Un doudou à Paris

par Raf

***

Le jour se levait sur la banlieue parisienne. Simon composa le numéro du digicode et poussa la porte. Il était épuisé, il avait travaillé toute la nuit. Il traversa la cour intérieure pour rejoindre le bâtiment du fond, puis grimpa l'escalier en bois en essayant de ne pas faire trop de bruit. Il atteignit le premier étage et, après avoir cherché dans ses poches pour trouver ses clés, il entra dans la pièce qui lui servait de " lieu de vie " depuis maintenant un peu plus de six mois. Des canettes vides, des cartons de pizzas, des serviettes en papiers avaient envahi tous les coins du petit studio qui était dans la pénombre. En effet, Simon ne prenait plus la peine d'ouvrir les doubles rideaux depuis longtemps. Il ne voulait plus voir la lueur du jour parce que cela lui rappelait la vie et lui, quelque part, était mort six mois auparavant. Il sourit brièvement en entendant la radio de l'appartement du dessus. Sa voisine devait être en train de se préparer pour une nouvelle journée de travail. Il avait eu l'occasion de la croiser une ou deux fois le soir alors qu'il partait travailler. Elle était venue s'installer dans l'immeuble à peine un mois auparavant. C'était une jeune femme, d'environ une trentaine d'années, qui avait décidé de quitter sa province pour tenter de se faire une vie meilleure dans la région parisienne. Simon laissa tomber sa canette dans la poubelle pleine et se coucha dans le lit défait, tout en sachant qu'il ne trouverait pas le sommeil. Il passa la main sur sa barbe de plusieurs jours et dans ses cheveux mi-longs. Il ne dormait plus depuis l'accident. Non, se corrigea-t-il, depuis que Joy avait faillit mourir par sa faute. NON, il ne fallait pas qu'il y pense mais les images revenaient comme une vengeance et des larmes coulèrent le long de ses joues.

***

Il avait été si heureux d'apprendre que Joy et Largo s'étaient enfin trouvés. Il avait aussi été jaloux en pensant que son ami, une fois casé, s'éloignerait de lui mais il n'en avait rien été, jusqu'à ce soir fatidique où sa vie et celle de l'Intel Unit avait basculée. Il pouvait encore sentir le parfum de Joy dans la voiture. Ils attendaient depuis près de 4 heures, dans un froid polaire, que l'un des sous-fifres de la Commission ne sorte de sa cachette pour aller rejoindre ses compagnons. Ils espéraient ainsi remonter la filière jusqu'aux dirigeants. C'était Simon qui en avait eu l'idée et, malgré l'opposition de Largo qui trouvait l'entreprise trop dangereuse, Joy avait tenu à l'accompagner. Ils avaient suivi l'homme jusqu'à des entrepôts abandonnés dans la vieille zone industrielle de New York. Ils s'étaient rendus compte trop tard que c'était un piège. L'explosion avait tout dévasté et détruit la vie d'une personne qu'il aimait. Cela avait aussi été le début de la fin de son amitié avec Largo. Ce que Simon ignorait, c'était que le milliardaire le soupçonnait d'être l'organisateur du vol à main armé, qui avait coûté la vie à un vigile dans les entrepôts new-yorkais du groupe W. Du matériel de grande valeur avait été dérobé ainsi que des plans concernant un nouvel appareil révolutionnaire de traitement des eaux usagées. De plus, une fouille de tous les bureaux et coffres avaient été ordonnée par Largo, pendant l'un des voyages de Simon à l'étranger, à la suite du décès par overdose d'un des collaborateurs de Cardignac. Ce qui avait été découvert dans le coffre du bureau de son meilleur ami avait achevé de convaincre le milliardaire, que celui qu'il considérait comme un frère, était retombé dans le pire de ses travers : La drogue. Une quantité suffisante pour intoxiquer la moitié du groupe W, et un carnet retraçant les transactions, les contacts et les acheteurs, le tout bien évidement codé, ainsi que de l'argent liquide avaient été confisqué par Largo et Kerensky, deux jours seulement avant l'explosion. Seule Joy, à la grande surprise du milliardaire, avait défendu le Suisse. Elle ne pouvait pas croire que celui-ci ait trahi sa famille. Elle avait vainement essayé de convaincre Largo de lui parler mais celui-ci voulait prendre Simon en flagrant délit. L'explosion avait achevé de convaincre le milliardaire de la culpabilité de son meilleur ami. Quand le Suisse était sorti de la salle d'urgence, où il avait été traité pour diverses brûlures et coupures, Largo l'avait plaqué contre le mur de la salle d'attente. Il avait laissé exploser sa rage. Il venait d'apprendre que Joy était enceinte et que, suite à la déflagration, elle avait perdu l'enfant. Il avait hurlé ses accusations et avait frappé le Suisse, avant de le relâcher. Celui-ci avait glissé le long du mur, le souffle coupé. Kerensky avait regardé la scène avec impassibilité mais dans ses yeux on pouvait presque lire de la haine. Simon avait alors tenté de s'expliquer mais Largo, trop aveuglé par la colère, n'avait rien voulu entendre. Il avait prononcé ces paroles qui résonnaient encore aux oreilles de Simon dès qu'il fermait les yeux. " Va-t-en ! Je ne veux plus te voir ! Oublie qu'un jour nous avons été amis ! Jamais je n'aurais dû faire confiance à un voleur et un drogué ! " Le silence était retombé, laissant Simon abasourdit. Il se leva péniblement, jeta un dernier regard sur son frère de cœur et sortit de sa vie définitivement. Il n'était repassé par le groupe W que pour prendre le sac à dos qu'il gardait toujours prêt et son passeport. Il savait que Kerensky ne le dénoncerait pas à la police mais Largo… Dans l'état dans lequel il se trouvait, il était capable de tout. Il avait pris l'argent qu'il gardait pour les cas d'urgence et avait disparu.

***

En arrivant à destination, il avait changé son nom, laissé pousser ses cheveux et tenté de refaire sa vie. Sa vie…. Il sourit amèrement à cette pensée. Il n'avait plus de vie, celle-ci s'était arrêtée dans la salle d'attente des urgences, à l'hôpital de la Pitié à New York. Il savait que Joy avait survécu mais elle gardait de lourdes séquelles qui seraient longues à être effacées. Il savait aussi que grâce à elle, Largo n'avait rien tenté contre lui. Depuis il avait coupé tout contact, effacé toute trace de son passage. Plus rien ne subsistait à part quelques photos rangées dans un vieil album et des souvenirs.

***

Un soir, en partant travailler, il croisa sa voisine dans la cour intérieure. Elle était chargée de plusieurs paquets qui avaient l'air assez lourds. Simon ne put s'empêcher de l'aider à monter ses courses jusqu'à son appartement. Elle lui sourit.

- Merci…
- Daniel, fit-il timidement.
- Daniel, répéta-t-elle doucement. Voulez-vous entrer boire un café ?
- Non merci, je dois aller travailler. Une autre fois, peut-être ?
- Oui pourquoi pas, fit-elle le cœur battant.

Elle n'avait pas remarqué, jusqu'à ce moment, combien il était attirant avec ses cheveux mi-longs et ses yeux tristes. Elle referma la porte et entendit ses pas s'éloigner dans l'escalier. Discrètement, elle le regarda traverser la cour intérieure et disparaître dans l'entrée. Elle soupira, cela faisait longtemps qu'elle n'avait rien ressentit de tel. Rafaela rangea ses provisions et prit une douche, avant de retrouver sa meilleure amie, par le biais du web, pour une soirée discussion qu'elles appréciaient tant. Plusieurs jours s'écoulèrent sans qu'elle ne le croise de nouveau. Matin et soir, quand elle passait devant sa porte, elle se demandait qui pouvait bien être ce voisin si mystérieux.

***

Un jour, alors qu'elle partait travailler plus tôt que d'habitude, elle se trouva nez à nez avec lui dans la petite entrée qui abritait les boites aux lettres. Il avait l'air perdu. Son visage était tuméfié, du sang coulait de son arcade sourcilière et de sa lèvre fendue. De plus, il se tenait les côtes comme si celles-ci le faisaient souffrir. Elle ne dit rien, prit son bras et le mit sur son épaule afin de l'aider à monter jusqu'à son appartement. Rafaela l'allongea dans le lit défait, avant de monter chez elle chercher sa trousse de secours. Quand elle redescendit, elle constata qu'il s'était endormi. Elle le soigna du mieux qu'elle put et regarda le capharnaüm qu'était la pièce. Elle fouilla dans un placard et trouva des sacs poubelles qu'elle s'empressa de remplir de tous les déchets qui traînaient un peu partout. Raf regarda autour d'elle, l'appartement commençait à ressembler à quelque chose de potable. Dans un autre sac, elle mit les vêtements qui traînaient sur les meubles, pour les laver un peu plus tard. Ensuite, elle posa sur le fauteuil près du lit des vêtements propres, signe pour son bel inconnu qu'il ferait bien de prendre une douche. Elle prit le temps de faire la vaisselle, bien qu'il n'en eut pas beaucoup. Elle secoua la tête. Qu'était-il arrivé à cet homme pour qu'il se laisse aller de la sorte ? Se demanda-t-elle. En remettant le reste des sacs poubelles sous l'évier, elle remarqua une petite boite en fer blanc. Elle avait toujours été curieuse de nature. Que pouvait-il bien y avoir dedans ? Elle hésita un instant mais sa curiosité fut la plus forte… Quand elle l'ouvrit, elle eut un mouvement de recul. A l'intérieur, se trouvait tout le nécessaire pour se faire de " belles piqûres " ainsi qu'un petit sachet remplit de poudre blanche et quelques ampoules emplies d'un liquide translucide. Elle remit la boîte à sa place et sortit de l'appartement sans faire de bruit. Elle monta chez elle, appela son employeur pour dire qu'elle ne se sentait pas bien et qu'elle serait absente toute la journée. Elle mit une machine à laver et se connecta à Internet pour parler à sa meilleure amie.

- Salut, tapa-t-elle sur son clavier, le texte étant immédiatement envoyé à son interlocutrice.
- Tu n'es pas au travail ? Demanda Valérie.
- Eh bien…

Rafaela ne savait pas très bien comment aborder le sujet. Devait-elle parler de la petite boite en fer blanc ? D'autant plus que son amie se montrait un peu méfiante à l'égard de ce voisin qui ressemblait légèrement à un hippie. Elle le trouvait bizarre. Elle décida d'attendre d'avoir pu parler à Daniel avant de faire quoi que se soit. Elle n'aimait pas mentir à son amie mais elle voulait un peu de temps pour réfléchir.

- Me sentais pas trop bien, à mon avis y a quelque chose qui est pas passé. Je suis fatiguée et j'ai même pas encore commencé ma journée.
- Tu es sûre que tu ne devrais pas aller voir un médecin ?
- Non, ça va aller, et puis si ca va pas mieux demain, c'est promis, j'irais.
- Qu'est-ce que tu vas faire de ta journée ? Demanda Val un peu inquiète pour son amie.
- Me reposer un peu, parler avec toi si tu as le temps et essayer de ranger mon appartement qui ressemble à un champ de bataille.

La journée se passa plutôt calmement à dialoguer par Internet. Vers quatre heures, elle entendit un léger coup à sa porte. Elle crut avoir mal entendu mais, quand cela se répéta, elle alla ouvrir et se trouva nez à nez avec son voisin fraîchement douché et rasé.

- Bonjour, fit-il timidement en passant la main dans ses cheveux mouillés.
- Bonjour, vous avez meilleure mine que ce matin…

Il ne savait pas ce qu'il devait faire : rester ou redescendre. Elle lui sourit et lui fit signe d'entrer. Il attendit timidement à la porte. Il semblait aussi gêné que la jeune femme.

- Asseyez-vous, je vous en prie. Une tasse de chocolat ?
- Faut pas vous déranger pour moi, vous savez.
- Cela ne me dérange aucunement, je suis justement en train d'en faire pour moi.
- Alors d'accord, fit-il en s'asseyant sur le petit canapé.

Il examina la pièce et eut l'impression de se retrouver un peu comme à la maison. L'appartement, même s'il était meublé simplement, était accueillant. Raf revint avec deux tasses de chocolat et quelques petits pains au lait pour compléter ce mini-goûter posés sur un plateau. Daniel regarda l'écran de l'ordinateur et sourit, ainsi sa voisine était une internaute…. Fut une époque, il aimait surfer sur le net et rencontrer des gens qui se trouvaient à l'autre bout du monde. Cela lui rappelait ses nombreux voyages de jeunesse. Il vit clignoter une fenêtre sur la barre de tâche.

