HAPPY CHRISTMAS, JOY !!!

 

Auteur : Helen

Disclaimer : Ils ne sont pas à moi… Je ne fais ça que pour mon plaisir personnel sadique…

NDLA : Encore un délire. Je sais, ça fait beaucoup pour le moment… Mais prochaine résolution pour l'année à venir : j'arrête (vous remarquerez que ça n'engage à rien).

***

Gare routière de New York
Zone Est
24 Décembre
19 h

La jeune femme brune était assise sur un des bancs de la gare routière. Elle avait à côté d'elle un sac de voyage sur lequel elle posait parfois un regard distrait. Le sac de voyage en question devait cependant coûter extrêmement cher. Les motifs à carreaux qui le tapissaient laissaient même entrevoir sa provenance : un des magasins les plus chics et les plus chers de New York. Il s'agissait donc d'un bien de grande valeur. Mais sa propriétaire ne semblait pas s'en préoccuper le moins du monde. Elle avait les yeux fixés sur la neige qui tombait à gros flocons sur la ville. Une neige froide et résistante, véritable appel aux jeux des enfants. Les petits cristaux soyeux chutaient du ciel et dansaient sous les yeux des voyageurs rejoignaient leurs semblables sur le sol gelé et bétonné de la ville. Ensemble, ils formaient un doux tapis que venaient mordre les pneus des voitures qui passaient par-là. A chaque fois que le doux ronronnement d'un moteur se faisait entendre, les quelques voyageurs qui patientaient dans le froid tournaient la tête dans la direction du bruit. Presque tous espéraient que le car arriverait bientôt car presque tous étaient avides de se réchauffer. Mais, la jeune femme brune, elle, ne bougeait pas, ne tournait pas la tête comme le faisaient les autres. Indifférente à ce qui l'entourait, elle gardait les yeux fixés sur la neige qui tombait. La voyait-elle seulement ? Ses yeux noisette étaient fixes et embrumés. Une aura de tristesse de dégageait de cette jeune femme pourtant si attirante. Chacun des trois hommes et des cinq femmes qui se trouvaient là en cette veille de Noël l'avait à son tour dévisagé, tentant vainement de percer le secret de ses yeux sombres et de son visage fermé. En vain. Elle avait ignoré les regards et les quelques mots qui avaient été prononcés à son attention. Elle avait également ignoré les remarques désobligeantes sur son attitude. Elle s'en moquait, elle était ailleurs. Un homme arriva. Il portait l'uniforme des employés de la gare routière. Un stupide costume vert et bleu qui ne le mettait vraiment pas à son avantage. Tout en avançant vers le groupe de personnes, il soufflait sur ses mains pour les réchauffer, l'air qu'il expulsait formant une vapeur blanche autour de son visage. Ses lèvres étaient violacées et il semblait extrêmement gêné. Il s'arrêta devant le groupe et d'une voix qui se voulait assurée, mais qui ne l'était pas, déclara, tout en se dandinant d'un pied sur l'autre :

- Il n'y aura pas de car ce soir, mesdames, messieurs. Les routes sont bloquées au nord de l'Etat. Le prochain passera à huit heures demain matin. Si la situation s'arrange, ajouta-t-il rapidement, comme s'il craignait de promettre quelque chose qu'il ne pourrait pas tenir.

Et il rebroussa chemin rapidement, volontairement sourd aux grondements de la petite assemblée qui voyait ses espoirs réduits à néant. Ils avaient tous attendus très longtemps et espéraient tous pouvoir partir le soir même. Dans l'animation de la discussion qui s'ensuivit au sujet de l'incompétence des entreprises routières, personne ne remarqua que la jeune femme s'était levée, avait attrapé son sac et était partie. Lorsque quelqu'un remarqua qu'elle s'en était allée, elle n'était plus qu'un petit point noir dans la brume blanche.


