Deuil suite

par Little

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Une nouvelle vie commence. Plus de reproches, plus de souffrances, plus de père qui essaie de gérer et contrôler la vie de sa fille. Plus de stupides principes qui vous empêchent de vivre. Plus de tout ça. Maintenant c'est à moi de prendre ma vie en main. Je dois savoir ce que je veux, ce que je ne veux pas et vivre. Vivre tout simplement, c'est facile à dire. Mais je vais essayer de faire tout ce dont j'ai toujours rêvé.

La cérémonie s'est terminée il y a quelques minutes. Il est temps pour moi de quitter ce cimetière. Trop macabre comme ambiance. Ma mère ne veut pas rester, elle doit repartir, soi-disant parce qu'elle ne peut pas s'absenter plus longtemps au British Museum de Londres. Elle y travaille en tant que conservatrice des œuvres européennes du 18e siècle. Très pompeux comme titre. Je sais qu'elle n'est pas à l'aise. Elle n'a pas envie d'avoir une discussion profonde avec moi, je peux le comprendre. Je lui souhaite un bon retour chez elle et elle me promet de me téléphoner de temps en temps pour que l'on reste en contact. Enfin c'est ma mère. Tout un poème.

Largo me demande si on peut rentrer au Groupe. Je ne veux pas rester seule de toutes façons. J'accepte volontiers. Simon quitte ma cousine Sophie avec regret mais elle a l'air d'avoir un petit faible pour lui et ils se reverront certainement. Ca me fait sourire. Sans cela Simon ne serait plus Simon.

Le trajet du retour se fait dans le calme et le silence. La pluie n'a pas cessé. D'habitude la famille se réunit après un enterrement, mais ma famille n'est pas de ce genre là. Trop différente. Enfin, ce n'est pas le moment d'épiloguer sur eux. Et de toutes façons je n'ai point envie d'en parler.

Retourner au Groupe W, essayer de reprendre le travail, c'est ce qui m'attend. Largo va sûrement avoir à se déplacer dans peu de temps. Son statut de milliardaire l'y oblige, même si ça ne l'enchante guère. Il faudra que je sois professionnelle jusqu'au bout des ongles. Mais pour l'instant je ne m'en sens pas la force. La limousine s'arrête, preuve que nous sommes arrivés.

Il me propose de venir me reposer dans son appartement. Apparemment, je n'ai pas bonne mine. Je suis fatiguée, fatiguée de ressasser des idées noires dans ma tête, fatiguée de toujours penser au passé et à ce que ma vie aurait pu être sans cette éducation à la dure. Mais sans cela, je n'aurais jamais rencontré Largo et je n'aurais jamais eu le bonheur de trouver des amis comme le sont Simon et Kerensky.

Le ciel est lourd, de gros nuages sombres se dessinent à l'horizon. New York est sombre et cela en devient presque effrayant. L'appartement est plongé dans la pénombre. J'ôte ma veste en cuir noir et je m'assoie sur le canapé. Simon, mal à l'aise n'est pas resté avec nous. Il a décidé d'aller se changer les idées. Il a bien fait, j'aimerais avoir la possibilité de le faire aussi.

Largo allume la lampe qui est posée sur son bureau. Un faible halo de lumière se répand dans la pièce. C'est beaucoup plus agréable ainsi. La pénombre n'est pas la meilleure alliée pour positiver. Je voudrais tellement faire quelque chose pour ne plus penser à rien mais je n'en ai pas la force. On dirait qu'un rouleau compresseur m'est passé sur le corps. Je suis dans un état comparable à celui dans lequel j'étais à Montréal. Incapable de bouger, incapable de prononcer un mot, même un son. Je hais Montréal. Il y a là-bas trop de mauvais souvenirs, Donovan et sa brillante idée de m'enlever et cette fameuse balle destinée à Largo qui est passé tellement près de mon cœur que j'aurais pu mourir sur place.

Pourquoi est-ce que je pense à tout cela ? J'ai vraiment envie de me faire du mal ou quoi ?

Il vient s'asseoir auprès de moi. Replace derrière mon oreille la mèche qui venait de tomber sur mon visage. Je le regarde faire et le remercie pour tout ce qu'il a fait pour moi ces derniers jours. Il sourit, ne dit rien et me prends dans ses bras et me berce doucement. Une sensation de bien être m'envahit et je me sens à nouveau renaître.

Un rayon de soleil posé sur mon visage me ramène à la réalité. Je me réveille en douceur. Je ne reconnais pas ma chambre, pas mon lit. Ah, oui je me souviens. Je suis au Groupe. Les draps embaument le parfum de Largo. J'ai du m'endormir hier dans l'après midi et il a sûrement du me porter jusque dans son lit pour que je continue mon sommeil. Une délicate attention. Ca faisait quatre jours que je n'arrivais pas à m'endormir. J'ai finalement passé une bonne nuit. Enfin j'ai quand même connu mieux. Mais on ne va pas s'en plaindre.

