DEUIL

par Little


Dans le froid et sous la pluie. J'assistais à l'enterrement d'un être cher. Charles Arden, un ancien agent de la CIA qui, à ma grande surprise, y travaillait toujours. On le surnommait " le fantôme " mais il était aussi mon père. L'homme qui avait fait passer sa carrière avant le reste, mais avec lequel je m'étais rapprochée ces derniers temps. Et le destin en avait décidé autrement. Il était mort d'une crise cardiaque et non dans une de ses missions suicides. Le comble pour un ex-agent qui côtoyait le danger tous les jours.

Le cimetière est paisible, quelques passants vont visiter des tombes, malgré le mauvais temps. Mon père voulait un enterrement simple, sans fioritures. Peu de personnes se sont déplacées. Il n'avait pas beaucoup d'amis mais ils sont tous là. Je suis venue pour lui dire un ultime adieu et essayer de tourner la page, mais la chose n'est pas si facile à faire. Je ne veux pas pleurer, je veux essayer de rester digne, malheureusement les larmes sont plus fortes que moi et je pleure doucement en silence.

Ma mère a fait le déplacement depuis l'Angleterre. Toujours égale à elle-même, élégante et digne. Elle ne pleure pas et ne verse même pas une simple larme. Son visage est impassible. Elle a pourtant été mariée à mon père pendant plusieurs années mais elle a refait sa vie maintenant. Elle s'est éloignée de moi, de ma vie et j'ai l'impression de ne plus vraiment la connaître. Je n'ai plus mon père et ma mère est presque redevenue une étrangère à mes yeux. Nous n'avons plus la complicité que nous avions lorsque j'étais plus jeune. C'est étrange, les rôles se sont inversés. Je me rapprochais de mon père et m'éloignais de ma mère.

Simon est là. Je souris en le regardant. Il s'est habillé avec un costume noir. Ce qui est assez rare connaissant son goût pour les couleurs vives. Il a voulu venir. Je ne voulais pas qu'il se déplace mais il a insisté. Je ne pouvais pas refuser de toutes façons, je n'ai plus de force. Je le considère un peu comme le frère que je n'ai jamais eu. Nous sommes assez complices même s'il ne peut pas s'empêcher de toujours me faire des réflexions. Il est assis à côté de ma cousine Sophie. Il n'a pas perdu le nord. Sacré Simon ! Je me rends compte qu'il est un des vrais rares amis que j'ai.

David, mon ex-mari n'est pas là. Ca m'aurait étonnée qu'il se déplace. Mon père ne l'appréciait guère et David était un peu effrayé à chaque fois qu'il rencontrait Charles. A une époque je pensais qu'ils étaient les deux hommes les plus importants de ma vie. Mais paradoxalement, je ne connaissais encore rien à la vie.

Kerensky, lui a préféré ne pas venir. Je peux le comprendre. Un ex-agent du KGB qui assiste à l'enterrement d'un ex-agent de la CIA ce n'est pas très commun. Simon a essayé de le convaincre de se déplacer pour moi. Mais il est resté sur ses positions. Pas parce qu'il ne voulait pas me soutenir mais il préférait éviter de me voir triste. Dans un sens il a eu raison.

Je sens que quelqu'un me serre la main. Je tourne la tête de l'autre côté et je vois Largo. Il est assis à côté de moi, me tient la main depuis le début de la cérémonie. Il me sourit tendrement et me caresse le dos de ma main. Il n'a pas voulu me laisser affronter cette épreuve toute seule. Il déteste les enterrements, déteste les cimetières, mais malgré cela, il est là pour moi. C'est ce qu'il m'a dit. Lui qui n'a jamais vraiment connu son père et qui en a souffert, il est là avec moi alors que ma relation avec mon père est tout l'inverse de celle qu'il a eu avec Nério.. Il me soutient depuis que j'ai appris la nouvelle du décès de Charles.

Nous étions en déplacement à Paris. Mon portable a sonné. Un appel d'un hôpital. Mon visage se ferme. Intérieurement je prie pour que ce ne soit pas lui. Une voix m'explique ce qui c'est passé. Je ne me suis pas écroulée mais je suis restée choquée pendant quelques instants. J'étais toute seule dans la rue, sous la pluie, je ne bougeais plus. C'était comme ci la terre s'était arrêtée de tourner. Puis, je suis rentrée doucement jusqu'au siège du Groupe. Arrivée dans les appartements, où nous logions, je me suis assise et les moments que j'ai partagé avec mon père me sont revenus. Beaucoup de souffrance et de douleur mais énormément d'amour en même temps.

