Julianne Raumann a retiré de son compte en banque, deux jours même de l'agression de Largo. Et je les ai retrouvés sur le compte de notre ami Camonte.
- Quoi? Mais pourquoi l'a-t-elle payé? S'étonna Simon, perplexe.
- Il faudrait le lui demander.
- On est dans le jet, on atterrit à New York d'ici une demi-heure.
- Alors j'y vais. Je vous recontacte."

Maison de Tony Camonte, Oliver Street
Minuit 35

Tony Camonte ouvrit la porte de sa maison en grognant. Il avait vu Kerensky à travers le judas, patienter, stoïque, qu'il le fasse entrer. Ceci fait, l'implacable et impénétrable Russe se transforma en ouragan et plaqua avec violence Camonte contre le mur de son hall d'entrée. Le Russe ne pouvait pas se voir, mais il avait l'air particulièrement méchant, de quoi faire peur à Lucifer en personne.
"A nous deux maintenant, mon petit Tony! Vous avez intérêt à tout me dire, et vite!
- Je ne vois pas de quoi vous voulez parler!"
A bout de patience, Kerensky lui décocha un violent coup de poing en plein visage. Camonte fut sonné mais resta conscient.
"Qu'est-ce que... Vous... Vous me paierez ça Kerensky!
- Non, vous paierez! J'en sais suffisamment sur vous pour vous faire coffrer à vie pour corruption!"
Le visage de l'inspecteur changea. Son petit regard de fouine se voila d'un éclair de panique.
"Vous bluffez! Tenta-t-il de sortir, réunissant un semblant d'assurance.
- Vous voulez parier?"
Kerensky scruta le regard du flic. Il n'avait vraiment pas l'air d'avoir envie de jouer avec le feu. Le géant Russe le lâcha alors et le glaça du regard, tandis qu'il arrangeait maladroitement le col de sa chemise froissée par la prise de Kerensky.
"Votre petit business ne m'intéresse pas Camonte. Je veux savoir pourquoi Julianne Raumann vous a payé."
Camonte eut un sourire en coin.
"Oh, je vois où vous voulez en venir... J'y suis pour rien dans l'affaire Winch. Julianne m'avait payé pour que je taise certains antécédents de son passé.
- Expliquez-vous!
- C'était une usurpatrice! La fille du vrai Friedrich Raumann est morte dans un accident de train avec sa mère, quand elle était petite fille. Mais Julianne était une ancienne faussaire, spécialisée dans l'escroquerie. Comme elle avait un air de ressemblance avec la gamine, elle lui a fait croire qu'elle était sa fille, de retour après 20 ans d'absence. Le vieux était trop content d'y croire. Les membres de son conseil d'administration lui ont quand même ordonné de faire faire un test ADN et c'est là qu'est intervenue Milo Hynes.
- Qui est-ce? Fit Kerensky, fronçant les sourcils.
- Un médecin. La maîtresse de Julianne... Celle-ci était portée sur les deux, si vous voyez ce que je veux dire... Milo et elle étaient ensemble depuis des années, d'après ce que j'ai compris. Elle a aidé Julianne à monter toute cette escroquerie et quand le vieux Raumann a clamsé, elles ont convenu de vendre son entreprise au Groupe W et de se partager le fric. Ce qu'elles n'avaient pas prévu dans leur plan, c'est que je découvrirais leur manège. Il y a dix ans, j'avais arrêté Julianne, qui à l'époque, s'appelait Jane Kippling, pour faux et usage de faux. Du coup, je les ai fait chanter...
- Vous les croyez impliquées dans l'agression de Largo?
- Aucune idée... réfléchit Camonte. Cela dit, je crois que c'est Milo Hynes qui a buté Julianne.
- Pourquoi?
- J'en sais rien... Elle a peut-être essayé de la doubler... En tout cas, Milo m'a payé une rondelette somme de 100 000$ pour que je fasse classer l'affaire Winch au plus vite.
- Intéressant."
Kerensky sortit de sa poche un magnétophone et le montra à Camonte, d'un air satisfait.
"Je crois que vos amis de la police des polices seront ravis de disposer de cet enregistrement. Bonne nuit, mon petit Tony!"
Puis il quitta la maison, croisant au passage des policiers en uniforme, venus arrêter Camonte.