Je me lève, passe un pull qui traînait sur une chaise et décide d'aller dans le salon voir ce qu'il fait. Il est assis dans son fauteuil, tourné vers la ville. Il ne me voit pas. Il est au téléphone, à mon avis avec John, il ne parle pas fort, sûrement pour ne pas me réveiller. J'ai de la chance de l'avoir auprès de moi. Alors que je suis perdue dans mes pensées, il raccroche, se retourne et reste surpris de me voir déjà réveillé.

A ma vue, il se met à rire. J'ai les cheveux en bataille. Je ne dois pas être super sexy. Il me dit qu'il préfère me voir ainsi plutôt qu'avec les énormes cernes que je traînais depuis quelques jours. Je souris également. Ca ne m'étais pas arrivé depuis le décès de mon père. Je recommence à vivre, grâce à lui. Une bonne odeur de café se répand dans la pièce et je me délecte d'un vrai expresso italien.

New York a perdu son inquiétante couche de nuages de la veille. Une faible brise faufile entre les buildings. Une belle journée d'hiver en perspective. Largo doit se rendre à une importante réunion avec un nouveau partenaire financier hongkongais. Il me permet de rester chez lui en son absence et me fait promettre de ne pas déprimer. Comme si c'était devenu une habitude tant redoutée.

Je sens que je suis sur la bonne voie. Simon est là, avec moi et me raconte des histoires abracadabrantesques qui lui sont arrivées avant qu'il ne rencontre Largo. Il me fait hurler de rire. Il doit exagérer, je pense mais c'est adorable de sa part. Une bonne partie de la journée passe de cette manière. Je vous le conseille, c'est un très bon conteur d'histoires.

A son retour Largo me convie à une séance vidéo. Séance vidéo un peu particulière. Ma mère avait en sa possession des films vidéos tournés lorsque j'étais très jeune. Des films où je suis en compagnie de mon père. Elle me les a passés puisque j'en ai vraisemblablement besoin. Des films que je ne veux pas revoir. Pas encore. C'est trop tôt. Je lui explique que c'est au-dessus de mes forces, mais il me convainc que je dois le faire. De cette manière, je pourrais exorciser cette image diabolique que j'ai de lui.

Je dois avoir environ quatre ou cinq ans. Je suis dans le jardin de la maison que l'on avait dans le centre de Washington. Mon père me court après et veut m'attraper et j'essaye par tous les moyens de lui échapper. Une scène de bonheur et d'insouciance. J'avais oublié qu'il pouvait également être ainsi. Le film dure une vingtaine de minutes, pleines de vie, pleines de joie de vivre. Largo se moque de la coupe de cheveux que j'avais à l'époque. Ma robe n'est pas mieux non plus, rose bonbon, très ridicule. Il n'arrête pas de rire.

Je sais que maintenant je n'aurais plus la même image de mon père lorsque je penserais à lui. Cela m'a fait du bien de retourner dans le passé. Je peux enfin faire la paix avec moi-même.

La nuit vient de se poser sur la ville. Il est temps pour moi de rentrer chez moi, dans mon appartement. De reprendre mes marques. Je dois le faire. Je ne peux pas rester éternellement chez Largo. La situation ne me déplait pas, au contraire, mais je ne veux pas abuser, après tout ce qu'il vient de faire pour moi, ces derniers jours.

Je reprends mes affaires et termine de faire mon sac. Il est assis sur son bureau. Il réfléchit. Je le rejoins et pose mon sac devant la porte. Je me retourne en sa direction, me rapproche et m'arrête à quelques centimètres de lui. Un sourire illumine mon visage. Je le remercie de tout mon cœur et de toute mon âme, sachant que j'en fais trop mais il a été vraiment incroyable avec moi.

Il me dit de me taire et que je n'ai pas besoin de tant en faire. Il a tout simplement fait ce qu'il avait à faire. Il me prend les mains et me demande s'il faut vraiment que je parte. Je ne peux pas rester chez lui toute ma vie. Pourquoi pas ? Ces mots, tant attendus ont enfin étés prononcés par Largo. Serait-ce une vraie proposition ? Apparemment il est sérieux et il ne regrette pas ce qu'il vient de dire.

Je ne sais plus où je suis, ce qui se passe autour de moi. Tout se résume à Largo, qui se tient en face de moi, qui ne veut plus me lâcher les mains et qui me regarde dans le blanc des yeux, espérant une réponse. La réponse tant attendue finit par venir, quelques instants plus tard et elle fut reçue par un très grand sourire de sa part.

Il se résolut à me lâcher les mains mais en contre partie me prit dans ses bras et ne me lâcha plus. Je finis la soirée d'une manière extrêmement agréable. Pas la peine de vous faire un dessin. Et je pense que le reste de ma vie ne me décevra pas. Pas cette fois en tout cas.

Fin