Hôtel Le Majestic
20h

Le réceptionniste de l'hôtel téléphonait à sa petite amie pour lui expliquer qu'il ne pourrait malheureusement pas venir déguster le petit plat qu'elle lui avait amoureusement concocté. En effet, une des personnes du service de nuit avait été déclarée malade et ne pourrait pas assurer son travail. Il avait été désigné pour la remplacer. Qu'il fut d'accord ou pas ne changeait rien au problème ni au fait qu'il soit d'astreinte le soir du réveillon. En cette période de crise économique, un travail était un travail et s'il avait seulement émis une protestation, le patron lui aurait sûrement fait remarquer que les rues étaient pleines de jeunes gens prêts à faire ce sacrifice. Voilà ce que le jeune réceptionniste de l'hôtel tentait désespérément de faire comprendre à sa dulcinée qui ne semblait pas l'entendre de la même oreille que lui. Quelque chose attira son attention. Le tintement d'une clochette. Quelqu'un venait de pousser la porte d'entrée. Il bredouilla un vague " Je te rappelle " à l'attention de son amie et raccrocha le combiné. Il afficha un sourire de circonstance, le genre de grimace qui semblait collé au visage de celui qui souriait. Une poignée de secondes plus tard, il vit paraître devant lui une apparition fantomatique. Il détailla surpris les traits de l'arrivante. Une jolie jeune femme aux traits extrêmement pâles. Son teint aurait même pu paraître livide si ses joues n'étaient pas rosies par le froid ardent. Ses lèvres incarnat étaient serrées en une moue boudeuse et charmante. Ses yeux étaient ce qui retenait le plus l'attention : tristes et beaux, leur couleur sombre contrastait avec son teint exsangue. Les flocons de neige qui fondaient dans ses cheveux châtains coupés courts semblaient autant de petites pierres précieuses. Mais malgré la fatigue de ses traits et la tristesse de ses yeux, cette femme restait d'une beauté incroyable. Une véritable apparition qui fit oublier au jeune réceptionniste tous ses griefs contre son patron. La jeune femme, mal à l'aise devant son regard scrutateur, émit un léger toussotement qui fit prendre conscience au jeune homme qu'il la fixait de manière fort impolie. Bégayant légèrement, il s'enquit de ce qu'elle désirait.

- Une chambre pour cette nuit…

La voix était douce et mélodieuse. Contrairement à de nombreuses femmes magnifiques qui perdaient une partie de leur charme quand elles ouvraient la bouche, celle-ci possédait un timbre chaud et sensuel qui charmait son interlocuteur aussi sûrement que son regard mystérieux. Le jeune homme fit mine de chercher dans ses dossiers. Il releva les yeux et croisa le regard triste de l'inconnue.

- Il nous reste une chambre. Elle est à 150$ la nuit. Vous désirez la prendre ?
- Oui…
- Je vais vous demander vos papiers, s'il vous plait.

Elle sembla hésiter un court instant. Puis elle plongea la main dans la poche arrière de son jean et en tira un passeport qu'elle lui tendit. Il le posa dans un tiroir et lui annonça :

- Vous le récupérerez demain matin en même temps que vous réglerez la note. Je vais vous accompagner jusqu'à votre chambre…
- Ce n'est pas la peine. Indiquez-moi le chemin, ce sera suffisant.

La voix était toujours aussi mélodieuse, mais une autorité insoupçonnée perçait désormais. Une autorité telle que le jeune réceptionniste n'eut pas envie de protester, bien que ceci fut contraire au règlement de l'établissement. Quand la jeune femme s'éloigna, portant son sac de voyage à bout de bras, il ne la quitta pas du regard. Il avait l'étrange impression de l'avoir déjà vu quelque part. Mais où ? Il s'installa devant la petite télévision située derrière le comptoir et commença à regarder une émission extrêmement populaire de télé-réalité. Mais l'image de la jeune femme le taraudait. Ses yeux tristes et son visage fin revenaient sans cesse à lui. Qui était-elle ? Il ouvrit d'un geste impatient le tiroir qui contenait le passeport de la jeune inconnue. Il s'en empara et l'ouvrit à la première page. Le visage de la jeune femme lui sauta aux yeux. C'étaient bien les mêmes yeux, la même bouche sur la photo, mais elle rayonnait sur l'image. Pas de tristesse sur cette photo, bien au contraire, une grande joie semblait s'en dégager. Il chercha son nom. Quand il le trouva enfin, il en resta bouche bée. Son regard se porta involontairement sur l'escalier où avait disparu l'inconnue, comme s'il s'attendait à la voir paraître. Cette jeune femme, il la connaissait. Pas personnellement, mais comme tout un chacun à New York depuis quatre ans, il l'avait aperçue, faisant la une d'un magazine ou apparaissant lors de flashs télévisés aux côtés de son époux milliardaire. Cette jeune femme était la femme d'un homme qui n'avait pas les mêmes fins de mois que lui. Il regarda à nouveau cet escalier, une question lancinante à l'esprit : Que faisait Joy Winch dans cet hôtel la nuit de Noël ?