Hôpital Sainte-Catherine
8h21

Après l'arrestation de Camonte, Kerensky était reparti au Groupe W faire des recherches sur cette mystérieuse Milo Hynes, tandis que Joy et Simon s'étaient concertés et avaient décidé qu'il valait mieux tenir au courant Largo de tout ce qu'ils découvraient. Après tout, c'était lui qu'on avait failli tuer et il avait le droit de savoir. Ils lui apprirent donc ce qu'ils savaient, y compris la personnalité trouble de Julianne Raumann. Largo écouta le récit sans broncher.
"Une usurpatrice? Y a pas à dire, il faudrait que je revoie mes critères de sélection avec les femmes... marmonna-t-il sévèrement.
- Ah... Mon pauvre Largo, c'est comme ça que ça se passe pour les mecs comme nous! Il n'y a plus de place pour le romanesque! Plaisanta Simon.
- On devrait te laisser te reposer... s'inquiéta Joy en fronçant les sourcils.
- Surtout pas! Réagit-il. J'ai besoin de connaître l'évolution de votre enquête... Et puis, si je ne trouve pas quelque chose pour me changer les idées, je vais devenir dingue dans cet hôpital!
- Quoi? Les infirmières ne sont pas assez à ton goût? Ironisa Joy.
- Pas depuis que j'ai revu mes critères de sélection à la hausse..." répliqua-t-il en la regardant intensément.
Joy eut beaucoup de mal à soutenir le regard bleu azur de son ami et eut fini par détourner les yeux, si Kerensky n'avait pas fait irruption dans la chambre d'hôpital.
"J'ai du nouveau! Annonça-t-il. Cette Milo Hynes est vraiment très louche. On a fait des recherches d'empreintes sur le couteau qui a servi à tuer Julianne Raumann et on y a trouvé les siennes. Elle a probablement pris le couteau de Burbanks pour le faire accuser ensuite! Et ce n'est pas tout... Les 50 000$ que le groupe Cesca a reçu pour accomplir leur méfait provenaient du compte en banque de cette chère Milo!"
Largo fronça les sourcils, soudainement très fatigué.
"Je ne comprends pas... Pourquoi elle a fait ça, cette fille? Je ne la connais même pas!
- J'ai son adresse. On peut le lui demander."
Simon et Joy se levèrent aussitôt d'un même mouvement.
"On t'accompagne! Déclara Simon.
- D'accord, mais pas toi, Joy. Je préfère que tu restes près de Largo. Si on ne la trouve pas, il est possible qu'il soit encore en danger et qu'elle veuille terminer le boulot."
Joy allait protester, mais elle lança un rapide regard vers Largo, si faible et démuni, que son instinct protecteur et quasi maternel à son égard, la poussa à vouloir rester.
"D'accord... J'espère que vous me donnerez les détails de la fête...
- Compte sur nous! Fit Simon.
- Et surtout ne faites rien que je ne ferais!" Lança Largo à ses deux amis, qui déjà s'étaient élancés vivement dans les couloirs de l'hôpital, excités par l'idée du dénouement final.

Appartement de Milo Hynes
9h43

Kerensky et Simon défoncèrent la porte de l'appartement de Milo Hynes. Non pas qu'ils aient eu peur qu'elle ne s'enfuie, mais parce que de l'extérieur de l'immeuble, ils l'avaient vue se balader sur la corniche de sa fenêtre, prête à se jeter du quatrième étage. Les deux membres de l'Intel Unit se ruèrent dans son salon où ils la surprirent perchée sur la fragile parcelle de béton, toute chancelante, en larmes. Elle déblatérait et parlait toute seule, répétant des phrases sans queue ni tête, totalement incompréhensibles.
"Kerensky, j'ai l'impression qu'elle est folle dingue...
- Tu crois?" Ironisa Kerensky en approchant un peu de la fenêtre.
Milo perçut son mouvement vers elle et se tourna d'une manière brusque, manquant de basculer dans le vide. Alerte, Kerensky stoppa net, et leva les mains vers elle.
"OK... dit-il calmement. Je ne m'approche plus, calmez-vous.
- Que je me calme? Que je me calme! Hurla-t-elle. Je n'ai pas le droit de me calmer! Je dois aller brûler dans les flammes de l'enfer!
- Je confirme mon diagnostic, Kerensky... marmonna Simon. Elle est folle dingue.
- Allez-y, riez! Dansez sur ma tombe! C'est tout ce que je mérite! J'ai du sang sur les mains! Le sang de la plus merveilleuse des créatures. Je l'ai tuée! J'ai pris un couteau exprès pour pouvoir le sentir s'enfoncer dans sa chair, pour pouvoir l'entendre hurler, agoniser, me supplier! Je voulais qu'elle crie mon nom avant de mourir, cette garce!
- Là, je crois qu'elle parle de Julianne Raumann... Ou Jane Kippling, peu importe son vrai nom... commenta Kerensky.
- Mais qui êtes-vous?" S'écria-t-elle soudain, comme si elle venait de remarquer leur présence Simon et Kerensky se consultèrent du regard. Ils devaient gagner du temps s'ils voulaient l'empêcher de se jeter par la fenêtre.
"Nous sommes des amis de Largo Winch. Nous travaillons pour lui."
Milo les dévisagea avec un regard de folle, halluciné et injecté de sang.
"Tout ça, c'est de sa faute! Criait-elle hystérique. On serait parti toutes les deux, rien qu'elle et moi, s'il n'avait pas été là!
- C'est pour ça que vous avez engagé la milice Cesca? Voulut la faire parler Kerensky. Pour vous venger?
- Il devait souffrir autant que moi! A cause de lui, Jane n'a pas voulu tenir ses promesses! Elle m'avait dit qu'elle partirait! Avec moi!
- Quoi, vous avez fait tout ça par jalousie? Chercha à comprendre Simon, un peu déboussolé.
- Vous ne comprenez pas! Eclata-t-elle la voix déchirée par ses cris et ses pleurs. C'était l'amour de ma vie et elle... Elle n'a fait que m'utiliser... L'argent du vieux Raumann ne lui suffisait pas... Il lui fallait celui de Winch en plus! Elle voulait le séduire et l'épouser! Elle m'avait complètement écartée de ses plans, elle ne voulait plus de moi! Elle... Elle..."
Milo se tut soudainement et, les yeux noyés par ses larmes, elle regarda un point invisible, droit devant elle.
"Elle ne m'aimait plus."
Alors, elle se laissa tomber, en arrière, sans que Simon et Kerensky aient pu faire le moindre mouvement pour l'en empêcher. Elle s'écrasa, quatre étages plus bas, sur le trottoir, désarticulée, comme un pantin brisé par un jeu cruel.