- Euh… Je crois que votre amie s'impatiente.
- Pardon ? Fit Raf en détachant son regard de son voisin.
- Votre amie sur Internet, je crois qu'elle s'impatiente parce que vous ne répondez pas.
- Ah… Je vais juste la prévenir que j'ai de la visite et je suis toute à vous, répondit-elle en rougissant quant elle se rendit compte de ce qu'elle venait de dire.

Daniel sourit de plus belle. Rafaela se tourna vers l'écran et il la détailla à loisir. Elle n'avait rien à voir avec les femmes qu'il avait pu fréquenter, surtout ces dernières années. Elle mesurait environ un mètre soixante-cinq, avait des yeux bleus, des cheveux mi-longs qu'elle avait attachés en un catogan. Elle portait un pantalon de jogging qui avait vu des jours meilleurs et un t-shirt rose pâle qui soulignait ses formes plus que généreuses. Elle était loin d'être grosse mais elle était bien en chair, ce qui, sans savoir pourquoi, lui plut d'emblée. Peut-être parce qu'elle était à l'opposée des femmes " taille mannequin " que lui et Largo avaient l'habitude de draguer. Elle se tourna de nouveau vers lui en souriant.

- Ca va mieux ? Demanda-t-elle en se penchant pour prendre sa tasse sur la table basse.
- Oui, merci. Je suis désolé de m'être endormi, je n'ai pas pour habitude, en temps normal, de laisser une jeune femme seule.
- Il faut dire que vous n'aviez pas l'air très en forme.

Il la vit hésiter un instant puis elle reprit la parole.

- Que s'est-il passé ? Si je ne suis pas trop indiscrète.
- Disons que j'ai rencontré de mauvais garçons, fit-il avec un sourire gêné.

Le silence régna pendant un petit moment. Raf ne savait pas trop comment continuer la conversation.

- Je vois que vous aimez la lecture, remarqua Daniel en s'approchant de la bibliothèque qui débordait de livre et de cassettes vidéo. Les séries télés, à ce que je vois aussi. Moi, j'ai jamais le temps de la regarder.
- C'est une occupation comme une autre.
- Par contre, j'aime beaucoup lire, parce que tout est possible dans un livre.

La conversation dura jusqu'à la tombée de la nuit. Chacun parlant des livres qu'il avait lu et aimé. Ils se quittèrent à regrets, se promettant de se revoir, ce qui, pensa Raf, n'allait pas être bien difficile puisqu'ils étaient voisins. Daniel rejoignit son appartement et s'appuya contre la porte quand il la referma. Mais que lui était-il passé par la tête ? Il en avait trop dit ! Il s'était senti apaisé, presque heureux, et il n'en avait pas le droit, pas après… Non ! La " douleur " revint plus grande et plus forte que d'habitude. Ce n'était pas une douleur physique, c'était pire encore. C'était comme si son cœur était broyé, que ses poumons menaçaient d'exploser et que ses entrailles étaient en flammes. Daniel savait que tout se passait dans sa tête. Si seulement il réussissait à se pardonner, il aurait pu alors tourner la page et aller de l'avant. Mais il ne pouvait pas, c'était trop tôt encore, il considérait qu'il n'avait pas encore assez payé. Il se laissa glisser au sol, ramena ses genoux sous son menton et attendit. Il attendit mais rien ne se passa, il avait mal à en hurler. Il se releva et alla chercher la boîte sous l'évier. Il savait que la boisson ne l'aiderait pas, pas cette fois en tout cas. Il n'y avait que cette solution pour ne plus rien ressentir. Il s'était promis de ne plus y toucher mais il en avait réellement besoin. Il prépara la seringue et s'injecta le liquide. Petit à petit, il se sentit partir loin de ce monde qui le faisait tant souffrir, loin des souvenirs qui revenaient l'assaillir dès qu'il avait un moment de bonheur ou de tranquillité d'esprit. Il était maudit et il le savait. Il était condamné à n'être plus qu'un mort vivant sans espoir de rédemption. La "douleur" se fit moins forte puis presque inexistante à mesure qu'il se sentait enveloppé dans un cocon.

***

Raf, de son coté, ne savait plus très bien où elle en était. Elle trouvait son voisin charmant et nul doute qu'elle désirait, autant que lui, mieux faire connaissance. Pourtant elle avait peur. Toutes les relations qu'elle avait eues, bien qu'elles ne fussent pas nombreuses, s'étaient terminées en désastre. La jeune femme en avait souffert même si elle avait fait croire à tout le monde que ce n'était pas grave. Elle s'était jurée d'être plus prudente et avait construit autour d'elle des murailles tellement hautes qu'elle-même avait à présent beaucoup de mal à les franchir. Rafaela était maintenant au bord de la crise de panique. Elle commença par ranger l'appartement pour s'occuper l'esprit et ne plus penser à ce voisin qui lui plaisait tant. Mais cela ne suffit pas à la calmer. Le cœur battant, elle refit le tour du petit studio, s'asseyant sur le lit, allant à la fenêtre puis venant s'installer sur le canapé. Que devait-elle faire ? Se demandait-elle sans cesse. Raf prit un livre pour tenter de se libérer l'esprit mais elle ne réussit pas à se concentrer assez pour comprendre ce qu'elle lisait. Elle le posa sur la table basse et alluma la T.V. Elle zappa distraitement mais ne trouva rien qui puisse l'intéresser. Elle regarda l'ordinateur avec envie, elle aurait voulu en parler à Valérie, mais elle ne pouvait pas. Elle se sentait stupide sachant que sa peur était irrationnelle et qu'elle aurait du mal trouver les mots pour l'expliquer. Le téléphone sonna en la faisant sursauter.

- Salut, fit une voix qu'elle connaissait bien. Je venais voir si tu étais toujours vivante.
- Oui, répondit-elle évasivement.
- Ouh là, ça n'a pas l'air d'aller, je te dérange ?
- Non, pas le moins du monde, Daniel est parti depuis un moment.
- Et ?
- Et quoi ? Tenta d'éluder Raf.
- Attend, tu me bassines avec ce gars depuis bientôt deux mois et maintenant que tu as passé du temps avec lui, tu n'as plus rien à me dire ? Je ne suis pas d'accord !
- Ben rien, on a juste discuté de choses et d'autres. C'est tout, rien de très sérieux.
- Raf, je te connais comme si je t'avais faite, alors qu'est-ce que tu me caches ?
- Rien, je te dis, fit-elle avec agacement. On a juste parlé, c'est tout. Rien de plus et je doute qu'il ne se passe quoique soit, voilà.
- Et que voulais-tu qu'il se passe ? Qu'il tombe en extase devant toi et te propose de suite le mariage ?
- Ben oui, pourquoi pas ? Cela aurait changé, s'exclama Rafaela en souriant, elle adorait leurs joutes verbales même si elle avait rarement le dessus. Pour une fois, il y en aurait eu un qui m'aurait trouvé irrésistible…
- Le pauvre !
- Quoi, le pauvre ? Dis tout de suite que je suis un laideron !
- Non, ce n'est pas ce que je voulais dire, je dis seulement qu'il ne sait pas ce qui l'attend si jamais cela se faisait.
- Mais euh ! Voilà, je suis vexée, il va falloir que je me goinfre de friandises pour me consoler, à défaut d'avoir deux bras puissants pour me câliner.
- La bonne excuse !
- Très bonne, tu ne trouves pas ? Demanda Raf en riant de plus belle. Bon, aller, je vais me préparer un bon dîner, toutes ces émotions m'ont donné faim. Te retrouves sur le net tout à l'heure, si tu as le temps.

Elle raccrocha laissant Val dubitative. Raf avait réussi à détourner la conversation et elle ne lui avait rien appris. Elle était quand même inquiète, elle connaissait la jeune femme et elle savait qu'il était rare qu'elle lui fasse cachotteries. Valérie sentait que c'était le cas. Elle ne lui disait pas tout. Elle soupira et alla rejoindra son mari et sa fille pour dîner. Elle devait réfléchir à une stratégie pour faire parler son amie. De son coté, Raf souffla. Elle avait tant bien que mal réussi à ne pas répondre aux questions pressantes de sa meilleure amie. Elle alla prendre une douche pour se détendre. Peut-être que si elle était plus calme, elle trouverait une réponse satisfaisante à ses craintes. Elle dîna puis s'installa devant la TV en attendant l'arrivée de son amie sur la messagerie. Elle en était venue à la conclusion que la meilleure solution serait de ne plus revoir Daniel. Elle ne se sentait pas prête pour une autre relation à long terme et puis il y avait cette boite en fer blanc. Elle n'avait aucune peine à imaginer à quoi pouvait servir le contenu. Elle avait déjà eu un petit ami alcoolique et un autre passant son temps à fumer des joints, alors il valait mieux pour elle qu'elle laisse tomber. Elle se sentit soulagée même si elle ne pouvait s'empêcher de penser au bonheur que se serait d'être entre les bras de son voisin.

***

Il ne se passa rien pendant près d'une semaine. Raf avait déposé le linge propre devant le pas de la porte de Daniel. Elle avait frappé mais il ne n'avait pas ouvert. Pourtant elle savait qu'il était chez lui. Elle l'avait vu revenir de son travail. Elle soupira et s'en alla rejoindre Valérie qui était venue la chercher. Elles avaient prévu de passer la journée à se balader dans la capitale et à commettre quelques folies.

- Alors tu l'as vu ? Demanda celle-ci en démarrant la voiture.
- Non et pourtant il est là, je l'ai vu rentrer quand je me suis levée ce matin.
- Et qu'est-ce que tu as fait de son linge ?
- Je lui ai laissé sur le pas de sa porte dans ma grande bassine jaune.
- Décidément, je ne vous comprends pas tous les deux. Vous jouez au chat et à la souris depuis une semaine. Pourtant tu as l'air de bien l'aimer ?
- Peut-être mais pas toi, n'est-ce pas ?
- Je ne sais pas. Je ne l'ai aperçu que très brièvement mais je ne lui fais pas confiance. Et si tu me disais pourquoi vous jouez à cache-cache ?

Elle vit immédiatement le visage de son amie se refermer et elle se maudit de sa maladresse. Un silence gêné régna pendant un moment puis la conversation repris sur un autre sujet, et Raf sortit de nouveau de sa coquille.

***

Quelques jours plus tard, Rafaela se sentait misérable. Elle était allée voir sa mère dans l'Est de la France et avait pris froid. Elle avait espéré que cela passerait avec un "traitement maison " mais son état s'était aggravé, et elle avait dû se résoudre à appeler un médecin pour qu'il vienne l'ausculter chez elle. Elle traînait une forte fièvre depuis deux jours, elle avait le nez bouché, du mal à respirer et toussait à s'en arracher les poumons. Le médecin la réprimanda parce qu'elle avait tardé à consulter. Il lui prescrivit des antibiotiques et une semaine de repos bien au chaud. Elle s'habilla à grand peine, prit son sac et son manteau. Elle devait aller chercher ses médicaments à la pharmacie, c'était l'un des inconvénients de vivre seule. Elle descendit et se trouva nez à nez avec Daniel qui la dévisagea surpris. Il ne s'attendait pas à la voir à cette heure-là de la matinée.

- Bonjour, la salua-t-il timidement.

Elle répondit à peine. Elle n'était pas vraiment d'humeur à faire la conversation. Elle n'avait qu'une seule envie, c'était de retrouver sa couette au plus vite.

- Vous êtes sûre que ça va ?
- A votre avis ? Répondit-elle sèchement.
- Non.
- Alors pourquoi vous posez la question ?

Il sourit, cela lui rappelait l'amabilité légendaire dont faisait preuve un certain Russe de sa connaissance.

- Je vois. Vous devriez pas être dans votre lit, vous ?
- Qu'est-ce que ça peut vous faire ? Au fait, merci d'avoir ramené ma bassine. La pauvre a passé la nuit dehors parce qu'elle n'a pas réussi à frapper à la porte, dit-elle d'un ton sarcastique.
- J'en suis désolée, j'espère qu'elle n'a pas pris froid.
- Ben si, d'ailleurs c'est elle qui m'a refilé mon rhume et je dois aller lui chercher ses médicaments, répondit-elle en toussant.
- Donnez-moi ça, dit-il en désignant l'ordonnance qu'elle tenait à la main.
- Non, je suis encore capable de me débrouiller toute seule, grogna-t-elle en essayant de passer tout en bousculant Daniel qui lui barrait le passage.
- Faites pas votre tête de mule, je veux juste vous aider.
- J'ai pas besoin de votre aide, continua-t-elle d'un ton toujours aussi aimable.
- Et moi, je suis le père Noël ! Remontez, je reviens avec votre prescription dans quelques minutes, pendant ce temps mettez-vous sous la couette.
- Mais de quoi vous vous mêlez ? Vous m'ignorez pendant près de quinze jours et maintenant vous voulez jouer au bon samaritain ? Allez vous faire voir chez les Suisses !
- Je peux pas, j'en reviens. Alors cette ordonnance, vous me la donnez ou pas ?
- J'imagine que vous ne me laisserez pas tranquille tant que je vous l'aurai pas donnée ? Dit-elle en soupirant
- Tout juste… alors ? Je peux l'avoir maintenant ?