Chambre de Joy
5 mn plus tard

Joy ouvrit la porte de sa chambre avec d'infinies précautions. Au fond d'elle-même, elle était on ne peut plus consciente du fait qu'elle ne risquait pas grand'chose, mais on ne se débarrassait pas comme cela de longues années d'habitude. Elle referma la porte à clé derrière elle et laissa choir son sac sur le sol. Elle jeta un coup d'œil circulaire à la chambre, tentant de s'approprier mentalement les lieux. Au centre de la pièce, un lourd lit en bois de chêne deux places prenaient une grande partie de la place. Son couvre-lit épais chatoyait sous la lumière, dévoilant de chauds reflets rouges, qui donnaient à cette pièce de passage un aspect intime. Contre un mur, une commode. En face de la commode, faisant face au lit, une grande télévision, posée sur un meuble, lui aussi en bois. Joy avait suffisamment fréquenté ce genre d'hôtel avec Largo pour savoir que si elle allumait la télévision, elle aurait à sa disposition près de cent cinquante chaînes ou que si elle appuyait sur le petit bouton dissimulé derrière la tête du lit, un garçon d'étage se présenterait pour pourvoir à ses besoins. Mais, au fond, elle s'en moquait. Cet hôtel était l'un des meilleurs de cette partie de la ville, mais un hôtel de troisième zone aurait amplement suffi. Elle n'avait plus goût à rien. Elle aurait certes pu s'étaler lamentablement devant une télévision qui ne l'intéressait en rien, ou commander des plats auxquels elle ne toucherait pas. Mais non… Elle restait debout, au centre de la pièce, indécise. Finalement, elle opta pour une douche chaude, qui, elle l'espérait, la réconforterait.


Chambre de Joy
Dans la nuit

Joy se leva, étouffant un soupir, et jeta un coup d'œil au réveil posé sur la commode. Les lettres vertes fluorescentes illuminaient la pièce et l'irradiaient d'une ombre verte inquiétante. 2h30. Joyeux Noël. Mais à qui souhaiter un joyeux Noël ? Elle était seule dans cette chambre d'hôtel, sans personne à qui se confier. Elle se laissa retomber sur son lit. Elle n'arrivait décidément pas à dormir. Cela faisait maintenant quatre heures qu'elle s'était étendue après avoir contemplé la nuit noire, pendant des heures, à sa fenêtre, tournant et retournant d'amères pensées dans sa tête. Quatre heures qu'elle cherchait en vain un sommeil qui la fuyait inexorablement. Dans un brusque mouvement d'humeur, Joy rejeta les draps et se leva. En colère contre qui ? Contre quoi ? Elle-même n'aurait su le dire. Elle se sentait énervée et lasse. Si lasse… Il lui semblait qu'elle n'avait pas dormi depuis très très longtemps. Depuis six mois, en réalité. Depuis que Simon… Elle secoua la tête, tentant de rejeter au loin les sombres pensées qui l'assaillaient. Elle s'approcha de la fenêtre qu'elle ouvrit en grand et attrapa son sac. Elle en sortit un paquet de cigarettes et un briquet. L'espace d'un instant, la pièce changea de couleur quand elle fit surgir la flamme de son briquet. Un nouveau monde se dessinait, fait d'ombres et de lumières, de formes fantasmagoriques qui se mouvaient en silence. Mais brusquement, tout disparut et seul subsista, dans la profondeur de l'ombre, la rougeur incandescente du bout de sa cigarette. La jeune femme aspira lentement la fumée âcre et doucereuse, emplissant ses poumons avec honte et volupté mêlées. Elle se sentait si bien, cela faisait si longtemps qu'elle ne s'était pas sentie si bien. Elle reprit une nouvelle bouffée de sa cigarette et se laissa porter par une nouvelle vague de bien-être. Puis, elle regarda, prise dans un tourbillon honteux, sa cigarette se consumer lentement, la braise remontant doucement vers ses doigts. Elle la jeta au loin, regardant cette petite lumière rouge, s'écraser et s'éteindre dans l'humidité de la neige. Elle ne pouvait pas se remettre à fumer. Ce serait un aveu de faiblesse, ce n'était qu'un substitut de solution. Et puis, elle avait eu tant de mal à s'arrêter quand elle était jeune. Un sourire lui vint aux lèvres quand elle songea à cette période de sa vie. Quel âge avait-elle alors ? Quinze ans ? Seize ans ? Cette année-là, son père était parti en mission de longue durée à l'étranger, la laissant seule, livrée à ses instincts, sous la seule surveillance d'une voisine qui avait d'autres chats à fouetter. Elle avait mis cette année de liberté à profit, se faisant de nouveaux amis, sortant, buvant, fumant, faisant tout cela avec l'excès qui caractérise ceux qui ont été pendant longtemps privé de liberté. Mais quand son père était revenu, elle avait dû rentrer à nouveau dans le rang, redevenir le bon soldat qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être. C'était à ce moment-là que ses chaînes étaient devenues très lourdes à porter : le goût de la liberté ne s'oubliait pas si facilement.