Hôpital Sainte-Catherine
Au même moment

Joy tenait compagnie à Largo, et tous deux avaient le regard rivé sur le petit écran de télé de la chambre du jeune milliardaire. Joy fronça les sourcils.
"Je ne comprends rien à ce truc! S'impatienta-t-elle. C'est qui Flora? Et pourquoi elle veut tuer McManus?
- Parce que McManus l'a quittée pendant leur lune de miel pour la femme de chambre, Consuelo, expliqua Largo, un sourire aux lèvres.
- Mais je croyais que la femme bafouée de McManus s'appelait Lola?
- Mais justement, Lola et Flora sont une seule et même personne! Lola a eu un accident de voiture en voulant empêcher son mari de convoler avec Consuelo, ce qui l'a défigurée. Elle profite maintenant de son nouveau visage pour exercer sa vengeance.
- Et elle est où Consuelo?
- Elle a largué McManus pour un guitariste raté du nom de Greg. Du coup, Flora a décidé de se venger sur la nouvelle petite-amie de McManus, Priscilla."
Joy poussa un soupir de découragement et éteignit la télévision.
"Comprends rien! Annonça-t-elle en haussant les épaules. Alors c'est ça que tu fais de tes journées à l'hôpital? Tu regardes des soaps?
- J'en avais jamais vu de ma vie! Entre ma jeunesse au Monastère, ma vie de vagabondage et mes responsabilités au Groupe W, c'est un passage obligé de la culture américaine que j'ai toujours été obligé de sauter...
- Bien t'en a pris, mon pauvre Largo!"
Il haussa les épaules.
"Je n'ai rien de mieux à faire... Je prierais même presque pour que John me donne un tout petit contrat de rien du tout à étudier...
- Ouh... Heureusement que Kerensky ne peut pas entendre ta plainte capitaliste..."
Largo lui décocha un sourire ravageur. Elle frôla sa joue avec tendresse.
"Tu es encore tout pâle... Ca te ferait du bien de prendre l'air dans le parc...
- Je voudrais bien, mais je suis encore alité... De toute façon, dès que je bouge, je risque de perforer à nouveau mon poumon..."
Joy s'approcha un peu plus de lui et l'embrassa sur le front avant de le serrer contre elle.
"Je voudrais tellement faire quelque chose pour que tu ailles mieux...
- Tu viens de le faire, murmura-t-il, enivré par le parfum de sa garde du corps.
- Largo... protesta-t-elle tout en ne pouvant s'empêcher de sourire. Tu ne perdras donc jamais tes habitudes de séducteur?
- Ca dépend. C'est pour ça que tu m'as quitté?" Demanda-t-il très sérieusement.
Le visage de Joy se ferma.
"Tu sais bien que ce n'est pas si simple.
- Je sais, je sais.. Soupira-t-il. Mais Joy, on est passé à côté de quelque chose de grave... Et si jamais on n'avait plus de seconde chance?"
Joy tenta d'éviter son regard insistant.
"J'y ai beaucoup pensé moi aussi Largo. Ce qui compte pour moi, c'est que tu fasses partie de ma vie. Et s'il se passait quelque chose entre nous maintenant, ça se terminerait mal. Je le sens. Je préfère ne pas prendre de risque."
Elle desserra alors son étreinte et se réinstalla sur son fauteuil, près de son chevet. Largo poussa un profond soupir et se mit à admirer le plafond, songeur. Puis une infirmière arriva pour annoncer à Joy qu'on la demandait au téléphone. Elle s'y précipita et quelques instants après, elle franchit à nouveau le seuil de la chambre de Largo, l'air grave.
"C'était Kerensky. Milo Hynes est morte."
Elle se malaxa la nuque douloureusement de fatigue et plongea son regard dans celui de Largo.
"C'est fini." Souffla-t-elle.


FIN