Elle la lui mit dans les mains puis, sans rien dire, remonta l'escalier et claqua la porte, faisant sursauter Daniel qui ne s'attendait pas à un tel mouvement d'humeur. Après avoir remis son pyjama, Raf se glissa sous sa couette en frissonnant. Même si elle lui en voulait terriblement, elle lui était quand même reconnaissante de lui avoir épargné une sortie par une matinée aussi froide. Une demi-heure plus tard, on toqua à la porte. Rafaela se leva avec peine.

- Et voilà ! Dit Daniel en entrant dans l'appartement. Je vous ai même rapporté des croissants.
- Vous n'auriez pas dû, je ne peux rien avaler, grogna-t-elle. Elle avait du mal à ne pas craquer devant tant de gentillesse.
- Vous avez du lait ?
- Pourquoi faire ? Demanda la jeune femme en retournant se coucher sans lui jeter un regard.
- Pour faire un chocolat chaud, y a rien de tel quand on est malade. En plus, si vous voulez prendre vos médicaments, il vaut mieux que vous ayez quelque chose dans l'estomac.
- Vous avez fini de jouer les mères poules ? Je n'ai pas faim alors merci pour le détour par la pharmacie mais maintenant je voudrais bien dormir un peu.
- Pas avant d'avoir mangé quelque chose, s'entêta-t-il. Alors, il est où ce lait ?
- Où peut-il bien être ? Pas en dessous de mon lit, en tout cas ! Continua-t-elle en se retournant et en fermant les yeux.

Elle voulait à la fois qu'il s'en aille et qu'il reste. Elle ne voulait pas rester seule. Elle avait appelé Valérie après la visite du médecin mais celle-ci ne pourrait venir qu'en fin d'après midi, elle avait une journée chargée à son bureau. Elle avait des rendez-vous qu'elle ne pouvait pas déplacer. Daniel haussa les épaules, il pouvait comprendre la mauvaise humeur de Raf même si cela le désarçonnait quelque peu. Il ouvrit le frigo et y trouva le lait qu'il fit chauffer. Il prépara un plateau avec une tasse de chocolat et un croissant qu'il lui apporta au lit.

- Je vous ai dit que je n'avais pas faim, grommela-t-elle.
- Et moi, je vous dis que je ne partirais pas tant que ce plateau ne sera pas vide.
- Bon… d'accord, je vais vous le boire votre chocolat.
- C'est bien…

Elle le fusilla du regard tout en goûtant la boisson. Ce n'était pas mauvais et, comme pour lui donner raison, son estomac grogna. Elle mangea le croissant, prit les médicaments que Daniel lui avait posé sur le plateau et s'allongea de nouveau. Elle se sentait très fatiguée et ne voulait qu'une seule chose : dormir.

- Je vais vous laisser vous reposer, je repasserais tout à l'heure.
- C'est pas la peine, murmura-t-elle.
- Je sais mais… disons que c'est ma manière de me faire pardonner.

Il s'approcha d'elle. La fièvre et les médicaments aidant, elle s'était endormie. Il lui caressa les cheveux puis sortit sans faire de bruit. Il reviendrait avec un bon bouillon dont il avait gardé la recette. Il rentra dans son appartement et se laissa tomber sur son vieux fauteuil. Il soupira, il ne comprenait pas. Il croyait que les bonnes choses n'étaient pas pour lui et le destin s'évertuait à le mettre face à la personne qu'il voulait éviter à tout prix. Il se sentait bien avec Raf, en sécurité. Elle semblait ne pas le juger. Néanmoins, il avait remarqué un manque de confiance évident qu'elle savait cacher derrière une armure. Il secoua la tête. Comment pouvaient-ils être si semblables et si différents à la fois ? Il se demanda ce qui avait pu amener la jeune femme à préférer une vie de solitude à une vie de famille. Il resta un long moment à réfléchir tout en buvant un verre de bourbon qui traînait sur la table basse. Vers 13h, il monta de nouveau, les bras chargés d'une bonne soupe que sa mère lui faisait quand il était petit. La porte n'était pas fermée à clé, il entra après avoir toqué. La jeune femme dormait encore. Il s'approcha et posa sa main sur son front. Il fut soulagé de constater que sa température avait baissé.

- Daniel ? Murmura-t-elle surprise de le trouver assis au bord de son lit. J'ai dormi longtemps ?
- Trois bonnes heures. Je vous ai apporté du bouillon, je l'ai mis à chauffer.
- C'est gentil mais vous n'auriez pas dû vous déranger, je me serai fait un petit quelque chose tout à l'heure. Et puis vous devez être fatigué, vous avez travaillé toute la nuit.
- Oh ce n'est rien. J'ai pas besoin de beaucoup de sommeil.

Il se leva et alla chercher le bouillon. Il ramena deux bols presque pleins avec un peu de pain frais qu'il avait ramené avec les croissants. Ils mangèrent en silence. Quand ils eurent terminé, Daniel fit la vaisselle tandis que Raf cherchait quelque chose à regarder. Elle opta pour la comédie musicale " Roméo et Juliette ". Sans mot dire, Daniel s'installa près de la jeune femme pour regarder la télé. Surprise au début, elle n'en était pas moins heureuse de n'être pas seule. L'après-midi se passa rapidement et agréablement. La nuit tombait déjà et l'émission touchait à sa fin. Rafaela tourna un regard curieux vers son compagnon et se rendit compte qu'il était ému par cette histoire d'amour impossible. Un homme qui montre ses émotions… C'était plutôt rare. Elle fut prise d'une envie irrésistible de l'embrasser, elle lutta un instant puis, avec beaucoup de légèreté, déposa un baiser sur sa joue. Il tourna vers elle des yeux emplis de surprise. Le temps parut se suspendre quand il l'embrassa avec tendresse et passion. Elle répondit à ce baiser avec fougue jusqu'à ce qu'une quinte de toux les oblige à se séparer. Le silence retomba seulement pour être interrompu par la sonnette de la porte d'entrée. Daniel se leva et alla ouvrir. Valérie avait enfin pu se libérer. Elle fut surprise de voir le voisin de Raf lui ouvrir la porte.

- Bonjour, dit-elle en lui tendant la main.
- Bonjour, murmura-t-il tout en la serrant.

Il avait l'impression de se retrouver sous un microscope, sous le regard inquisiteur de la visiteuse. Il se tourna vers sa voisine, lui fit un sourire puis s'éclipsa en leur souhaitant une bonne soirée. Raf protesta pour la forme. Il répliqua que le travail n'attendait pas mais qu'il repasserait le lendemain pour voir comment elle allait. D'ici là, il était convaincu qu'elle était en de bonnes mains.

- Alors ? Fit Val quand Daniel fut sortit.
- Alors quoi ?
- Comment se fait-il qu'il soit là ? Je croyais qu'il jouait les hommes invisibles.
- Moi aussi mais là, il n'a pas vraiment eu le choix. Je l'ai rencontré dans l'escalier quand j'ai voulu aller à la pharmacie.
- Et ?
- Il m'en a empêché, m'a renvoyé sous la couette et a joué les infirmiers une partie de la journée.
- Attend, on parle bien du même gars qui refusait de t'ouvrir la porte, il y a 15 jours ?
- Tout à fait.
- C'est bizarre.
- Je trouve aussi mais je ne vais pas me plaindre, j'ai mangé un excellent bouillon grâce à lui.
- Ah ! Parce qu'en plus il te fait la cuisine ?
- Oui et il m'apporte même mon repas au lit.
- T'en as de la chance…
- Je trouve aussi.
- Mais, parce que je suppose qu'il y a un mais, je te connais suffisamment pour ne pas qu'il y en ait un.
- Je sais pas, difficile à expliquer.
- C'est-à-dire ?
- Je sais pas, je te dis.
- Sinon tu te sens mieux ? Demanda Val en changeant de sujet.
- Oui, merci, je suis juste fatiguée.
- Tu veux que je te laisse ?
- Tu fais ça, je te botte les fesses, répondit Raf avec véhémence.
- Tu veux manger un morceau ? Dit-elle en entendant l'estomac de son amie grogner.
- Pourquoi pas…
- Pizza ?
- Ca marche.

Elle passèrent le reste de la soirée à parler de choses et d'autres en s'extasiant devant la T.V. sur de beaux gosses. Raf avait une impression de malaise, elle n'aurait pu dire si c'était dû à sa bronchite ou au baiser de son voisin. Valérie remarqua bien que son amie était perturbée mais elle ne voulut pas la presser de questions. Elle parlerait quand ce serait le moment.

***

Daniel était redescendu et, après avoir fermé la porte de son appartement, il sentit un grand vide. Il n'avait qu'une envie : retourner auprès de la jeune femme avec qui il avait passé une excellente après midi. Pourtant il savait qu'une fois qu'elle découvrirait qui il était vraiment, et ce qu'il avait fait, elle ne pourrait plus l'aimer. Il n'était qu'un alcoolique et accessoirement un drogué. Qui voudrait de quelqu'un comme lui ? Il se servit une rasade de whisky avant de se changer pour aller travailler. Travailler, un bien grand mot. Il jouait les videurs dans un espèce de bouge dans un quartier mal fréquenté de la capitale. Les clients étaient des alcooliques et des camés comme lui. Il avait honte, honte de ce qu'il était devenu. Il n'était plus que l'ombre de lui-même. Il sentit la " douleur " revenir au galop et ferma les yeux. Il fallait qu'il se maîtrise, qu'il la maîtrise, la nuit risquait d'être longue et il n'avait plus de " calmant ". Il but encore un verre de whisky et sortit.

***

Il revint le lendemain comme il l'avait promis et Raf en fut heureuse, même si la peur lui tenaillait les entrailles. Elle avait d'une part très envie qu'il la prenne dans ses bras et la câline. Mais, d'un autre coté, elle avait peur de perdre son indépendance. Elle avait appris à aimer la solitude, même si elle admettait que c'était dur parfois, à faire ce qui lui plaisait quand elle le voulait. En fait, elle était seule depuis si longtemps qu'elle avait peur de ne plus savoir s'accommoder de la vie à deux, de faire des concessions. Ils discutèrent et Daniel découvrait peu à peu une jeune femme intéressante, différente de l'image sévère qu'elle donnait d'elle. Il parla peu de lui préférant laisser Raf faire la conversation. Lui aussi avait peur mais pour d'autres raisons. Il avait peur d'être de nouveau heureux. Il avait peur de tomber amoureux pour se rendre compte que ce n'était pas partagé, bien qu'il soit déjà trop tard : il était sous le charme de Rafaela qui ne semblait pas en avoir conscience. Il savait que de toute manière leur relation était perdue d'avance. Ils se quittèrent de nouveau à regrets, se promettant de se revoir le jour suivant. Val, de son coté, était inquiète. Raf ne lui parlait toujours pas et dès qu'elle essayait d'aborder le sujet du fameux voisin, son amie se refermait comme une huître et la laissait dans le flou le plus total. Elle qui n'arrêtait pas de lui parler de Daniel avait, du jour au lendemain, arrêté tout commentaire.

***

Raf se remit de sa bronchite et recommença à travailler une semaine plus tard. Les visites de Daniel se faisaient moins fréquentes mais il tâchait de passer au moins deux à trois fois par semaine sous divers prétextes, un film qu'il avait loué, un livre à emprunter ou parfois même avec pour seule excuse son envie de la voir. Il avait réussi à maîtriser la "douleur" avec la boisson seule, les injections étaient de moins en moins fréquentes pour ne pas dire inexistantes depuis deux mois qu'ils se voyaient. Il en était content car il savait que cela pouvait le tuer à n'importe quel moment mais restait le problème de l'alcool. Il ne pouvait s'en passer, c'était le seul remède qu'il avait trouvé pour faire taire sa peine, ses remords et ses regrets. Il savait pourtant que Raf détestait l'alcool au point de ne jamais en boire et de n'en avoir chez elle que pour faire la cuisine. Tôt ou tard, il se doutait bien qu'elle remarquerait sa dépendance qu'il avait réussit à cacher jusqu'à présent. Il ne savait pas comment elle réagirait ou plutôt il ne le savait que trop bien, elle serait déçue et peut-être même ne voudrait-elle plus de lui. Elle gardait quelques souvenirs désagréables de l'alcoolisme de son père décédé quand elle était enfant. Elle en avait conçu une véritable répulsion à l'encontre de toute boisson alcoolisée.