Joy referma la fenêtre, elle ne devait pas se laisser aller. Surtout pas. Elle devait être forte. Elle regarda à nouveau le réveil. Elle savait qu'il était vain d'espérer pouvoir dormir. Elle s'assit donc en face de la télévision et l'alluma au hasard. Voyant que le programme ne lui convenait pas, elle zappa et zappa encore, puis encore. Partout des programmes consacrés à la naissance de l'enfant Jésus. Des Pères Noël en pagaille, des lutins verts à la pelle, des chants chrétiens à la louche. Même sur la chaîne destinée à un public adulte et averti, les petits strings rouges à bordures blanches étaient de sortie. Joy éteignit avec rage la télévision. Elle détestait Noël. Tant de mauvais souvenirs étaient liés à cette période. Elle ne se rappelait pas les réveillons passés avec sa mère, elle était beaucoup trop jeune. Quand elle était morte, son père n'avait pas jugé nécessaire de poursuivre la tradition et avait purement et simplement rayé cette fête de son calendrier. Ce jour-là, comme tous les autres, les entraînements étaient de mise. Plus tard, quand elle était entrée à la CIA, elle passait les fêtes soit seule chez elle à ruminer de sombres idées et de malheureux souvenirs, soit en mission d'infiltration. Bref, jamais rien de très reluisant. Puis elle avait quitté la CIA et était entrée au Groupe W. Là, elle avait été chargée de la surveillance rapprochée de Nério, lequel avait la fâcheuse tendance à passer ses réveillons dans des galas. Elle devait, alors, bien entendu, assurer sa protection. Elle ne put s'empêcher de sourire au souvenir des longues heures passées immobile à attendre et à surveiller son milliardaire de patron. Largo avait peut-être de nombreux défauts, mais, au moins, il n'était pas assidu à ce genre de manifestations. Puis, tout avait changé, du moins, elle le croyait. Elle avait rencontré les membres de l'Intel Unit, elle s'était fait des amis. Alors sa vie lui avait semblé moins vaine, plus remplie. Elle avait passé les fêtes à rire avec eux et avait compris la signification du mot fête. Elle s'était alors sentie heureuse pour la première fois de sa vie. Et puis, il y avait eu Largo. Son Largo, son amour. Aujourd'hui encore, elle l'appelait ainsi. Ils avaient flirté pendant un bon bout de temps, se cherchant, se fuyant, se dérobant l'un à l'autre. Puis, un jour de Noël, il lui avait offert l'un des plus beaux cadeaux qu'on lui avait jamais faits. Il lui avait demandé de l'épouser. Elle revoyait encore la table dressée pour deux dans le Penthouse, les bougies qui scintillaient, le sapin vert immense et magnifiquement décoré. Elle revoyait encore les yeux bleu de Largo briller alors qu'il avait posé un genou à terre, elle sentait à nouveau ses larmes de joie couler sur ses joues quand elle lui avait répondu " oui ". Elle percevait encore la chaleur de son corps contre le sien quand ils avaient fait l'amour passionnément, elle vivait encore ce moment intense comme s'il s'était déroulé hier et non pas il y a quatre ans. Tout avait été si parfait, la cérémonie, les premières années de leur mariage. Simon avait pris la désagréable habitude de leur demander quand il deviendrait parrain de leur premier enfant et il riait de voir le feu lui monter aux joues. Un enfant… Un enfant de Largo. Elle en avait rêvé. Elle aurait tellement aimé pouvoir connaître les joies de la maternité avec lui. Mais avec quelques années de recul, elle comprenait désormais que cela aurait été une grave erreur. Mais qui aurait pu le deviner, qui aurait pu le savoir ? Elle ? Lui ? Leurs amis ? Non… Personne n'avait vu les nuages arriver, personne n'aurait pu seulement croire à cette fin. Les premiers temps avaient été tellement…idylliques. Leur vie commune lui apparaissait encore comme un sourire fabuleux, comme une ode à l'amour. Les voyages secrets, les petits cadeaux qu'il lui faisait sans cesse, les mots d'amour qu'il lui murmurait au creux de l'oreille, l'attention qu'il mettait à ce que son travail n'empiète pas sur leur vie de couple. Joy sentit son cœur se serrer à ces évocations. Un sanglot douloureux lui prit la gorge. Elle se mordit les lèvres pour retenir les larmes qui lui montaient aux yeux. Où et quand avaient-ils commis une erreur ? Pourquoi ? Cette introspection était douloureuse, mais elle devait aller jusqu'au bout. Pour comprendre, accepter et tourner la page. Une voiture qui passa dehors dans un grand bruit de moteur et klaxonna la fit sursauter.