Puis un peu plus tard, Largo et Simon sont rentrés d'une visite chez un nouveau partenaire financier. Ils m'ont trouvés assise, je n'avais même pas pris la peine d'enlever mon trench qui était trempé. Largo s'est rué vers moi. Il m'a demandé ce qu'il se passait et je ne pouvais plus rien dire. Mon père est mort. C'est pourtant simple à dire mais je ne pouvais pas y arriver, je ne réalisais pas que tout cela était vrai. Ils me dévisageaient et ne comprenaient pas. Puis j'ai réussi à prononcer quelques mots qui n'avaient pas beaucoup de sens mais ils avaient compris. Largo m'a pris dans ses bras et Simon n'arrivait pas à parler.

Et puis, j'ai écourté notre séjour parisien, voulant rentrer aux Etats-Unis. Les garçons ne voulaient pas me laisser rentrer seule. Le vol du retour dans le jet a été assez pénible pour moi. Rentrer chez moi, tout en sachant que je ne le verrais plus, que je ne pourrais plus jamais lui parler. J'avais encore tellement de choses à lui dire. Je m'étais installée dans une sorte de mutisme. Comme coupée du monde. Simon et Largo ne savaient plus trop comment réagir. Mais ils réussirent grâce à leur joie de vivre légendaire à me faire sourire et tout doucement ils me remontèrent le moral chacun leur tour.

Je suis alors rentrée à mon appartement. J'avais besoin de rester seule, le temps de souffler. Mais la solitude a commencée à me peser et je suis allée au Groupe, histoire de passer le temps. Sullivan m'a fait part de ses condoléances alors qu'il sortait d'une réunion avec Largo. Cela m'a beaucoup touché. J'ai toujours eu de très bon rapports avec John, je le considère un peu comme un membre de ma famille. L'enterrement devait se dérouler deux jours plus tard et on m'a demandé si je voulais voir le corps à la morgue. Ce n'est jamais agréable d'aller voir une personne proche morte, mais je me devais de le faire pour pouvoir commencer mon deuil.

Mon père est décédé chez lui, seul et c'est un agent avec qui il travaillait encore en étroite collaboration qui l'a découvert, quelques minutes après son décès. Il a été emmené à l'hôpital pour qu'ils déclarent sa mort. Il se trouvait donc à la morgue et je savais que personne n'était encore allé le voir. Je me suis forcée, moi qui ait l'habitude de côtoyer la mort assez souvent. Largo n'a pas voulu me laisser y aller toute seule. Il a souvent tendance à inverser les rôles en ce moment. J'ai volontiers accepté qu'il m'accompagne car je ne me serais pas sentie capable d'y aller toute seule.

Une pièce blanche, sans âme où régnait une odeur assez particulière. Une atmosphère assez glauque. Et il était là, sous un drap blanc. Il avait l'air d'être au calme. Son visage était serein. C'est alors que je me suis vraiment rendue compte de ce qui se passait. C'était la dernière rencontre que j'avais avec mon père. Largo se tenait en retrait et je n'arrivais pas à parler. J'aurais voulu lui dire encore quelques mots mais je n'arrivais à rien prononcer. Largo comprit, il s'approcha de moi, me serra dans ses bras et alors j'ai décidé qu'il était temps de partir. Ca ne servait à rien de rester là trop longtemps. Je ne voulais pas que cette image reste gravée dans mon esprit.

Cela fait trois jours qu'il est décédé et je commence à me faire à l'idée qu'il ne sera plus là. Il fera toujours partie de ma vie. Même si nos relations n'étaient pas comme celles d'un père et d'une fille, il a beaucoup compté dans ma vie. Et je sais aujourd'hui que j'ai trouvé une vraie famille sur laquelle je peux compter.

Simon est un peu comme mon frère, il arrive toujours à ma faire rire et s'amuse de tout et de rien. Kerensky, je crois que je peux vraiment avoir confiance en lui. Tout nous opposait mais nous sommes finalement devenus amis. Lorsque l'on fait un métier comme le mien, on a peu d'amis. Et généralement à cause des risques du métier, ces derniers nous quittent assez tôt. Donc on se retrouve souvent seule. Mais aujourd'hui je sais que je ne le suis plus. Largo, quant à lui, est, je pense, l'homme de ma vie, mais il ne le sait pas encore. Le fait d'avoir perdu mon père m'a permis de me rendre compte que la vie est trop courte et que je devais en profiter. A quoi bon se cacher derrière des principes qui vous font souffrir alors que le bonheur est à portée de main. Dès que tout cela sera fini, c'est décidé, je prendrais ma vie en main.
La cérémonie va se terminer dans quelques instants et la vie va continuer. Sans lui . Mais il le faut bien, de toute façon.

FIN