***

Les fêtes de Noël approchaient à grands pas. On était début décembre et la ville s'était parée de ses plus beaux atours pour accueillir ce temps de fêtes. Raf détestait cette période de l'année et son humeur s'en ressentait. Elle était souvent proche des larmes, sans vraiment savoir pourquoi, ou se mettait en colère pour un rien. Ceux qui ne la connaissaient pas bien étaient surpris par ce changement d'attitude. Cette année, Rafaela savait qu'elle passerait les fêtes seule. Sa mère était trop âgée et en trop mauvaise santé pour faire le déplacement. Elle ne pouvait pas se rendre chez elle parce que, dans la grande distribution, la période de Noël était l'un des moments les plus importants de l'année. De plus, elle venait d'arriver dans la société. Il était donc impensable qu'elle puisse prendre des congés. Elle savait que Daniel travaillait les deux soirs de réveillon. Il l'avait mentionné pendant l'une de leurs conversations quelque temps auparavant, ce qui lui enlevait tout espoir d'avoir de la compagnie. Elle avait bien pensé à en parler à Val mais elle y avait renoncé. Son amie devait dîner en famille avec ses parents et ceux de son mari. Il était hors de question pour elle de s'imposer.

En ce premier samedi de décembre, Raf ressemblait à un lion en cage. Elle ne savait pas pourquoi elle était aussi nerveuse. Peut-être était-ce parce que Daniel l'avait invité au restaurant ? C'était leur première sortie officielle et elle se sentait redevenir une collégienne à son premier rendez-vous. Elle avait perdu l'habitude de ce genre de choses, cela faisait si longtemps… au moins 2 ans et demi. Valérie devait arriver pour l'aider à se préparer. Elle alla à la fenêtre. Une fine pellicule blanche recouvrait la cour intérieure. Il neigeait depuis le petit matin et cela avait l'air de tenir. Si cela continuait, ils auraient un Noël blanc comme le désirait tant Val. Enfin, celle-ci arriva, il était presque 17h30.

- Coucou ma puce, tu étais impatiente de me voir ? Demanda-t-elle d'un air mutin.
- Si tu n'étais pas ma meilleure amie, je te tuerais sur-le-champ. Tu n'en as pas assez de me taquiner ? Je suis déjà assez nerveuse.
- Pourquoi ? Ce n'est qu'un simple dîner ? Vous avez déjà mangé ensemble.
- Oui, mais c'est pas pareil ! On a toujours mangé ici, chez moi. Là, on va dehors.
- Je ne vois pas la différence, je ne pense pas qu'il va se changer en Dracula, ni en loup-garou, quoique…. Il serait mignon avec des poils partout et une gueule pleine de dents bien affûtées.
- Val !

Raf ne put s'empêcher de rire. Elle secoua la tête tout en ouvrant son armoire bien grande, qu'allait-elle bien pouvoir porter pour ce dîner ? Daniel lui avait dit sur le ton de la plaisanterie qu'une tenue correcte était exigée. Non qu'elle se vêtit mal, mais elle aimait les vêtement amples et les fuseaux dans lesquels elle se sentait particulièrement à l'aise. C'était une tenue adéquate pour aller travailler mais pas pour un dîner en tête-à-tête.

- Alors ? Demanda Val, tu as trouvé quelque chose à te mettre ?
- Pffff, toujours pas.
- Bon, va prendre ta douche, je vais m'occuper de ta tenue.
- Oh la, tu me fais peur. Tu ne vas tout de même pas m'habiller en clown ?
- Pourquoi pas ? Tu ferais sensation ! Aller file, l'heure tourne et Daniel sera là dans une heure et demie.
- A vos ordres, chef.

Raf s'enferma dans la salle de bain en maugréant. Pourquoi diable avait-il fallu qu'elle accepte cette invitation ? Pourquoi ne pouvaient-ils pas dîner d'une pizza en regardant la T.V. comme ils le faisaient presque tous les samedis soirs ?

***

Daniel s'interrogeait pour savoir s'il n'avait pas fait une erreur. Il se demandait ce qui lui avait pris de vouloir l'emmener dîner. Ou plutôt si, il le savait, il avait envie de se montrer au bras d'une femme, sortir de la routine et faire un pas de plus dans leur relation. Il devait pourtant combattre, à chaque minute, la peur qui lui tenaillait les entrailles. Il prit dans l'armoire un complet noir et une chemise bleue claire et compléta le tout d'une cravate d'un bleu plus foncé. C'étaient les vestiges de son ancienne garde-robe, il avait tout laissé à New York quand il était parti. Non, se reprit-il, quand il s'était sauvé. Il était bien loin le temps des costumes et des chemises bariolées qu'il avait adorées porter dans une autre vie. Il prit une douche, se rasa consciencieusement puis s'habilla. Daniel regarda sa montre. Il était juste à l'heure pour aller chercher la jeune femme. Il monta les marches quatre à quatre et sonna. Valérie vint lui ouvrir. Elle l'inspecta d'un regard inquisiteur et lui sourit, visiblement satisfaite de son apparence. Elle le laissa entrer et il s'arrêta net quand il vit Raf. Elle portait un ensemble de laine fuchsia composé d'un pull col roulé et d'une jupe droite longue. Elle avait, pour une fois, lâché ses cheveux et ne portait qu'une petite pince pour les empêcher de lui retomber sur le visage. Un léger maquillage mettait en valeur ses yeux bleus et son teint pâle était éclairé par la couleur de son ensemble. Elle lui dédia un sourire timide, auquel il répondit en rougissant. Son cœur battait la chamade, il avait du mal à trouver les mots. Elle était belle, si belle à ses yeux. Elle prit son sac et son manteau, embrassa Valérie et ils partirent en se tenant par la main comme deux collégiens.

***

Le restaurant était à environ dix minutes de marche. Daniel l'avait découvert presque par hasard. Ils arrivèrent et le patron les installa en fond de salle, près d'un feu de cheminé. Une jolie nappe fleurie dans des tons pastel ornait une table qui n'attendait plus que les convives. Des bougies éclairaient un petit bouquet de violettes qui en égayait le centre. Pendant un moment, il y eut un silence presque gêné, aucun des deux n'osant entamer la conversation. Ils examinèrent, avec beaucoup trop d'attention, le menu pour se donner une contenance. Ils commandèrent, se sourirent timidement et Daniel engagea la conversation. L'atmosphère se détendit et bientôt ils oublièrent leur gêne du début. La soirée se passa agréablement, la nourriture était exquise. Cependant quelque chose gênait Raf. Elle n'arrivait pas à savoir ce que c'était, tout semblait pourtant parfait. Ce fut à la fin du repas qu'elle se rendit compte que Daniel avait bu beaucoup plus qu'il n'y paraissait. Elle s'excusa et alla s'enfermer dans les toilettes. Elle se regarda dans la glace et sentit ses yeux se remplir de larmes. Elle n'arrivait pas à croire que cela puisse encore lui arriver. Pourquoi devait-elle toujours tomber amoureuse de personnes susceptibles de lui faire du mal ? Amoureuse ? Avait-elle dit amoureuse ? Non, cela ne pouvait être et pourtant elle dut admettre que l'homme qui l'attendait patiemment depuis une dizaine de minutes était l'Homme de Sa Vie. Sa tête lui disait de le laisser tomber mais son cœur lui demandait de lui laisser une chance supplémentaire. Elle se trompait peut-être. Elle soupira et alla rejoindre son compagnon. Ils rentrèrent la main dans la main. Malgré ses doutes, Raf se sentait bien avec Daniel. Il la raccompagna jusque devant sa porte. Leurs regards se croisèrent et refusèrent de se quitter. Pris d'une impulsion subite, il la plaqua contre la porte et l'embrassa avec une passion exacerbée. Elle était la meilleure chose qui lui était arrivée depuis qu'il avait quitté New York. Raf répondit à son baiser avec tout autant de fougue. Le cœur battant, elle se demandait s'ils allaient sauter le pas ce soir-là. Quand enfin ils séparèrent à bout de souffle, il la prit dans ses bras et la serra aussi fort qu'il le put. Rafaela se laissa aller sur son épaule, son cœur débordant de tendresse. Il l'embrassa de nouveau, lui souhaita de doux rêves et redescendit se réfugier dans son appartement. La "douleur " revenait s'infiltrer en lui et ternir ce bonheur tout neuf. Il la sentait monter et essaya désespérément de la combattre. Il s'allongea sur le lit défait et ferma les yeux. Il tenta de fixer son esprit sur l'amour que Raf avait pour lui, il l'avait ressentit tant il était réel, il aurait presque pu le toucher. Mais les seules images qui venaient étaient celle de l'explosion de l'entrepôt et des paroles de Largo à son encontre. Celles-ci résonnaient en boucle dans son esprit fatigué. Il se leva, chercha une bouteille de cognac et s'en servit un verre. Peut-être que cela pourrait l'aider. Mais rien n'y fit. Il but une longue gorgée à même la bouteille mais rien ne semblait calmer ce cauchemar qui envahissait chaque fibre de son être. Il se leva, se déshabilla et alla prendre une douche. Il fallait qu'il résiste. Quand il en sortit, une serviette rouge autour de la taille, il regarda autour de lui. Il ne savait plus ce qu'il devait faire. La " douleur " était toujours là, prête à le dévorer tout entier, prête à le faire disparaître de la surface de la terre. Il jeta un coup d'œil anxieux vers le placard en dessous de l'évier. Et si… Non, il ne fallait pas. Pourtant, ce serait si facile. Il s'allongea de nouveau sur son lit et ferma les yeux, il ne voulait plus penser. Il se roula en boule et se plaqua les mains contre les oreilles, en espérant que cela l'empêcherait d'entendre la voix de son meilleur ami lui disant de sortir de sa vie. Daniel était désespéré. Il avait l'impression qu'il était en train de devenir fou. Il n'y avait rien qui pouvait l'aider, hormis une certaine chose qu'il voulait éviter à tout prix. Cette chose, c'était la neige blanche qui oblitérerait tous ces événements dans son esprit et le laisserait, le jour suivant, épuisé et sans forces. Pourquoi fallait-il qu'il souffre ? Pourquoi ne pouvait-il pas recommencer à vivre ? Il aimait Raf, il en était sûr. Elle l'aimait aussi malgré ses hésitations et ses doutes. Elle ne lui en parlait pas, sans doute avait-elle peur qu'il se moque d'elle ou qu'il ne comprenne pas, mais, par moments, il pouvait voir dans ses yeux des questions qui restaient sans réponses, des doutes silencieux qui la minaient. Elle semblait convaincue qu'elle n'était pas faite pour une relation à long terme. Il avait bien tenté de la rassurer sans en avoir l'air mais cela n'avait eu aucun effet. Il se retourna dans le lit en gémissant, la brûlure se faisait plus forte. Pourquoi fallait-il qu'il mette en péril ce qu'il tentait de construire ? Il se doutait bien de la réponse. Tant qu'il ne se pardonnerait pas ce qui était arrivé à Joy, il ne pourrait pas être heureux. Il se leva de nouveau, attrapa un pantalon de jogging et un tee-shirt, il devait sortir de là. Une fois sur le palier, il hésita sur la direction à prendre. Devait-il sortir noyer sa terreur entre les bras d'une inconnue quelconque ou bien… ?

***

Raf était ravie de sa soirée. Elle se déshabilla et se mit en pyjama. Elle n'avait pas très envie de se mettre au lit, malgré l'heure tardive, elle était trop excitée pour cela. Elle alla se chercher un yaourt dans le frigo et s'installa devant la TV. Elle regarda d'un œil interrogateur son ordinateur qui était, pour une fois, éteint. Elle se demanda si Val était en ligne mais d'un autre coté qu'allait-elle lui dire ? Elle soupira. Elle avait encore de la peine à croire que Daniel l'ait embrassée avec une telle fougue. Il l'aimait, elle aurait pu en mettre sa main au feu. Pourtant elle ne savait si elle devait s'en réjouir ou pas, même si ce baiser avait eu sur elle l'effet d'une bombe. Elle s'était sentie fondre entre ses bras. En son fort intérieur, elle savait que, même si c'était la chose la plus raisonnable à faire, elle aurait beaucoup de mal à renoncer à lui. Pourtant il lui fallait bien admettre qu'avoir un petit ami qui touche aux drogues dures, c'était chercher des ennuis et les trouver. Non seulement il y avait la drogue, mais il y avait l'alcool aussi ! Non, ce n'était pas raisonnable néanmoins elle n'était pas prête à le laisser partir. Elle ne put aller plus loin dans ses pensées, un bruit la tira de ses réflexions. Elle tendit l'oreille croyant avoir mal entendu. Il lui semblait qu'on toquait à la porte. Raf alla ouvrir et resta interdite devant l'image qui s'offrait à elle.