Oui. Tout était si bien, mais tout s'était gâté avec… Avec… Elle devait parvenir à le dire. Avec la mort de Simon. Largo avait prêté sa voiture au Suisse, prix d'un pari stupide entre les deux amis. Joy revoyait encore Simon faire le pitre devant son meilleur ami. Il était si heureux, il avait rendez-vous avec un mannequin qu'il poursuivait de ses assiduités depuis près d'une semaine. La vie lui semblait si belle. Mais la mort vous guette là où on ne l'attend pas. La voiture avait explosé. Quand Simon avait mis le contact, le parking du Groupe W s'était illuminé d'une belle gerbe incandescente. L'explosion avait ébranlé une partie du bâtiment et Simon, son grand frère, était mort. Joy n'oublierait jamais le regard de Largo à l'enterrement. Dur, impénétrable, même pour elle qui le connaissait si bien. Ce jour-là, elle n'avait pas compris qu'une partie de Largo était morte en même temps que Simon. Le milliardaire s'était refermé sur lui-même, plus sûrement que l'aurait fait une huître dans sa coquille. Il avait repoussé l'amour et l'affection de ses amis, de John, du Père Maurice. Il l'avait repoussée, elle. Au départ, elle avait compris qu'il avait besoin de solitude pour faire le point, pour repartir à zéro. Au départ, elle avait cru que son Largo reviendrait. Mais elle s'était trompée. Le Largo qu'elle connaissait avait disparu et une nouvelle facette de son époux lui était apparue, facette jusqu'alors inconnue. Un Largo cynique, dur, qui ne croyait plus en rien. Il avait balancé aux orties tout ce en quoi il avait cru : Adieu les beaux idéaux ! Adieu les belles promesses ! Il était devenu comme tous les autres requins des finances, délaissant l'homme pour ne s'intéresser qu'au profit. C'est à ce moment là que Joy avait cessé de l'admirer. Peut-être était-ce là que leur couple avait vraiment perdu toute raison d'être. Quand on commence à mépriser les actes de celui qu'on aime, peut-on encore parler d'amour ? La première faille, donc. Mais pas la dernière. Tout s'était enchaîné si vite. Les mots durs qu'on regrettait aussitôt qu'on les prononce et qui creusaient lentement et sûrement le fossé qui allait vite les séparer. Un fossé, un gouffre. Voilà ce qui peu à peu s'était installé entre eux. Ils n'échangeaient même plus un regard sincère. Au fond, ils ne se détestaient pas, non, ils avaient tout simplement cessé de s'aimer. Il n'y avait pas d'amour, il n'y avait pas de haine, juste l'indifférence et la douleur de l'échec. Car c'était ça qui les derniers temps les gardait ensemble. Au début, ils avaient continué à faire l'amour, plus pour se donner le change que par réelle passion. Mais, le temps s'écoulant, leurs étreintes s'étaient faites plus rares et pour finir, ils ne se touchaient même plus, se contentant de partager le même lit comme deux vieux compagnons de route.