- Daniel ? Que se passe-t-il ? Ca ne va pas ?

Il ne répondit pas, il se contenta de l'enlacer et de la serrer très fort dans ses bras. Il voulait sentir la chaleur de son corps l'envelopper pour combattre ce froid qui s'insinuait au plus profond de lui. Surprise, Rafaela le fit entrer. Toujours en silence, ils s'installèrent sur le canapé.

- Daniel ? Qu'y a-t-il ?
- Je….

Une boule dans la gorge l'empêchait de parler. Tout ce qu'il voulait, c'était sentir Raf contre lui. Elle lui donnait la sensation d'être en vie, d'exister encore en tant qu'être humain.

- Daniel ? Je t'en prie, dis-moi ce qu'il y a ?

Il secoua légèrement la tête. Il ne voulait pas en parler, il voulait juste rester là, dans ces bras rassurants et pleins d'amour qui lui réchauffait l'âme. Constatant qu'elle n'obtiendrait rien de plus, Raf se contenta de caresser son épaisse chevelure en lui murmurant des mots rassurants. Il laissa couler des larmes qu'il avait trop longtemps retenues. Il pleura sur Joy, sur lui, sur ce qu'il avait perdu. Il laissait sortir tout ce qu'il avait retenu depuis son arrivée à Paris. Il finit par s'endormir, épuisé, sur l'épaule de la jeune femme, qui le coucha sur le canapé, le couvrit avec une couverture avant de se mettre elle-même au lit. Elle resta longtemps les yeux ouverts dans le noir se rejouant la scène dans sa tête, tout en se demandant ce qui avait pu provoquer une telle crise. Elle finit par sombrer dans le sommeil avec des questions dépourvues de réponses plein la tête. Quand elle se réveilla le matin suivant, Daniel était déjà parti, il avait laissé une note :

Merci…
Je t'aime…
Daniel

Rafaela la relut une bonne centaine de fois, avant de la ranger dans le tiroir de sa table de chevet. Elle avait du mal à croire que c'était vrai. Personne ne lui avait jamais dit ces mots-là. Soudain elle fut prise de panique et si, quand il reprendrait ses esprits, il réalisait qu'il avait fait une erreur ? Elle soupira et ressortit la note pour se prouver qu'elle ne devait avoir aucune crainte.

***

La ville ressemblait à une fourmilière en cette veille de Noël. Chacun était pressé de rentrer pour passer les fêtes avec leurs proches. La neige ne cessait de tomber depuis deux jours. Largo regardait la nuit tomber sur cette métropole qui ne s'arrêtait jamais. Lui aussi allait passer cette soirée avec tous les gens qu'il aimait et qui formaient une famille, avec tous sauf un, le plus important, son frère, son ami. Où pouvait bien être Simon ? Il avait disparu à son arrivée à Londres. D'ailleurs était-il encore en Angleterre ou avait-il simplement fait escale dans le pays ? Cela faisait maintenant presque un an qu'ils avaient perdu toute trace de lui… Un an que Kerensky s'acharnait sur ses chers ordinateurs pour le retrouver… Un an qu'ils restaient désespérément muets. Le Suisse avait effacé toute trace de son passage.

- Chéri ? Fit une voix derrière lui.

Il se retourna pour voir Joy sortir de la chambre. Elle portait un tailleur pantalon vert pâle qui mettait en valeur ses yeux marrons. Elle avait laissé pousser ses cheveux qui lui arrivaient maintenant aux épaules. Elle s'avança doucement dans la pièce s'appuyant sur sa canne, dernier vestige de ses blessures dues à l'explosion. D'après le médecin, il lui faudrait encore six mois d'efforts pour retrouver toute sa motricité. Largo la regarda avec tendresse et amour.

- Tu veux bien m'aider ? Demanda-t-elle en désignant le collier de perle qu'elle tenait dans la main.

Il hocha la tête et vint la rejoindre. Quand il eut fixé le bijou, il s'écarta et la regarda. Elle était splendide. Et dire qu'il avait failli la perdre… Joy avait eu beaucoup de mal à lui pardonner le départ de Simon. Cela les avait séparé un temps puis le destin s'acharnant, ils s'étaient à nouveau retrouvés. Il détourna les yeux avant qu'elle puisse remarquer sa tristesse et regarda le sapin qui éclairait une partie de la pièce de ses petites lumières scintillantes.

- Simon te manque, n'est-ce pas ? Demanda-t-elle en lui posant une main sur l'épaule.

Il ne répondit pas, il se contenta de l'enlacer et de nicher sa tête dans le creux de son épaule. Elle avait raison. Le Suisse lui manquait énormément, jamais il ne se pardonnerait ce coup de folie.

- Largo… Je sais que tu ne veux pas en parler mais tôt ou tard, il faudra bien que tu le fasses. Tu ne peux pas continuer à tout garder pour toi, cela va finir par te détruire à petit feu.
- Je t'en prie, Joy, pas ce soir, murmura-t-il.

Joy soupira. Chaque fois qu'elle abordait le sujet, elle avait l'impression de parler à un mur. Le milliardaire refusait obstinément de discuter de Simon comme si le simple fait de prononcer son nom le blessait.

- Ecoute-moi, je sais qu'il te manque. Il me manque à moi aussi. Qui aurait cru qu'un jour, j'en viendrai à regretter son humour à deux sous et ses chemises bariolées ? Mais arrête de te torturer ainsi.
- Je ne peux pas ! Tu ne comprends pas, Joy ? S'exclama-t-il en la lâchant et en se tournant vers la baie vitrée pour qu'elle ne puisse pas voir son trouble. Je lui ai dit des choses que j'étais loin de penser. J'étais tellement en colère. Comment ai-je pu croire un seul instant qu'il m'avait trahi ?
- L'affaire était trop bien montée, tu ne pouvais que le croire.
- Non ! J'aurais dû le croire, lui. Il était mon ami, mon frère.
- Je sais. Laisse-lui du temps, il reviendra quand il se sentira prêt.
- Non, Joy, il ne reviendra pas. Si tu avais vu son regard… On aurait dit que je venais de lui arracher son âme. Je ne pense pas qu'il puisse un jour me pardonner de lui avoir fait autant de mal.
- Je suis sûre moi que vous vous retrouverez, dit-elle en déposant un léger baiser sur sa joue. Allez, viens maintenant ou nous allons être en retard. Kerensky doit déjà nous attendre et tu sais comme il peut être " patient ".
- Tu peux me dire pourquoi j'ai accepté d'aller à cette soirée ?
- Parce que tu m'aimes et que je ne t'ai pas vraiment laissé le choix.
- Ah oui ! J'oubliais que tu étais une fiancée tyrannique.
- En avant ou tu vas goûter de ma canne, dit-elle en riant, soulagée de voir Largo recouvrer une partie de sa bonne humeur.

***

Daniel terminait de se préparer pour aller travailler en ce 24 décembre. C'était la seule solution qu'il avait trouvée pour ne pas penser. Travailler… Non, plutôt s'abrutir d'alcool toute la soirée pour ne pas revoir dans sa tête ces images qui le hantaient. C'était toujours les mêmes, elles lui collaient à la peau et il ne pouvait s'en débarrasser. Les fêtes avaient eu sur lui un effet étrange. Il se sentait déconnecté. Il avait l'impression que cette année, il n'y avait pas de réveillons et que Noël, et la Saint Sylvestre, étaient des jours tout à fait normaux et non pas des occasions de retrouver les êtres aimés. Les êtres aimés…. Il ne put s'empêcher de penser à Raf. Il était presque 19h, et elle n'était pas encore rentrée de son travail. Elle lui avait dit qu'elle passerait son réveillon chez sa meilleure amie ce qui l'avait soulagé. Il se sentait un peu coupable de ne pouvoir rester avec elle. Mais surtout, il ne voulait pas qu'elle voit à quel point il avait honte de lui, quelle épave il était en train de devenir. Il restait convaincu que personne ne pouvait le sauver. Il avait essayé de rompre avec elle plus d'une fois, pour l'épargner et lui faire le moins de mal possible. Pourtant, dès qu'il se trouvait devant elle, il ne pouvait se résoudre à le faire tant son sentiment pour elle était fort. Il était réciproque, il le savait mais était-il assez fort pour supporter sa déchéance ? Il buvait beaucoup trop et il en avait conscience mais il n'avait pas encore trouvé suffisamment de forces pour lutter contre cette dépendance. Il savait très bien que ce n'était pas pour Raf qu'il devait le faire, mais pour lui. C'était en lui qu'il devait trouver les raisons de remonter à la surface mais pour le moment, il trouvait qu'il ne méritait pas encore un tel cadeau. Il lança un dernier regard à la glace, ferma la porte de la salle de bain, prit ses clés et claqua la porte. Il était temps de laisser tomber le masque.

Quand Raf rentra, il était presque 20h, elle avait travaillé toute la journée à remplir les rayons du magasin. Toute l'équipe administrative avait été réquisitionnée pour donner un coup de main. Elle se sentait vidée et épuisée. Elle traversa la cour intérieure et lança un regard vers les fenêtres de Daniel. Tout était plongé dans l'obscurité. Tout semblait endormi. Cela voulait dire qu'il était déjà parti et ne découvrirait pas son petit mensonge. Rafaela savait que Daniel se sentait coupable de ne pas passer la soirée avec elle, aussi lui avait-elle dit qu'elle dînait chez Val. A Valérie, qui s'inquiétait de la savoir seule en ce soir de réveillon, elle avait raconté qu'elle dînait avec Daniel pour la rassurer. Elle s'en voulait de lui mentir mais elle n'était pas d'humeur très sociable et ne voulait gâcher la fête de personne. Elle monta avec lenteur les marches. Elle n'avait qu'une seule envie, enlever ses chaussures, se glisser sous la douche et se mettre au lit pour regarder la TV en grignotant des friandises. Pourtant elle était si fatiguée qu'une fois au lit, elle s'endormit tout en regardant un film romantique, une histoire d'amour impossible qui finissait bien. Elle se réveilla le lendemain à l'aube. Elle éteignit la TV, se recoucha et s'endormit de nouveau. Ce ne fut que quand le téléphone sonna vers midi qu'elle se réveilla. C'était Valérie qui voulait savoir si elle voulait venir dîner le soir même avec Ilia, son mari, Cassandra, sa fille, et elle. Elle fut tentée de refuser pour les laisser en amoureux mais, connaissant sa meilleure amie, elle était sûre que cela lui mettrait la puce à l'oreille. Elle accepta tout en se disant qu'elle n'avait nulle envie de bouger de dessous sa couette. L'après-midi passa vite et à 18h30 Ilia vint la chercher. En passant devant la porte de Daniel, elle se demanda où il avait bien pu passer. Elle ne l'avait pas entendu rentrer ce matin. Peut-être que… Des images lui vinrent en tête et elle ferma les yeux. Elle le voyait dans une ruelle, ensanglanté, mort peut-être.

- Ca va ? Demanda Ilia s'inquiétant de sa pâleur.

Il trouvait que la jeune femme travaillait beaucoup trop. Il en avait déjà touché un mot à sa femme qui était d'accord avec lui. Ils avaient décidé d'un commun accord de veiller sur la santé de Rafaela puisque celle-ci ne le faisait pas.

- Oui, oui juste un peu de fatigue, c'est de la folie au magasin en ce moment, répondit-elle en baissant les yeux pour ne pas qu'il remarque son trouble.
- Je m'en doute, mais essaye quand même de te reposer. Depuis deux mois, on t'a à peine vue à la maison.
- Cela ne doit pas être fait pour te déplaire, tu as Val pour toi tout seul, dit-elle avec sarcasme.

Elle regretta aussitôt ses paroles. Elle monta dans la voiture en baissant la tête. Ilia la regarda avec surprise. Jamais il n'aurait imaginé que Raf puisse penser cela. Bien sûr, au début, il avait été jaloux. Il ne comprenait pas ce besoin qu'avaient les deux amies de communiquer à tout moment, de se parler presque continuellement et de passer de nombreuses heures ensemble, parfois à ne rien faire, sinon à partager un film. Il s'était senti menacé quelque part de voir sa femme passer plus de temps avec Raf qu'avec lui. Par la suite, il ne put que convenir que cette relation était bénéfique pour toutes les deux, l'une aidant l'autre à surmonter les petits ennuis de la vie quotidienne. Il s'était habitué à la présence de Raf dans leur vie et avait développé pour elle une grande tendresse. En un mot, elle faisait partie de la famille. Ils avaient eu du mal à le lui faire comprendre et il pensait que cette histoire était réglée depuis longtemps. Alors à quoi était due cette remarque acerbe ?

- Raf ?
- Désolée, ne fais pas attention à ce que je dis, la fatigue me fait dire des bêtises.
- Mauvaise excuse, tu peux trouver mieux que cela. La vérité, par exemple ?

Raf ne répondit pas tout de suite. Elle se maudissait d'avoir laisser échapper cette remarque. Il était vrai que depuis qu'elle avait entendu un début de dispute, entre son amie et son mari, pendant laquelle il lui reprochait le temps passé avec elle, Raf faisait très attention à ne plus envahir leur intimité autrement que par ordinateur interposé. Elle limitait ses visites au domicile de sa meilleure amie le plus possible, préférant que ce soit Val qui se déplace.

- Laisse tomber ok ?
- Hors de question ! Dit Ilia d'un ton ferme. Alors d'où te viens cette idée absurde ?
- Pas si absurde que cela. En fait, je ne fais que réaliser un de tes souhaits, passer plus de temps avec ta femme sans avoir de témoin.
- Pardon ?
- Si je me souviens bien, il y a à peu près deux mois, tu as reproché à Val tout le temps qu'elle passait avec moi mais surtout, tu me trouvais… comment as-tu dit ? Ah oui, envahissante…. J'ai fait en sorte de ne plus l'être, termina-t-elle avec une colère à peine contenue.

Ces paroles l'avaient blessée mais elle n'en avait soufflé mot à personne. En fait, elle n'aurait même pas dû les entendre. Apres une après-midi à discuter sur le nouveau travail de Raf, elle était partie à l'arrivée d'Ilia qui, étant d'une humeur massacrante, lui avait à peine dit bonjour. Arrivée en bas, elle s'était rendue compte qu'il pleuvait à verse et qu'elle avait laissé son parapluie dans le couloir. Apres une brève hésitation, elle s'était décidée à aller le récupérer. Quand elle était arrivée sur le palier, elle avait entendu des éclats de voix. Val et Ilia étaient en train de se disputer. Elle avait renoncé à sonner. Avec discrétion, elle avait ouvert la porte avec son trousseau de clés et prit son parapluie au moment même où Ilia reprochait à sa femme son lien avec elle. Les larmes aux yeux, elle était sortie de l'appartement. C'est à partir de ce moment là, qu'elle avait décidé de ne plus aller chez Val sauf si elle n'avait pas d'autre choix.

- Je ne t'ai jamais dit cela, affirma Ilia.
- Oh pas à moi, non mais à Val…

Le visage d'Ilia se figea. La dispute avec sa femme lui revenait en mémoire. Il était en colère et il ne savait même plus pourquoi. La seule chose qu'il se rappelait, c'était que la présence de Raf à son arrivée n'avait fait que l'exacerber.

- Val t'en a parlé ?
- Non, elle ne m'a rien dit. Je vous ai entendu vous disputer quand je suis remontée chercher le parapluie que j'avais oublié. Cela a été très instructif de savoir enfin ce que tu pensais vraiment de moi.
- Attend, je…
- Tu n'as pas besoin de te justifier et d'ailleurs, si ma présence te dérange ce soir, je peux tout aussi bien rester chez moi. Tu n'auras qu'à inventer une excuse.
- Rafaela, veux-tu bien m'écouter ? Je suis désolé de t'avoir blessée, je ne voulais pas, expliqua-t-il d'un air contrit. J'étais furieux, d'ailleurs je ne me souviens même plus pourquoi. Ca n'avait rien à avoir avec toi ou Valérie. Il fallait que j'évacue la pression, et votre relation était une proie facile. La colère fait dire des choses que l'on ne pense pas. Excuse-moi, je ne voulais vraiment pas te faire de la peine.
- Il n'y a pas de fumée sans feu, murmura la jeune femme qui s'obstinait à fuir son regard.
- J'admets qu'au début votre amitié m'a dérangé. Valérie et toi vous partagiez tellement de choses, je me suis senti exclu. Mais j'ai appris à te connaître, et j'en suis venu à te considérer comme un membre de la famille à part entière.

Raf ne répondit pas, trop de sentiments se bousculaient en elle. Elle avait du mal à croire ce que venait de lui dire le mari de Valérie. Elle était sûre qu'il ne le pensait pas vraiment.

- Regarde-moi Raf, je suis sincère quand je te dis que je regrette mes propos.

Rafaela était toujours silencieuse. Une boule lui nouait la gorge. Il y avait eu trop de choses ces derniers temps, elle savait que si elle répondait, elle se mettrait à pleurer, et elle ne voulait pas pleurer devant Ilia. Elle soupira, visiblement il attendait qu'elle dise quelque chose mais elle avait du mal à trouver ses mots.

- Raf ?
- Ca va, n'en parlons plus, répondit-elle d'une voix qui disait tout le contraire. On pourrait y aller ? J'ai faim et j'ai encore rien mangé, continua-t-elle avec un entrain feint.

Il tendit la main vers le contact mais la baissa aussitôt, il y avait plus. Quelque chose tourneboulait la jeune femme assise à coté de lui.

- Raf ?
- Quoi encore ? Rugit-elle sur la défensive.
- Tu es vraiment sûre que c'est tout ce qui te contrarie ?
- Que vas-tu encore chercher ? Tout va très bien dans le meilleur des mondes ! Dit-elle avec un brin d'exaspération.
- C'est cela et la marmotte met toujours le chocolat dans le papier aluminium, soupira-t-il. Je commence à bien te connaître et je peux dire que c'est très loin d'être la pleine forme. C'est ton fameux voisin qui te fait des misères ?
- Et moi, je te dis qu'à part la fatigue, il n'y a rien. J'ai trop travaillé, et me suis peu reposée et si tu continue ainsi je rentre chez moi. Je déteste qu'on mette le nez dans mes affaires !
- Excuse-moi de m'occuper de toi.
- Mais je ne t'ai rien demandé ! Cracha Raf en descendant de voiture et en claquant brutalement la portière. Cette fois-ci la coupe était pleine.
- Et merde, fit Ilia en descendant à son tour pour la rattraper.

S'il ne revenait pas avec elle, Val allait le tuer. Il traversa la rue à la suite de la jeune femme qui était en train de composer le code pour rentrer chez elle. Elle poussa la porte mais Ilia la retint par le bras.

- Lâche-moi, fit Raf en essayant de se dégager de l'emprise du mari de Valérie.
- Pas avant que tu ne me dises ce qui ne va pas. Je ne suis pas ton ennemi ! Cria Ilia tout en la prenant dans ses bras.

Rafaela se débattit un instant mais il ne la relâcha pas. Au contraire, il la retenait de toutes ses forces et lui murmurait des mots qui n'avaient pas beaucoup de sens. Elle sentit la fatigue l'envahir et se laissa aller, des larmes coulant sur son visage. Cela faisait des semaines qu'elle tenait bon pour ne pas se laisser déborder. Raf frissonna, la nuit était venue depuis longtemps et le froid devenait mordant.

- Tu ne veux vraiment pas me dire ce qu'il y a ? Demanda le mari de Val en prenant le menton de la jeune femme pour la regarder dans les yeux. A tout garder pour toi, cela va finir par te miner. Raf secoua la tête. Non ? Tu ne veux pas en parler à tonton Ilia ? Fit-il avec un air mutin.

Elle ne put s'empêcher de rire à travers ses larmes. Elle commençait à comprendre pourquoi son amie en était complètement folle malgré leurs cinq années de mariage. Ilia soupira, il avait au moins réussi à la faire sourire.

- Tu ne veux vraiment pas m'en parler ?
- Je crains que ce ne soit pas le moment, et puis Val nous attend. Elle doit se faire un sang d'encre. Tu ne crois pas ?
- Si, mais ceci est plus important. Tu ne veux pas m'en parler, libre à toi mais parles en au moins à Val. Tu as confiance en elle, non ?
- Là n'est pas la question. Il y a seulement que se sont des choses très personnelles. J'ai peur qu'elle ne comprenne pas, toi non plus d'ailleurs.
- Laisse-nous une chance, on pourrait te surprendre…
- D'accord, je vais y réfléchir.
- Comme tu voudras, mais promets-moi une chose.
- Quoi ?
- Que tu vas recommencer à venir à la maison… Finalement, c'est beaucoup trop calme depuis que tu ne viens plus nous envahir, fit-il avec une grimace comique tout en se dirigeant vers la voiture.

Raf soupira et secoua la tête. Ce mec était complètement dingue mais elle commençait à l'apprécier. Ce qu'il venait de faire et de dire l'avait beaucoup touchée. Caché sous un porche de l'autre coté de la rue, Daniel regardait Rafaela et Ilia. Il avait passé la nuit à boire et avait fini dans l'arrière salle où le patron avait installé un lit de camp pour ce genre de situation. Il était trop soûl pour rentrer et puis il avait honte, il ne voulait pas que Raf le voit dans cet état-là. Il avait dormi toute la journée, ne se réveillant qu'à la nuit tombée. Il avait enfin décidé de revenir chez lui. Il voulait voir la jeune femme qui occupait ses pensées. En arrivant près de l'immeuble, il l'avait vu sortir en compagnie d'un homme blond, aux cheveux mi-longs et d'une carrure imposante. Il s'était caché dans l'ombre, cet homme il le connaissait. C'était l'une des personnes qu'il fuyait depuis un an déjà. Il eut un moment de panique. Ce n'était pas possible, il avait tout fait pour effacer ses traces. Et puis comment se faisait-il que Raf eut une attitude aussi familière avec lui ? C'est alors qu'il entendit celle-ci l'appeler par un autre prénom que celui qu'il connaissait. L'homme ressemblait comme un jumeau à cet ami qu'il avait tenté d'effacer de sa mémoire. Si ce n'était pas lui, qui était-ce alors ? Un autre nom fut mentionné, celui de la meilleure amie de la jeune femme. C'était très obscur tout cela mais il était trop fatigué pour y réfléchir et sa tête menaçait d'exploser à tout moment. Il poussa un soupir de soulagement quand enfin ils montèrent en voiture et s'en allèrent. Qui que fut cette personne, il ne s'agissait pas de son ami même si la ressemblance était plus que troublante. Celui-ci n'agirait jamais aussi amicalement, ni ne sourirait, ni jouerait les clowns pour consoler une demoiselle en détresse. Il eut une pointe de jalousie. Raf était à lui et à personne d'autre, même si, selon lui, il était bien loin de la mériter. Il sortit de l'ombre et se dirigea vers l'immeuble où, après avoir composé le code d'entrée, il monta dans son appartement. Il prit une douche et s'allongea sur son lit. Il n'avait qu'une seule envie : dormir mais il savait que le sommeil ne viendrait pas. L'obscurité menaçait de le faire disparaître et il ne voulait pas cesser d'exister. Il voulait encore vivre, il voulait encore sentir et ressentir des choses. Il déboucha la bouteille de bourbon qui trônait sur sa table de nuit et en but une longue rasade puis une autre jusqu'à ce que la bouteille fut vide et que, soûl et épuisé, il se laisse glisser dans un sommeil sans rêves.

***

La soirée se passa sans encombre pour Raf même si, au goût de Val, la jeune femme paraissait trop calme, absente même par moments. Elle n'avait pas manqué de remarquer les yeux rouges de celle-ci à son arrivée, elle avait voulu la questionner mais Ilia lui avait fait comprendre que ce n'était pas le moment. Quand celui-ci alla coucher Cassandra, Valérie en profita pour interroger son amie. Son mari avait pris l'habitude de passer une demi-heure avec sa fille tous les soirs, rien qu'eux deux, tout seuls, ils jouaient et lisaient, il répondait aux questions de la petite fille et celle-ci lui racontait sa journée d'école avec animation.

- Tu es sûre que ça va ? Demanda doucement Valérie en regardant Raf se poster devant la fenêtre qui donnait sur le parc.

Celle-ci soupira mais resta silencieuse. Elle savait qu'elle ne parviendrait pas à cacher plus longtemps son état d'esprit mais elle aurait voulu avoir plus de temps pour analyser la situation.