Kerenski, lui, n'avait pas eu la même patience que Joy. Peut-être parce qu'au fond, il avait déjà compris que Largo ne redeviendrait jamais celui qu'ils avaient connu et aimé. Le Russe savait toutes les craintes de Joy et ses désillusions sans que, pourtant, elle lui ait jamais rien confié. Il lisait en elle comme à cœur ouvert. Mais, lui, n'avait pas la même pudeur, ni le même attachement envers Largo. Un jour, il avait pris à parti le milliardaire et lui avait reproché sa conduite. Il n'avait pas pris de gants, cela n'avait jamais été son genre de mâcher ses mots. Largo avait répliqué qu'il était le seul patron ici et que ses employés n'avaient pas leurs mots à dire sur la manière dont il gérait son entreprise. Comme c'était à prévoir, le Russe était parti, refusant de voir en cet homme insensible et obtus celui qu'il avait appelé son ami. Il avait fait ses adieux à Joy rapidement. Ni l'un ni l'autre n'était habitué à ce genre d'effusions. La scène avait sobre : Après une étreinte fugace, Kerenski avait caressé la joue de son ancienne collègue et lui avait souhaité beaucoup de force et de courage. Il savait qu'elle allait en avoir besoin. Elle se retrouvait isolé au sein de ce bâtiment, de cette immense tour, à nouveau prisonnière d'une cage, de sa cage intérieure. Sa vie s'était poursuivie. Le froid s'était fait intense et la neige était apparue. Un grand sapin trônait à nouveau dans le Penthouse, décoré avec goût. Mais, ce sapin apparaissait à Joy comme un mensonge, comme le rappel de la trahison de ses sentiments. Il était aussi beau que leur premier sapin, mais il lui manquait la chaleur de leur amour. Alors, quand Largo lui avait annoncé qu'il passerait le réveillon avec des investisseurs en Italie et qu'il irait seul, elle n'avait pas protesté. Quand il l'avait regardé, ses yeux bleus n'exprimaient rien de ce qu'elle était en droit d'attendre. Plus d'amour, plus de chaleur, juste la force de l'habitude. Enfin, elle avait compris que leur amour n'existait plus, qu'il s'était éteint avec Simon. Il n'y avait pas de larmes, pas de cris, pas de regrets, juste l'amertume de ne pas avoir su garder sa chance. Il était parti, le soir, la laissant seule dans ce grand appartement vide. La scène avait comme un goût de déjà-vu, de recommencement. Comme toujours, elle était seule. Son passé, son avenir s'inscrivaient dans la solitude. Alors, elle avait attrapé une valise, rangé rapidement quelques affaires et elle était partie, laissant derrière elle une lettre qui expliquait à Largo qu'ils vivraient mieux séparés que dans le mensonge, qu'elle ne savait pas où elle allait, mais que quand elle le saurait, elle lui dirait où la joindre. Sur cette lettre qu'elle avait posée sur son bureau, elle avait déposé ses clés. Elle avait quitté la pièce sans se retourner, de peur que les sanglots la submergent. Mais ces sanglots qu'elle avait si difficilement retenus alors qu'elle quittait son mari, elle ne put les retenir à nouveau. Les larmes, douloureuses et difficiles, se mirent à couler et elle s'affala sur le lit, pleurant la mort de l'espoir qui l'avait quitté ce soir-là, l'espoir de sauvegarder son couple et de retrouver l'amour de son époux.


Gare routière de New York
25 décembre
8h00

Le chauffeur de car faisait vrombir son moteur, afin de le faire chauffer. Les températures étaient dignes d'un mois de décembre au Groenland. Il jeta un coup d'œil à sa montre. C'était l'heure. Il passa la première et jeta un coup d'œil au passager derrière lui. Une jeune femme brune retint son attention. Elle était belle et avait l'air triste. Son doux visage était fermé. Un coup frappé à la portière attira son attention. Un jeune homme d'une vingtaine d'années, avait failli raté son car. Il ouvrit les portières avant et lui fit signe de se dépêcher. Le petit brun s'empressa de monter et se confondit en remerciement. Il avisa une place à côté d'une jeune femme qu'il jugea très séduisante, bien qu'un peu trop âgée pour lui. Au moment de s'asseoir, alors qu'elle levait les yeux vers lui, il la salua avec un grand sourire et un retentissant " Joyeux Noël ". Il ne comprit pas pourquoi son regard eut un éclat si étrange quand elle lui répondit : " A vous aussi ". Il ne déchiffra pas plus l'intonation bizarre de sa voix. Il fut surpris. Pour lui, Noël était un jour où chacun sur la Terre se devait d'être heureux et en paix avec lui-même. Ce qui ne semblait pas être le cas de cette femme attirante et énigmatique. Mais qu'importe. Il avait tout le voyage pour percer ce mystère.

FIN.