- Je n'aime pas quand tu fais cela, soupira Val à son tour tout en s'approchant de son amie.
- Quand je fais, quoi ? s'enquit Raf d'un air innocent, bien sûr elle savait très bien à quoi elle pensait.
- Quand tu gardes tout pour toi et que tu ne me dis pas ce qui ne va pas. Je ne suis pas aveugle et sourde, je sais bien qu'il y a quelque chose de grave dont tu refuses de parler. Combien de temps encore vas-tu nous fuir ? Me fuir ! Dit-elle avec une teinte de reproche dans la voix. Raf, cela fait près de deux mois que tu ne me dis plus rien. Cela fait deux mois que tu refuses, sous divers prétextes, de venir à la maison. Qu'y a-t-il ? Il y a un problème avec Daniel ?

En entendant le prénom de celui qu'elle aimait, elle sentit une boule lui enserrer la gorge. Une larme coula le long de son visage. Sentant la détresse de son amie, Valérie la serra fort contre elle, comme pour effacer la peine et la souffrance de Raf. Elles restèrent ainsi un long moment, Rafaela puisant la force qu'il lui fallait pour expliquer la situation à ses amis. Celle-ci se dégagea doucement de l'étreinte de Val et alla chercher un mouchoir dans son sac à main.

- C'est Daniel, il…souffla Rafaela en s'asseyant sur le canapé tout en prenant l'un des coussins contre son ventre. Val s'assit à coté d'elle.
- Il quoi ?
- Il est différent de ce que je pensais. Il… Elle avait du mal à trouver les mots pour expliquer la situation à son amie. Ilia entra et s'assit en silence sur le fauteuil en face de sa femme.
- Comment cela différent ? Demanda-t-elle.
- Il a de graves défauts qui peuvent nous faire du mal à tous les deux.
- Raf, il va falloir que tu me trouves un traducteur universel si tu continue à parler comme les Vorlons, dit-elle en faisant allusion à Babylon 5 l'une de leur série télévisée préférée.
- Laisse-la aller à son rythme, fit Ilia en prenant les mains de Rafaela dans les siennes. Il sentait qu'elle besoin de ce contact physique pour trouver la force de parler.
- Il a un problème avec la boisson et avec une certaine substance prohibée, avoua-t-elle doucement.
- Attends, tu es entrain de nous dire que Daniel est un alcoolique et un drogué ? Demanda Ilia estomaqué par les révélations de la jeune femme.
- Oui, acquiesça Raf en hochant la tête.
- Tu en es sûre ?
- Pour la drogue ? Oui j'en ai trouvé le premier jour, tu sais celui où je lui ai fait son ménage après son agression. Quant à l'alcool, je n'ai aucune certitude mis à part mon intuition.
- Et malgré cela tu as continué à le voir ? Demanda Valérie.
- Je n'y peux rien si quand je me retrouve face à lui, je me sens comme enveloppée dans un cocon de douceur et d'attentions. Je l'aime, tu comprends. Et je peux te dire que cela m'effraye.
- Tes dernières crises d'angoisses venaient de là ?
- Je suppose. Je n'ai jamais su pourquoi, par moments, cette peur m'étreint au milieu de la nuit, me mettant sens dessus dessous.
- Tu lui en as parlé ?
- Non j'attendais qu'il le fasse. Je pensais qu'avec le temps il me ferait assez confiance pour se confier à moi, pour me dire pourquoi il en est arrivé là. Mais il continue à se taire et à se faire du mal. Par moments, je vois dans ses yeux tellement de souffrance que j'ai mal pour lui.
- Je sais que tu ne vas pas aimer ce que je vais te dire mais… Fit Val doucement.
- Je sais, je sais, je devrais le laisser tomber ? C'est cela ? Mais je ne peux pas ! Tu crois vraiment que je n'ai pas essayé de le faire ? Je me sens si bien avec lui !
- Tellement bien ? C'est vrai ? Mais regarde dans quel état cela te met ? Depuis quand tu n'as pas dormi une nuit complète ? Depuis quand n'as-tu pas mangé convenablement ? Je t'ai observé, tu as à peine touché à ton assiette et….
- Val ! la coupa-t-il en lui lançant un regard noir. Raf avait pâli de manière inquiétante.
- Je suis désolée, souffla-t-elle en se rendant compte qu'elle s'était laissée emporter par la colère mais elle ne supportait de voir son amie dans un état pareil.
- Je sais bien que ce serait la chose la plus raisonnable à faire mais je ne peux pas ! Je… Je ne sais pas comment l'expliquer mais je sens qu'il a besoin de moi, besoin que quelqu'un l'aide sinon il va finir par sombrer définitivement et cela je ne le veux pas ! Il est tellement… je ne sais pas… les mots me manquent pour vous dire ce que je ressens quand je suis avec lui.
- Que comptes-tu faire ? Demanda Valérie.
- Je vais attendre la fin de ces maudites fêtes. Je suis trop fatiguée en ce moment pour avoir la tête assez froide pour ce genre de conversation.
- Tu veux que je lui parle ? proposa Ilia.
- Non merci, c'est gentil, je devrais pouvoir m'en tirer.
- N'hésite surtout pas, n'oublie pas ce que je t'ai dit tout à l'heure.
- Promis, dit Raf en regardant sa montre. Mince, je n'avais pas vu qu'il était aussi tard. Demain je commence tôt, faut que j'y aille.
- Tu n'as qu'à dormir ici, et Ilia te déposera à ton bureau en allant faire les courses.
- Vous êtes sûrs que cela ne vous dérange pas ?
- Pas le moins du monde, tu sais où est ta chambre ? Il doit même encore rester quelques affaires à toi dans le placard.
- Merci, fit Rafaela en déposant un léger baiser sur la joue du couple.
- Fais de beaux rêves, ma puce.

Ils restèrent encore assis dans le salon sirotant un dernier café avant d'aller se coucher. Val finissait de se déshabiller quand Ilia vint l'embrasser dans le cou. Il adorait sa femme. Sa peau si douce dégageait une odeur sucrée. Ses cheveux longs couleur de feu retombaient sur ses épaules. Un instant, il revit leur première rencontre.

Flash-back

- Mesdames et messieurs je suis ravie de vous accueillir ce soir à l'inauguration de la bibliothèque de Bois-Colombes. J'aimerai avant tout remercier le cabinet d'architectes Bertin et Soleri, pour leur travail. Le résultat est remarquable et la ville est fière de pouvoir accueillir ses concitoyens dans un bâtiment aussi magnifique…

Des applaudissements vinrent couronner la fin du discours du maire, Arlette Boulan, avant que les invités ne se dispersent dans la salle qui avait été mise à leur disposition pour la réception. Ilia, l'architecte qui avait conçu et supervisé la construction, se mêla à la foule tout en maugréant que ce genre de soirée était la pire partie de son travail qu'il adorait. Il n'eut guère le temps de se morfondre car son collègue, et meilleur ami David Bertuis, vint le rejoindre.

- Encore une réussite, mon grand ! Le félicita-t-il en lui donnant une tape sur l'épaule. Le grand Ilia a encore frappé !
- Vas-y, moque-toi !
- Il me semble bien que c'est ce que je fais. Ça devient lassant de te voir réussir tout ce que tu entreprends, tu sais.
- Serait-ce parce que ce n'est pas ton cas ? Répliqua Ilia avec un sourire taquin.
- Je ne vois pas de quoi je pourrais me plaindre : j'ai une femme adorable, deux enfants superbes, un boulot que j'adore et une maison dont je finirai de payer les traites dans une dizaine d'années.
- Pourtant, à t'entendre, on a l'impression que quelque chose te manque.
- Tu me connais trop bien, râla David.
- Si tu t'épanchais sur mon épaule, vieux frère ?
- Tu ne peux pas comprendre.
- Vraiment ? S'étonna Ilia.
- Oui. Tu es célibataire, libre de butiner de fleurs en fleurs alors que moi…
- Ne me dis pas que Julie et toi vous allez vous séparer, s'inquiéta-t-il car il appréciait la jeune femme et trouvait le couple merveilleusement bien assorti.
- Non, non, pas du tout mais… comment dire… il n'y a plus vraiment la magie des premiers temps. On s'est un peu laissé engluer par la routine et…
- Bravo ! S'exclama une voix derrière eux, interrompant la conversation des deux amis.
- Monsieur Soleri, le salua Ilia en serrant la main tendue.
- Vous avez encore fait du bon travail, constata-t-il.
- Merci mais je n'aurai rien pu faire sans une bonne équipe à mes cotés.
- Vous dites cela chaque fois, Ilia, mais s'il n'y a pas un bon meneur à la barre, le bateau n'arrive jamais à destination. N'oubliez pas notre conversation du mois dernier, cela pourrait arriver plus vite que nous ne le pensions. Sur ce, passez une bonne soirée, messieurs, conclut Soleri avant de fendre la foule.
- Quelle discussion ? S'enquit David intrigué.
- Un partenariat. Ils envisagent de me faire devenir associé.
- Tu plaisantes ? Cela fait des années qu'ils n'ont pas prit d'associés et toi, tu débarques et quatre ans plus tard…
- Arrête ton char, David, rien n'est fait et il n'est pas dit que j'accepterai.
- Si tu refuses, tu seras la plus grande bourrique de cette ville, et même du pays tout entier !
- Cela fait plaisir d'être soutenu, plaisanta Ilia avec un sourire amusé. Tu veux boire quelque chose ?
- Moi, non, mais cette charmante jeune femme, près du bar…
- David, je te rappelle que tu es marié !
- Et cela doit m'empêcher de contempler les beautés du monde terrestre ?

Ilia secoua la tête. Il adorait David mais par moments ne le comprenait pas. Ils s'étaient connus près de dix ans plus tôt à l'université où ils étudiaient l'architecture. Ils étaient toujours en compétition, du moins pour les études car David n'avait aucun problème avec les filles, contrairement à Ilia qui était beaucoup plus réservé. Leur amitié n'avait pas faibli après le mariage de David avec Julie qui était en passe de devenir avocate. Elle avait aussi survécu à la crise d'identité d'Ilia qui avait appris, huit ans plus tôt, qu'il n'était pas le fils légitime de Suzanne et René Dupuis mais un enfant adopté. Le jeune homme avait eu du mal à leur pardonner de lui avoir caché la vérité aussi longtemps. Il avait tout quitté du jour au lendemain pour partir à la recherche de ses racines. David l'avait aidé du mieux qu'il avait pu, lui envoyant un peu d'argent tandis qu'il recherchait ses parents en Russie. Hélas pour lui, il n'avait découvert que très peu de chose. Le nom de ses parents ainsi que leurs prénoms : Anton et Svetlana. Il était allé sur leur tombe avant de rentrer en France, le cœur brisé de ne pas avoir pu en savoir plus. Il avait fait une demande afin de changer son nom de famille, expliquant à ses parents adoptifs que c'était important pour lui mais que cela ne changeait pas ses sentiments pour eux. Sa mère avait plus facilement accepté cette décision que son père. Elle lui avait montré les vêtements qu'il portait quand ils l'avaient accueilli, lui avait avoué que son prénom avait été choisi par sa mère biologique et qu'ils n'avaient pas eu le cœur de le lui changer. Ilia avait beaucoup mûri après la quête de ses racines. David l'avait informé que le cabinet où il travaillait depuis quelques mois recrutait. C'était ainsi, qu'après avoir été camarades de chambre, ils étaient devenus collègues de travail.

- Tu ne changeras donc jamais ?
- J'espère bien que non. Tu ne vas quand même pas me dire qu'elle n'est pas ravissante ?
- David, il y a plusieurs femmes à l'endroit dont tu parles.
- Celle qui a une robe bordeaux.
- Tu ne vois que son dos ! S'exclama Ilia avec amusement. Comment peux-tu savoir qu'elle est jolie ?
- Jolie… qui a dit jolie ? J'ai dit charmante mais je pourrais rajouter magnifique, somptueuse, splendide… et pas pour toi. Pas ton genre de femme.
- Ah ? Et d'après toi, quel est mon genre de femme ?
- Mmmm… si j'en juge par tes dernières conquêtes, des femmes splendides mais qui ont autant de répartie que la porte de mon réfrigérateur ?
- Tu es injuste !
- Pas du tout. Repense donc à Cynthia, Lucie et Catherine.

Ilia se remémora rapidement les femmes que son ami évoquait. Des créatures de rêves, sorties tout droit de magazines féminins, qu'il avait croisé lors de réceptions telles que celle-ci et ramené chez lui pour un soir, une semaine ou au mieux un mois.

- Tu es certain qu'elle est parfaite ?
- Si tu pars du fait qu'elle est rousse, on peut supposer qu'elle a un caractère volcanique. Rajoute à cela le dos décolleté de sa robe qui suggère qu'elle est célibataire, car je connais peu de femmes mariées dont le mari accepterait qu'elles mettent ce genre de chose et aussi…
- C'est farfelu comme explication mais elle a un dos superbe, admit Ilia qui ne quittait pas l'inconnue des yeux.
- Je crois que je connais la femme avec qui elle discute… Sonia Bellivon, s'écria David quand il eut retrouvé son nom.
- Cela devrait m'évoquer quelque chose ?
- Le cabinet passe souvent par la boîte de déco dans laquelle elle travaille. J'ai bossé sur un projet avec elle il y a quelques mois.
- Et ?
- Et rien du tout, sauf que je peux te présenter afin que tu vérifies si notre rousse est aussi incendiaire que je le crois.
- Je ne pense pas que…
- Aller, courage, mon pote, le stimula David en le poussant dans le dos.
- Mais…
- Ecoute, tonton David, c'est pour le bien de ton avenir, mon grand. Tu n'auras qu'à me remercier le jour de ton mariage.

Ilia ne put échapper à l'emprise de son ami qui se tenait derrière lui. Arrivés près des deux femmes, David le dépassa d'un pas et capta le regard de Sonia, une superbe blonde aux yeux bleus.

- Cela faisait longtemps, s'exclama David en lui faisant un baisemain.
- Beaucoup trop, répondit Sonia avec un sourire ravi.
- Je voudrais te présenter un ami, Ilia
- Ravie de vous connaître. C'est à vous que nous devons ce bâtiment si je ne me trompe.
- A moi et à une dizaine de collaborateurs, fit-il avec modestie.
- J'aime beaucoup, avoua Sonia avant de s'apercevoir qu'elle n'avait pas encore présenté son amie. David, Ilia, voici Valérie Beaumont, une amie.

Ilia eut l'impression que le temps s'était arrêté tandis que la jeune femme déposait son verre vide sur le buffet avant de se tourner vers eux. Son visage apparut et il sentit une bouffée de chaleur envahir tout son être. Deux yeux émeraudes se posèrent sur lui tandis que des lèvres parfaites ébauchaient un sourire timide.

- Enchanté de faire votre connaissance, bredouilla Ilia à la suite de David.
- Tu prends toujours des cours de danse ? Demanda Sonia à ce dernier.
- Hélas, ma femme m'impose toujours cette corvée, se plaignit-il avec exagération.
- Ne dis pas de mal de Julie sinon je me ferais un plaisir de le lui répéter, le taquina la jeune femme avant de l'inviter sur la piste de danse aménagée au centre de la salle.

Valérie et Ilia les regardèrent évoluer sur la piste un long moment, en silence. Un vieux monsieur vint saluer la jeune femme. Elle expliqua rapidement qu'il s'agissait d'un ami de ses parents avant de baisser les yeux, incapable de soutenir le regard céruléen de l'homme qui était près d'elle.

- Est-ce que… vous voulez danser ? Proposa Ilia après un long silence.
- Je… oui, murmura-t-elle avec douceur.

Il lui tendit la main et la guida au milieu des autres couples. Les premières notes d'une valse retentirent. Ilia posa l'une de ses mains sur le dos nu de sa compagne, déclenchant des frissons chez cette dernière qui tenta de les cacher. Ils évoluèrent en silence, les yeux dans les yeux. Chacun avait la sensation d'avoir trouvé ce qu'il cherchait depuis des années. Ils ne s'aperçurent pas que la musique avait cessé et que les autres couples évoluaient maintenant sur un tango argentin. David, qui avait suivit toute la scène depuis qu'il les avait quittés avec Sonia, donna un discret coup de coude à son ami en passant près d'eux.

- Je crois que nous ne sommes plus dans le rythme, murmura Ilia légèrement troublé par la proximité de la jeune femme.
- Oui. Je… merci pour cette danse.
- Attendez, fit-il avant qu'elle ne s'éloigne trop de lui. Il n'avait pas envie, maintenant qu'il avait fait sa connaissance, de la perdre. C'était un sentiment étrange pour lui mais son instinct lui interdisait de la laisser partir. Je voudrais vous montrer quelque chose.
- Mais… la réception… les invités, balbutia la jeune femme tandis qu'il l'entraînait vers le fond de la salle.
- Eh bien, primo, ce ne sont pas mes invités mais ceux du maire et secundo, je déteste cet aspect de mon travail.

Elle eut un sourire étonné mais ne protesta plus tandis qu'ils longeaient des rayons encore vides de livres jusqu'à un ascenseur. David les suivit du regard quand ils montèrent dans la cabine et se félicita intérieurement. Si son ami avait décidé de lui montrer son endroit préféré de la bibliothèque, c'était bon signe, songea-t-il en entraînant Sonia près du bar. Ilia appuya sur le dernier bouton et attendit que les portes se referment. Il prit conscience qu'il tenait toujours la main de Valérie dans la sienne et qu'elle ne semblait pas s'en plaindre. Arrivés au dernier étage, il la conduisit jusqu'à un escalier, à droite de l'ascenseur, et lui fit gravir les quelques marches qui menaient sur le toit.

- C'est magnifique, souffla Valérie en découvrant la vue qu'ils avaient sur Bois-Colombes et La défense.
- Bien moins que vous, murmura Ilia qui se tenait derrière elle.

Avec lenteur, elle se tourna et plongea dans ses yeux bleus. Elle sentit son souffle sur ses lèvres avant qu'il ne capture sa bouche pour lui donner un baiser passionné. Valérie perdit complètement pied, elle dut se raccrocher à lui pour ne pas tomber et poussa un gémissement de plaisir quand il dépose un chapelet de baisers dans son cou offert.

- Oh mon dieu, souffla-t-elle d'une voix rauque quand il posa son front sur le sien.
- C'est à peu de chose près ce que je ressens aussi, répondit-il avec un sourire.
- Je… vous…, commença Valérie avant de renoncer à parler pour l'embrasser de nouveau.

Ilia la serra un peu plus contre lui, son corps puissant s'ajustant parfaitement à celui de la jeune femme. Ils semblaient être les deux parties d'un tout, être deux mais ne faire qu'un et partager une telle osmose que Valérie recula de quelques pas quand ils cessèrent de s'embrasser.

- Je suis navré si…
- Non, c'est moi. Cela va un peu vite, expliqua-t-elle brièvement en tentant de refaire prendre un rythme normal aux battements de son cœur.
- Je comprends mais j'avais… j'ai envie de vous embrasser, avoua-t-il avec un air de gamin pris en faute.
- Moi aussi, murmura Valérie avant de se rendre compte de ce qu'elle venait de dire.
- Et si nous nous asseyions ? Nous pourrions discuter un peu.

Elle hocha la tête pour lui dire qu'elle était d'accord et repéra un muret à quelques pas d'eux. Malheureusement pour elle, la coupe étroite de sa robe de soirée ne lui permettait pas de s'y asseoir sans aide. Ilia la prit machinalement dans ses bras et la souleva comme si elle n'était pas plus lourde qu'un fétu de paille. Il vint s'asseoir près d'elle et ils se plongèrent dans un profond silence tout en observant les lumières de la ville. Au bout d'un long moment, mus par une impulsion qu'ils ne contrôlaient pas, ils se retrouvèrent à nouveau dans les bras l'un de l'autre. Ils se racontèrent leur vie, leur passé, leur famille. Chacun se confiant plus qu'il ne l'aurait fait en temps normal. Ilia ôta sa veste pour la poser sur les épaules de sa compagne quand il la sentit frissonner dans la fraîcheur de la nuit. Ils assistèrent en silence au lever du soleil, contemplant le spectacle de l'astre céleste qui inondait la ville de ses rayons.

- J'aimerai que cette nuit ne se finisse jamais, murmura Ilia à l'oreille de la jeune femme.
- Je préfère penser qu'il y aura d'autres nuits, souffla celle-ci avant de l'embrasser tendrement.
- Tu es libre pour le dîner ?
- Aie, non, je dîne avec un client mais on pourrait se retrouver après. A moins que tu ne…
- Oui.
- Oui, tu seras occupé ou oui, tu auras envie de me voir ?
- C'est assez étrange mais je crois que je vais avoir du mal à me passer de toi. Ou plutôt, je vais me pincer tout au long de la journée pour être sûr de ne pas avoir rêvé.
- Il y aurait sûrement un moyen moins douloureux, suggéra Valérie avec un sourire amusé.
- Mmmm… tu pourrais m'accompagner, je te cacherai dans un placard de mon bureau, proposa-t-il d'un ton taquin.
- Ou alors tu pourrais me téléphoner chaque fois que tu as un doute, dit-elle en sortant une carte de visite de son sac.
- C'est vrai que cela serait moins douloureux, acquiesça-t-il avec humour.
- Et puis, tu pourrais garder ceci jusqu'à ce soir pour être sûr que cela n'était pas un rêve, rajouta Val en ôtant une bague, qui avait la forme d'une tête de dragon, de sa main droite.

La grande horloge de la mairie fit résonner sept coups tandis qu'Ilia contemplait le bijou finement ciselé. Valérie vérifia l'heure sur sa montre et se laissa glisser au sol.

- Il faut vraiment que je file. J'ai rendez-vous avec mon boss à 8h30 et il a horreur du retard.
- Tu veux un mot d'excuse ? Suggéra Ilia malicieux.
- Non mais un baiser d'adieu ne serait pas refusé.

Il la rejoignit et l'enlaça tendrement. Il avait du mal à croire que seulement quelques heures s'étaient passées depuis leur rencontre. Il avait la sensation de la connaître depuis des années, de l'avoir espérée si longtemps qu'il n'avait plus aucune envie de la laisser partir, même s'il savait que cela n'était que pour quelques heures. Ils se séparèrent haletants, souriants et heureux de cette nuit blanche passée ensemble.

Fin Flash-back

- Un penny pour tes pensées, murmura-t-elle en se blottissant contre lui.
- Oh je pensais simplement à la chance que j'ai d'avoir trouvé une merveilleuse femme telle que toi.
- Ahhhhh et que me vaut ce beau compliment ?
- J'en ai envie, j'ai le droit non, lui susurra-t-il au creux de l'oreille avant de lui en mordiller le lobe .

Elle se sentit fondre, son mari savait comment éveiller le feu en elle. Avec douceur, il termina de la déshabiller et l'étendit sur le lit, la rejoignant après avoir quitté ses vêtements. Avec une passion renouvelée, il la fit sienne doucement, faisant monter la jouissance jusqu'à son paroxysme où enfin leurs âmes se réunirent pour n'en faire plus qu'une. Haletants, ils retombèrent sur l'oreiller. Ilia fixait sa femme, tout en caressant sa chevelure rousse. Il voyait bien que malgré leur bonheur intime, elle restait préoccupée.

- Qu'y a-t-il mon ange ? Demanda-t-il dans un souffle.
- Je suis inquiète pour Raf. Elle semble si fragile par moments et puis il y a ce silence. C'est pas dans son habitude de tout garder pour elle.
- C'est vrai qu'elle a l'air fatiguée. Tu crois qu'on devrait…
- Qu'on devrait quoi ? dit-elle en haussant un sourcil.
- Elle est fatiguée, non ?
- Oui et alors ?
- J'ai jeté un coup d'œil dans la chambre, elle dort comme un bébé. On pourrait peut-être oublier de la réveiller.
- Elle risque fort de ne pas apprécier…
- Elle râlera et après ?
- Après ? Devine contre qui elle va se mettre en colère ?
- Je sais, fit-il en souriant, mais tu sais très bien qu'elle ne peut pas te résister très longtemps. Alors ?

Elle réfléchit un instant. Il était vrai qu'un week-end prolongé ne ferait aucun mal à son amie. Bien sûr elle serait furieuse, mais si elle réussissait son coup, elles pourraient passer une fin de semaine ensemble et elles pourraient essayer de rattraper un peu du temps perdu. Ilia ne lui avait pas encore tout dit, de cela elle en était convaincue.

- Ça marche. J'appellerai le magasin demain matin. J'espère réussir à la convaincre de passer le week-end à la maison si cela ne te dérange pas.
- Aucunement, mais à une condition, murmura-t-il avec un sourire coquin.
- Laquelle ?

Il l'embrassa avec passion, remontant les draps sur leurs corps affamés de caresses. Il serait bien temps de parler plus tard. Pour le moment, tout ce qui comptait c'était sa merveilleuse femme et le bonheur simple de la serrer dans ses bras.

 

2e partie